De Washington à Alger, comment Paris intrigue pour retarder l’arrivée de Wagner

Publié le 7 octobre 2021 , 7:55
Mis à jour le: 7 octobre 2021 7:55 pm

 

Bangui, République centrafricaine, vendredi, 8 octobre 2021, 02:49:09 ( Corbeaunews-Centrafrique ). Discrète mais insistante, la diplomatie française multiplie les démarches auprès de ses partenaires pour éviter le rapprochement entre la junte et le groupe paramilitaire russe Wagner. La Cedeao, mobilisée par Emmanuel Macron, planche sur la mise en place de sanctions contre des officiels maliens. L’assemblée générale des Nations unies (AGNU) qui s’est tenue du 21 au 27 septembre à New York avait presque l’allure d’un sommet international consacré au Mali pour Jean-Yves Le Drian.

 

L’ensemble des tête-à-tête qu’a eus le ministre des affaires étrangères avec ses homologues occidentaux comme africains a porté, entre autres, sur la situation à Bamako. Dans les locaux de la représentation française au 44 étage du One Dag Hammarskjöld Plaza, il a développé auprès de tous ses interlocuteurs un argumentaire bien rodé pour ralentir, voire tuer dans l’œuf, le rapprochement accéléré que mène actuellement la junte malienne avec la Russie.

 

 

 

Front commun avorté avec Alger

 

 

 

L’un des premiers leviers que Paris comptait actionner sur ce dossier était l’Algérie. En marge de l’AGNU, Le Drian s’est ainsi longuement entretenu avec Ramtane Lamamra, le 22 septembre. Si rien n’a filtré de la rencontre, le chef de la diplomatie française a obtenu, selon nos informations, de son homologue algérien une “condamnation de principe” à la possible arrivée de Wagner au Mali. Alger voit en effet d’un très mauvais œil les discussions entamées par la junte malienne et le groupe paramilitaire russe, ainsi que l’arrivée d’un nouvel acteur extérieur – bien qu’allié – dans sa zone d’influence sahélienne historique. Motif d’irritation supplémentaire : Wagner appuie déjà en Libye le général Khalifa Haftar, avec qui l’Algérie entretient des relations très tendues. En amont de la rencontre entre les deux ministres, l’ambassadeur de France en Algérie François Gouyette s’était très discrètement entretenu avec le nouvel envoyé spécial de l’Algérie pour le Sahel – et fidèle de Lamamra -, Boudjemaa Delmi. Ce dernier séjourne à Bamako depuis le 2 octobre pour présider une réunion du comité de suivi de l’accord de paix et de réconciliation au Mali, issu du Processus d’Alger (CSA), signé en 2015 sous le haut patronage de l’Algérie par le gouvernement malien et des groupes armés actifs au nord du pays. D’ores et déjà, le manque d’entrain de l’actuel premier ministre malien Choguel Kokalla Maiga sur le dossier irrite à Alger. Il s’est, à plusieurs reprises, prononcé contre l’application dudit accord. Malgré les efforts déployés par les diplomates français, le rappel de l’ambassadeur algérien à Paris le 2 octobre, à la suite de propos tenus par Emmanuel Macron devant des représentants de la diaspora algérienne, et la fermeture du ciel algérien aux avions français qui appuient l’opération Barkhane, risquent de compromettre l’ébauche de front commun entre Alger et Paris. Quelques jours avant ce nouveau coup de froid avec Paris, une délégation militaire algérienne emmenée par un général et une poignée d’officiels de l’armée de l’Air était au Cercle National des Armées (CNA) dans le 8 arrondissement de la capitale français le 27 septembre.

 

 

 

Macron mobilise la CEDEAO

 

 

 

De son côté, le président français a directement évoqué le sujet par téléphone avec une petite dizaine de ses homologues ouest-africains. Parmi eux : Mohamed Bazoum (Niger), Macky Sall (Sénégal), Nana Akufo-Addo (Ghana, également président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest – Cedeao) ainsi qu’Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire). Le président ivoirien sera par ailleurs en France mi-octobre où il doit séjourner dans sa résidence de Mougins (Alpes-Maritimes). Plusieurs chefs d’Etats de l’organisation panafricaine ont d’ores et déjà fait savoir à la junte malienne que l’arrivée de paramilitaires russes constituerait une “ligne rouge” à ne pas dépasser. En coulisse, la Cedeao travaille même sur la mise en place de sanctions individuelles contre les officiels maliens qui “bloqueraient” la bonne tenue de l’élection présidentielle prévue en février 2022. Or ces opposants figurent aussi parmi les soutiens les plus enthousiastes à l’arrivée de Wagner dans le pays. L’une des sanctions actuellement à l’étude est l’interdiction de voyager pour les officiels maliens considérés comme des entraves à l’élection, accompagnée du gel d’avoirs financiers. Une initiative qui agite les ministères à Bamako. De leurs côtés, Washington et Londres – avec lesquels la diplomatie française a évoqué à plusieurs reprises le dossier malien – ont fait passer aux autorités maliennes un message explicite fin septembre : l’arrivée de combattants étrangers aura des conséquences directes auprès des principaux bailleurs du pays et sur la relation bilatérale de Bamako avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

 

 

 

Où sont les russes ?

 

L’intensité de l’activité diplomatique déployée par Paris sur ce dossier contraste avec le flou, sur le terrain, de l’engagement russe. A ce jour, Wagner n’a envoyé qu’une petite mission exploratoire au Mali, qui a transité par Benghazi en Libye et qui a principalement étudié les conditions financières d’une éventuelle intervention. L’unique présence militaire russe à Bamako est la petite équipe de formateurs qui entraîne les pilotes maliens au maniement des hélicoptères MI-35 achetés et réceptionnés sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta. Ce petit groupe, qui vit au camp de Kati et porte l’uniforme malien, est assimilé, dans tout Bamako, à une équipe avancée de Wagner. Ils dépendent en réalité de l’agence d’exportation d’armement Rosoboronexport, dont le personnel n’a pas le droit de participer aux conflits. Une règle que l’équipe de pilotes russes applique à la lettre puisqu’ils refusent de se rendre dans le camp de Sévaré, où sont stationnés les deux MI-35 encore en état de vol (les deux autres sont déjà cloués au sol) et dispensent leurs formations in abstracto, dans des salles de classe. Ces formateurs doivent quitter le pays en décembre. Ils seront remplacés par une autre équipe, toujours liée à Rosoboronexport, mais intervenant cette fois sur les hélicoptères MI-17 dont la commande a été passée peu avant le coup d’Etat d’août et dont deux, sur les quatre commandés, ont été réceptionnés à Bamako la semaine dernière. Ce sont les limitations de cette coopération officielle russe qui ont incité les dirigeants maliens, et en particulier le président de la transition Assimi Goïta – qui a fait une partie de ses classes en Russie – et son ministre de la défense Sadio Camara, à tenter d’entrer en contact, dès janvier 2021, avec les paramilitaires privés de Wagner. L’objectif est de disposer d’un appui au front, actuellement dégarni des unités les plus aguerries, qui ont été repositionnées par la junte à Bamako. Les premiers contacts avec des représentants de Wagner ont eu lieu à Moscou, en marge de la conférence sur la sécurité qui s’est tenue le 24 juin dans la capitale russe et à laquelle participait le ministre de la défense malien. Un contrat a été rédigé le mois suivant et Sadio Camara est retourné en Russie en août pour finaliser les détails. A l’heure actuelle, le contrat, dont l’existence a été révélée par Reuters le 13 septembre, n’est toujours pas signé. Les conditions financières de l’intervention de Wagner, notamment, restent encore à préciser.

 

https://www.africaintelligence.fr/afrique-ouest-et-centrale_diplomatie/2021/10/06/de-washington-a-alger-comment-paris-intrigue-pour-retarder-l-arrivee-de-wagner,109696203-eve

 

Africa Intelligence

 

 

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