Centrafrique : Un enseignant du supérieur s’intéresse à l’état de la Fiscalité depuis l’indépendance à nos jours

Publié le 6 mai 2017 , 3:12
Mis à jour le: 6 mai 2017 4:21 am

Centrafrique : Un enseignant du supérieur s’intéresse à l’état de la Fiscalité depuis l’indépendance à nos jours

 

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Bangui, le 06 mai 2017.

Par : Abdias NDOMALE,  Enseignant chercheur.

 

 LA SIGNIFICATION DE L’ABSENCE DE LA LOI PORTANT REGLEMENT DEFINITIF DU BUDGET GENERAL DE L’ETAT CENTRAFRICAIN DEPUIS L’INDEPENDANCE

 

La loi de règlement a pour objet d’arrêter les résultats financiers de chaque année civile, elle approuve les différences entre les résultats et les prévisions de la loi de finances de l’année, complétée, les cas échéant, par les lois rectificatives.

La constitution centrafricaine du 30 mars 2016, dans son article 77 alinéa 2 du titre IV, dispose que : « Le parlement règle les comptes de la Nation. Il est à cet effet, assisté de la cour des comptes ».

En outre, l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 énonce que : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

Il résulte, de ces dispositions que c’est une mission essentielle et nécessaire pour le parlement que de voter le budget et d’en contrôler la bonne exécution. La loi portant règlement définitif du budget tire son origine d’un passé assez lointain.

En Angleterre d’abord, avec l’instauration progressive de la souveraineté financière, à partir de XIIe siècle  (1215 la grande charte) consacrée par le consentement des représentants du peuple à l’impôt (1688, Bill of rights) puis, en France à l’aube du parlementarisme moderne, sous la restauration, la monarchie de juillet, le débat sur la « loi de Règlement définitif » était l’un des plus importants sujets de l’année.

Cette loi était alors, considérée comme un acte fondamental de gestion budgétaire et financière du Gouvernement, très nettement distinct de la loi de finances initiale et suscitait un grand intérêt de la part des parlementaires, qui y trouvaient l’occasion d’exercer un contrôle minutieux sur l’emploi que le Gouvernement avait fait pendant l’exercice en cause du produit des impôts dont le parlement avait autorisé la perception.

Sous les IIIe et IVe Républiques, le parlement s’etait progressivement désintéressé du débat sur la loi de Finances initiale de l’année. C’est ainsi, par exemple que la loi de Règlement pour 1915 a été votée en 1932.

En RCA, le passage du statut des colonies (30 décembre 1912) à celui d’Etat souverain, était encadré au plan financier par l’ordonnance du 23 mai 1960 qui visait à modifier la réglementation coloniale antérieure.

C’est en 1969 pendant la période du Gouvernement François PEHOUA, que la vie financière de l’Etat a eu l’opportunité d’une loi portant Règlement définitif du budget.

C’est en 2008 et 2009, qu’il y a eu le Règlement définitif du budget après une longue absence. Mais depuis cette date, jusqu’aujourd’hui, on constate avec regret l’absence de cette loi, en violation des textes en vigueur. C’est un exemple de difficultés d’application des dispositions constitutionnelles depuis l’indépendance. C’est une fonction traditionnelle de parlement.

La continuité de la loi portant Règlement définitif du budget est un postulat du droit budgétaire dogmatique : générale et permanente, la norme financière est un « Soleil qui ne se couche jamais ».

De plus, nul n’est en droit de se soustraire à l’obligation de reddition de compte…

Qu’est ce qui est à l’origine de ce blocage ?

L’érosion des lois est un fait, comme la mort, contrairement à la vie financière de l’Etat qui n’est qu’un processus de transformation permanente rythmée ou perturbée par des événements extérieurs qui en affectent le cours. L’importance de cette réflexion réside dans la recherche des difficultés qui ont empêché la production de la loi de Règlement en RCA depuis 1970. Sachant que, cette loi de contrôle constitue le corolaire indispensable et logique d’un pays qui entend œuvrer dans le sens de l’intérêt général pour la réalisation du bien commun.

C’est très gênant de parler de quelque chose qui n’existe pas. Ce scepticisme qui commence à gagner les milieux sociaux en RCA n’est pas gratuit. L’Etat ne se conçoit pas sans la signification culturelle. Il est dépositaire de cette identité culturelle et cherche à développer en entretenant un sentiment national qui insère le citoyen dans une collectivité.

Il ne peut affirmer son autorité que par rapport à l’existence de valeur commune forgée par les événements passés, les croyances, les traditions…

La loi de Règlement est l’œuvre d’une culture occidentale calquée sur le modèle français. En effet, la période postcoloniale était dominée jusqu’à ce jour par l’instauration de cette pratique, d’où l’insertion du concept « Loi de Règlement » dans les textes réglementant les finances publiques centrafricaines.

L’environnement socio-économique méconnait totalement la Loi de Règlement par le fait que le gouvernement n’a jamais été en mesure de soumettre régulièrement à l’Assemblée Nationale celle-ci pour les périodes suivantes :

  • 1960-1968, 1970-2007, 2010-2016.

Le Droit Public Financier utilise et forme des concepts innombrables qui sont la représentation abstraite des objets intellectuels envisagés par le Régime Financier des Colonies (Décret du 30 Décembre 1912). Dans cette optique, les concepts de bonne gouvernance financière, d’assainissement des finances publiques et de développement durable, bien que prônés par la communauté internationale, les pouvoirs publics restent méfiants quant au contrôle dont les finances publiques devraient faire l’objet.

Cette illusion laisse alors libre court à toute forme de malversation financière.

On peut, avec Raymond MUZELLEC, voir dans cette attitude une conception négative de la vie financière de l’Etat. Selon lui : « le budget réglé 10 ans après la réalisation de ses recettes et de ses dépenses n’est qu’un passe-temps inoffensif… »

En principe, le projet de loi de règlement de l’année N n’est présenté qu’en fin d’exercice de l’année N+1. En amont, les comptables publics régulièrement nommés doivent rendre compte au moins une fois l’an, en application de l’article 17 du Décret du 29 décembre 1962. D’ailleurs, ils sont exempts de la règle du cautionnement. Il ressort de cette situation floue, la difficulté, voire, l’impossibilité de sanctionner. C’est aussi un plaidoyer à l’endroit de la Haute Autorité chargée de la Bonne Gouvernance, cette institution nouvellement créée à l’article 150, dernier alinéa de la Constitution centrafricaine du 30 Mars 2016, qui a pour missions de promouvoir la transparence dans la question des affaires financières, de lutter contre la corruption, le détournement des deniers publics.

Ce serait une bonne nouvelle, rappelons nous, écrit le sociologue français Michel MAFFESOLI que : « la décadence n’exclut pas une renaissance ». Certes, mais il n’est pas sûr que ce soit dans l’immédiat…

On est au cœur d’un risque de « Cercle vicieux » décrit par Christine Lagarde, la Directrice Générale du Fonds Monétaire International.

L’incidence de la recrudescence des pouvoirs parallèles pendant les transitions de 2003-2005, 2013-2016 qui ont du reste tendance à se multiplier au sein de la pyramide administrative, lorsque « d’obscurs employés de grade peu élevé exercent un rôle décisif dans la solution d’affaires importantes ». (Michel Crozier).

De ce fait, le degré de motivation du personnel de l’administration centrafricaine est un problème général lié à la situation de crise que traverse le pays. Le pouvoir de décision échappe fréquemment à son détenteur légitime qui n’est que l’auteur apparent de l’acte. Ce qui entraine des difficultés inextricables lorsqu’on voudra contrôler le responsable de la décision notamment au plan contentieux.

La reconstruction rapide du japon après 1945 dévasté par la guerre s’est réalisée grâce au changement de mentalité.

De telles approches délient toute performance mécanique, se confrontant à l’aventure mentale collective qui obéit à ses rythmes et à ses causalités propres.

Pourtant, la R.C.A est signataire du protocole additionnel au traité instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale(C.E.M.A.C), elle doit à cet effet, conformément aux exigences de la Communauté les comptes nationaux doivent faire l’objet de contrôle à la Chambre des comptes de la Cour des Comptes de la Communauté. On pourra éviter un scénario à la grecque, concernant la lutte contre les déficits publics de chaque pays de la zone.

Au lendemain de l’indépendance, l’organe de contrôle juridictionnel était la chambre financière rattachée à la juridiction judiciaire (la cour suprême).Mais la première juridiction des comptes n’a été créée qu’en 1995.Malgré cette ancienneté, l’existence de cette institution demeure encore largement théorique en tant que juridiction de comptes. Les principales difficultés de fonctionnement de la cour des comptes à l’époque résidaient dans la situation politique (parti unique) de la RCA, de l’indépendance jusqu’en 1995.Tout se décidait au niveau du parti avant même d’être portée à la connaissance de l’administration et donc le parti avait une ascendance sur l’administration au point de l’asphyxier. Il suffit de se cacher derrière le parti pour assurer son impunité.

D’après l’Article 77 de la Constitution centrafricaine du 30 Mars 2016 alinéa3 du titre IV : « Le parlement peut charger la Cour des Comptes de toute enquête et étude se rapportant à l’exécution du budget ou à la gestion de la trésorerie nationale et des deniers publics ».Compte tenu des difficultés techniques la cour des comptes se trouve dans l’impossibilité de produire le rapport annuel à ce jour sur l’exécution des lois de finances.

Sans oublier que, la nouvelle gestion publique prônée par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 en France, tente de pallier la carence de l’ordonnance coloniale de 1959, à savoir une culture budgétaire orientée vers les résultats plutôt que vers les moyens. L’importance du rôle crucial du parlement et de la cour des comptes pour la transparence et la redevabilité n’est plus à démontrer.

Ainsi la mission d’assistance au parlement n’est pas bien définie par les textes. En outre, la première préoccupation des parlementaires depuis le multipartisme n’est sans doute pas le domaine des fiances publiques. Elle réside plutôt dans l’action politique, dont les questions de finances ne sont qu’une composante. Quelles que soient les questions financières sous-jacentes, on ne rappellera jamais assez, pour reprendre la formule de Pierre LALUMIERE, le parlement est « né »par l’impôt.

Le désintérêt des parlementaires pour la loi portant règlement définitif du budget n’est pas un problème nouveau en R.C.A. Les députés demeurent imprégnés d’une tradition politique selon laquelle leur rôle essentiel est de défendre un intérêt personnel et la gestion des affaires locales en lieu et place de l’administration.

L’autorisation parlementaire qui a constitué pendant très longtemps la « pierre angulaire » du droit financier, s’est considérablement transformée.

Il convient de noter que, ce contrôle de gestion peut se heurter à la notion de secrets d’Etat qui limite profondément sa portée. En clair, la commission des finances se contente seulement d’entendre les ministres et publier des rapports qui ne servent pas à faire un contrôle de gestion de la chose publique.

On observe donc, la perte de la souveraineté financière du parlement au profit du pouvoir exécutif. A ce propos, Vincent DUSSART a écrit en 2009 dans son ouvrage de finances publiques : « la matière budgétaire est désormais dominée par le pouvoir exécutif ». Il faut noter que, la crise du droit budgétaire a permis l’émergence des paramètres nouveaux qui caractérisent la vie financière de l’Etat Centrafricain.

On assiste, au non respect de la discipline budgétaire qui était à la base de la faiblesse financière de l’Etat (cf. Le rapport PEFA ; juillet 2010, commission européenne, BAD)

Par conséquent, on constate l’insécurité des textes financiers. Depuis l’avènement de la LOLF du 1er août 2001 en France et celle du 3 juillet 2006 en RCA.

La sincérité exigera « l’exactitude des comptes dans les lois de règlement et l’absence de fausser les grandes lignes de l’équilibre dans les autres lois de finances » (Conseil 25 juillet 2001).La bonne foi, implique que les évaluations soient réalisées aussi correctement que possible : Ceci admet un budget sincère mais erroné. Cela exclut une présentation incomplète débouchant sur un « solde artificiel », pour « manipulation (30 déc.1996), pour erreur manifeste et d’appréciation (19 déc. 1999) pour irréalisme. La vérité est la propriété d’un jugement des comptes affirmant que ce qui est ou ce qui n’est pas n’est pas. C’est un moment de vérité ou l’on apprécie réellement la qualité d’une gestion et d’une politique des finances publiques.

Au total, le contrôle politique est illusoire. Le parlement doit se saisir de ses prérogatives constitutionnelles pour inciter l’exécutif à s’atteler dans la production des comptes de l’Etat centrafricain.

Ainsi, l’économie centrafricaine ne doit plus être sacrifiée au profit de la politique. De plus, la politique est tournée vers l’avenir, alors que la loi de contrôle est tournée vers le passé, dans ce cas précis, elle intéresse d’avantage l’historien que l’homme politique. Que faire ?

Fait à Bangui, le 02 mai 2017

Abdias NDOMALE Enseignant chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques à l’Université de Bangui Téléphone : 0023677887081

 

 

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