André Nzapayeké dans Jeune Afrique : “La Centrafrique a perdu le droit au respect”

Publié le 14 juillet 2014 , 12:10
Mis à jour le: 14 juillet 2014 12:10 pm

Le Premier ministre le sait : la communauté internationale a déjà beaucoup aidé son pays. André Nzapayeké continue pourtant à plaider pour une aide financière et militaire accrue.

André Nzapayeké ne se fait pas d’illusions. En Centrafrique, où l’autorité de l’État peine à s’exercer au-delà des murs d’enceinte de la présidence, la tâche est immense et à mille lieues de ce qui l’occupait à la vice-présidence de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC).

Nommé fin janvier à la primature, il dit bien qu’il ne s’imaginait pas “venir rouler sur une belle route bitumée” et qu’il savait qu’il lui faudrait “traverser des rivières infestées de crocodiles”. André Nzapayeké, 62 ans, a le verbe net et les idées claires. Mais il s’accroche, lui le chrétien qui pourrait finir par être sacrifié sur l’autel de la cohésion nationale.

Jeune Afrique : La chef de l’État, Catherine Samba-Panza, a annoncé début mai un remaniement ministériel. Il n’a toujours pas eu lieu. Pourquoi ?

André Nzapayeké : La présidente et moi étions prêts. Nous avions pris tous les contacts nécessaires et nous nous étions entendus sur les critères de sélection des ministres, mais nous avons eu un contretemps : deux personnes que nous avions approchées ont décliné l’offre pour ne pas être empêchées de se présenter à la présidentielle. Nous avons également jugé utile de consulter à nouveau certains chefs d’État de la sous-région, parce qu’ils nous aident beaucoup et que les décisions que nous prenons les engagent financièrement. Mais nous arrivons bientôt au bout de nos efforts.

À Malabo, en marge du sommet de l’Union africaine (UA), les chefs d’État de la sous-région ont demandé que les milices anti-balaka et les membres de la Séléka, musulmans pour la plupart, soient mieux représentés. En tiendrez-vous compte ?

Ne faisons pas comme si ces deux mouvances n’étaient pas déjà représentées. Trois membres de la Séléka font partie du gouvernement. Prenez l’exemple du ministre des Travaux publics, de l’Urbanisme et de l’Habitat, Herbert Gontran Djono Ahaba [le neveu de l’ancien président autoproclamé, Michel Djotodia] : c’est, par le rang, le troisième personnage de l’État.

Ces personnes sont-elles suffisamment représentatives ?

Nous parlons de mouvements qui se réorganisent en permanence. Ceux qui étaient représentatifs hier ne le sont plus forcément aujourd’hui.

Diriez-vous, comme le général Mokoko, le chef de la force africaine Misca, qu’il est plus facile de gérer la coalition Séléka, parce qu’elle est en position de faiblesse, que les anti-balaka ?

Depuis le congrès de Ndélé [le 10 mai], la Séléka est mieux structurée : elle a une coordination politique qui est à la recherche d’une solution de sortie de crise et dont les membres sont clairement identifiés. C’est plus compliqué sur le terrain militaire où l’on a des petits chefs qui font comme bon leur semble. Mais c’est encore pire dès lors que l’on parle des anti-balaka : nous n’avons pas chez eux de véritable interlocuteur. Nous négocions avec eux pendant des semaines, nous finissons par nous entendre, et, deux jours plus tard, c’est une autre personnalité qui sort du lot et qui vient dire sur les ondes d’une radio étrangère qu’elle n’est pas d’accord.

Un accord tacite aurait été trouvé en janvier à N’Djamena lors d’une réunion des chefs d’État de la sous-région. L’idée était que si un président chrétien était élu, ce qui est le cas de Catherine Samba-Panza, le Premier ministre serait un musulman. Seriez-vous prêt à vous effacer ?

Mme Samba-Panza est la seule personne qui puisse me demander de m’effacer. Je veux par ailleurs insister sur le fait que je suis Premier ministre et que, à ce titre, je suis à la fois protestant, catholique, sunnite et chiite… Je suis de toutes les religions. J’ajoute que même si je comprends que, en certaines circonstances, cela puisse contribuer à l’apaisement, être musulman n’est pas une qualité. Pas plus qu’être chrétien. Ce n’est pas cela qui fait la compétence ou l’efficacité. Il faut être prudent et ne pas chercher à institutionnaliser cet apartheid confessionnel qui menace la société centrafricaine. Musulmans ou chrétiens, nous avons toujours vécu en harmonie. Que l’on arrête de nous pousser dans un sens qui risque de briser durablement la cohésion de notre pays.

L’ex-président Bozizé, qui a soutenu une frange des anti-balaka et qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt international, doit-il être associé à des négociations de paix ?

Tout le monde doit l’être. Mais qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : il n’y aura pas d’amnistie.

Le 27 juin, à Malabo, Mme Samba-Panza a été contrainte d’attendre une heure à l’extérieur d’une salle où des chefs d’État étaient réunis à huis clos pour parler de la Centrafrique. N’est-ce pas un manque de respect ?

Cela fait longtemps que la Centrafrique, par le comportement de ses fils et de ses filles, a perdu le droit au respect de la communauté internationale. Je dirais même qu’un pays dont l’armée et la police sont totalement dérégulées, qui ne peut pas nourrir sa propre population et qui, même pour acheter un stylo, doit tendre la main, ne peut pas demander beaucoup de respect. Nous nous battons pour retrouver notre dignité, et l’essentiel c’est que le peuple comprenne qu’en acceptant d’être traitée de cette manière, d’être placée dans une situation aussi ridicule dans le seul but de faire avancer la paix, Catherine Samba-Panza s’est sacrifiée et mérite le respect.

La Centrafrique doit-elle réintégrer l’UA ?

Bien sûr ! Catherine Samba-Panza a été élue par le Parlement de transition, conformément aux règles qui avaient été acceptées par la communauté internationale. Les sanctions qui nous avaient été imposées du temps de Djotodia n’ont plus lieu d’être.

Vos partenaires estiment que les autorités centrafricaines n’en font pas assez. Que leur répondez-vous ?

Que notre pays est cogéré et qu’il n’a pas sa pleine souveraineté. Nous fonctionnons selon les règles de la transition, mais les moyens qui sont mis à notre disposition sont ceux de la communauté internationale, et beaucoup de promesses ne se sont pas concrétisées. En janvier, l’Union européenne s’est engagée à nous aider à hauteur de 500 millions de dollars [365 millions d’euros]. À ce jour, moins de 30 % de cette somme ont été débloqués.

Souhaitez-vous une levée de l’embargo de l’ONU sur les ventes d’armes à la Centrafrique ?

J’aimerais que nous commencions à y penser. Comment désarmer les milices si nous n’avons pas de forces de défense et de sécurité opérationnelles ? On nous répond que nous n’avons pas besoin de nous réarmer puisque la Misca et Sangaris [l’opération militaire française] sont là, mais il faut que l’on renforce nos propres capacités. Sans cela, nous ne survivrons pas.

La Misca et Sangaris remplissent-ils leur rôle ?

Ils font de leur mieux. Il n’y a qu’à voir les quantités d’armes qui ont été récupérées au camp Mpoko, près de l’aéroport. Mais leurs effectifs sont très insuffisants et nous attendons avec impatience l’arrivée des Casques bleus. En espérant qu’ils auront les moyens nécessaires pour agir.

Regrettez-vous le départ du contingent tchadien ?

Bien sûr. Il a laissé un grand vide. Le Tchad est un pays frère et je suis convaincu qu’il reviendra dans la Misca et dans la force tripartite dans la région de Birao. Cependant, nous comprenons leur position : lorsque vous vous déployez dans un pays pour l’aider à recouvrer sa stabilité et que tous les jours, on vous crie dessus, on vous lance des grenades, on vous critique, c’est difficilement tenable.

Y a-t-il des négociations en ce sens avec N’Djamena ?

De leur côté comme du nôtre, la porte est ouverte.

Que faites-vous des accusations d’exactions portées contre les soldats tchadiens ?

À chaque fois que des militaires sont déployés quelque part, il y a des dérives. C’est également vrai avec les soldats congolais, burundais et même français… Mais on parle d’incidents isolés. Il n’y a pas eu instruction de l’état-major ou du gouvernement tchadien.

Il n’y a presque plus de musulmans à Bangui. Quand pourront-ils revenir ?

Vous exagérez. Il y a eu des départs mais pas d’exode, contrairement à ce qu’ont laissé croire les convois organisés en avril par l’ONU sous l’oeil des caméras du monde entier ! On se serait cru à une autre époque, quand des convois entiers prenaient la direction de je ne sais quel camp macabre.

Selon l’ONU, le nombre de musulmans à Bangui est passé d’environ 140 000 à moins de 3 000… Mais comment le saurait-elle puisqu’il n’y a pas eu de recensement ?

Personne ne peut donner de chiffres. On ne peut pas non plus [comme l’a fait l’ONU] parler de “nettoyage ethnique”. Ces mots-là sont dangereux. Ils sous-entendent qu’il y a une volonté politique derrière tout cela et ce n’est pas le cas.

Qu’attendez-vous de l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale ?

La CPI intervient à notre demande, parce qu’il est important que les criminels comprennent qu’ils ne vont pas continuer à dormir sur leurs deux oreilles. Je parle de tous ces gens qui n’ont pas intérêt à ce que la paix revienne. De ces hommes qui ont massacré les populations et qui ont fait main basse sur les richesses du pays. De ces anciens chefs de la Séléka qui, pendant le règne de Djotodia, ont capté entre 70 % et 100 % des recettes de l’État. De ces anti-balaka qui rackettent et pillent dans l’Ouest. Je le leur dis : un jour ou l’autre, ils seront inquiétés.
 

 

Jeune Afrique

 

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