CENTRAFRIQUE : LA PROBLÉMATIQUE DE LA LÉGALITÉ ET DE LA LÉGITIMITÉ DE L’AGENCE NATIONALE DES ÉLECTIONS.

Publié le 2 mai 2020 , 2:18
Mis à jour le: 2 mai 2020 2:18 am
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Monsieur Bernard Selembi Doudou, l’auteur de l’article. Photo de courtoisie.

 

Bangui (République centrafricaine ) – Au moment où les États africains développent des stratégies de lutte contre la pandémie née du coronavirus, la Centrafrique vit au rythme des affrontements armés et de manœuvres politiques qui gravitent autour de l’interprétation de la loi fondamentale. A peine sorti de la polémique liée à la modification de la constitution en vue de proroger le mandat du président de la république, un autre débat fait son entrée dans l’arène mettant cette fois-ci en cause

la légalité et la légitimité de l’Agence Nationale des Élections (ANE), organe constitutionnel chargé de gestion des opérations électorales.

 

C’est dans

ce contexte de cafouillage juridique à coloration politique qu’un collectif des avocats mandaté par la COD 2020 a saisi par voie de recours la noble cour

constitutionnelle sur la constitutionnalité de certaines dispositions législatives régissant l’Agence Nationale des Élections plus précisément l’article

7 alinéa 2 et l’article 278 alinéa 2 de la loi organique n*19.0011 du 20 août 2019 portant code électoral. Sur la forme, la cour constitutionnelle est

jugée compétente pour statuer sur un tel recours conformément aux dispositions de l’article 95 de la constitution du 30 mars 2016 qui stipule que : « la

Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’état en matière constitutionnelle. Elle est chargée de juger de la constitutionnalité des lois

organiques et ordinaires déjà promulguées ou simplement votées… ». La requête du collectif des avocats est également jugée recevable aux vues des impératifs

de l’article 98 alinéa 1 de la constitution qui énonce : « toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois soit

directement soit la procédure de l’exception de constitutionnalité invoquée devant une juridiction dans une affaire qui la concerne ».

Sur le fond et plus précisément en droit, les requérants invoquent que la constitution du 30 mars 2016 à travers les articles 143 et 144 abroge la loi organique n* 13.003

du 13 novembre 2013 instituant l’Agence Nationale des Élections comme un organe technique de gestion des opérations électorales. Ainsi, cette ANE étant

illégitime devrait être mise en place au même titre que les autres institutions de la république dans un délai d’un an après l’investiture du président

de la république conformément aux dispositions de l’article 155 de la constitution qui dispose :« les institutions prévues par la présente constitution

seront mises en place dans les douze (12) mois qui suivent l’investiture du président de la république élu à l’exception du sénat qui sera mis en place après les élections municipales et régionales ». En outre, les requérants affirment avec véhémence que l’Agence Nationale des Élections exerçait dans l’illégalité depuis le 30 mars 2017 et pour ces motifs, le président de la république est passible d’une poursuite devant la haute cour de justice pour haute trahison

conformément aux dispositions de l’article 124 de la constitution. Embrouillé par cette succession épisodique de débats autour de l’interprétation de la

constitution, le citoyen lambda s’interroge : Le collectif des avocats veut nous faire comprendre que l’Agence Nationale des Élections pilote les opérations

électorales dans l’illégalité depuis 2017 ? A défaut d’une escroquerie ou d’une supercherie juridique, pourquoi opposé cette illégalité de l’Agence Nationale

des Élections qu’en 2020 ? Pourquoi la Cour constitutionnelle qui a la possibilité de s’auto-saisir n’a pas soulevé cette inconstitutionnalité de l’Agence

Nationale des Élections en temps voulu ? La classe politique ne savait-elle pas que l’Agence Nationale des Élections était illégale quand elle protestait

contre les démembrements de l’ANE ? Pourquoi ce débat fait irruption juste après que l’Agence Nationale des Élections ait sifflé la fin de la récréation

sur la modification de la constitution en déclarant officiellement que le chronogramme électoral est tenable dans le délai constitutionnel ? Au delà des

questionnements, nous tenons à souligner qu’à défaut de paraphraser l’article 2 du code Napoléon qui énonce que: « la loi nouvelle n’a d’effets que pour

l’avenir… », le principe du parallélisme des formes institué par Hans Kelsen énonce qu’un acte qui modifie ou qui abroge un autre est nécessairement

un acte contraire et que la norme inférieure ne peut être contraire à la norme supérieure. Or dans la réalité, la constitution du 30 mars 2016 n’a pas

modifié la dénomination ni la mission de l’ANE. Elle a par contre Changé son statut d’organe technique en l’élevant au rang d’institution au même titre

que les nouvelles institutions républicaines créées par la constitution et qui doivent être mises en place dans un délai d’un an après l’investiture du

président de la république. A ce titre et existant déjà, l’ANE ne fait pas partie des injonctions de l’article 155 de la constitution. A contrario, comment

peut-on mettre en place une institution qui est depuis lors opérationnelle sans changer de dénomination, de mission, de mandat ni de membres ? Cette interrogation

justifie l’inaction et l’inertie du pouvoir, source de cette polémique stérile qui est simplement de nature à affaiblir la république. Le véritable problème

qui devrait préoccupé la classe politique centrafricaine est celui qui consiste à faire une pression multiforme sur le pouvoir afin de déférer à l’assemblée

nationale la loi organique qui a été retirée par des voies non autorisées sachant que le mandat de sept (7) ans de l’ANE expire le 24 décembre 2020. Par

ailleurs, dès lors qu’un projet de loi est déposé à l’assemblée nationale, après la recevabilité le bureau de l’assemblée nationale met en place une commission

élargie et un rapport parlementaire a été même établi pour la plénière. Dès lors, le fait de remettre au gouvernement le projet de loi avec les rapports

qui sont déjà devenus une propriété du parlement viole le principe de séparation de pouvoir édicté par Montesquieu. En conséquence de ce qui précède, le

président de l’assemblée nationale est passible d’une procédure de destitution selon les règles établies par l’article 125 de la constitution. Pour finir,

nous invitons humblement le pouvoir et la classe politique d’arrêter de nous distraire en prenant la constitution comme bouclier. A l’instar des tueries

de Ndélé qui démontrent à suffisance la souffrance des citoyens, l’heure approche pour que le peuple souverain sanctionne cette classe politique dotée

d’une culture politique en total déphasage avec le monde moderne et peut être l’heure d’organiser une alternance générationnelle avec des hommes aux idées

innovantes en vue de rattraper le train de l’émergence, de la bonne gouvernance et du partage usufruitier de notre patrimoine commun. Mais attention, ne

le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Paris le 01 mai 2020.

Bernard SELEMBY DOUDOU.

Juriste, Administrateur des élections.

Tel :

0666830062.

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