CENTRAFRIQUE : LA PROBLÉMATIQUE DE LA LÉGALITÉ CONSTITUTIONNELLE DE LA MODIFICATION PARTIELLE DU CODE ÉLECTORAL À TROIS MOIS DU SCRUTIN.

Publié le 26 septembre 2020 , 10:51
Mis à jour le: 26 septembre 2020 10:51 am
Monsieur Bernard Selembi Doudou, l'auteur de l'article. Photo de courtoisie.
Monsieur Bernard Selembi Doudou, l’auteur de l’article. Photo de courtoisie.

 

Bangui, République centrafricaine, samedi, 26 septembre 2020, 16:46:46 ( Corbeaunews-Centrafrique ). Le processus électoral centrafricain géré par l’Autorité Nationale des Élections (ANE) a encore des plombs dans les ailes. Malgré les efforts consentis, des retards se sont accumulés et menacent la tenue des élections groupées à bonne date. L’éventuel glissement du calendrier électoral générateur d’un « vide juridique » justifie légitimement les craintes des forces vives de la nation, de la communauté internationale ainsi que des partenaires au développement. Pour tenter d’éviter l’impasse, le pouvoir a solitairement initié un projet de loi modifiant et complétant certaines dispositions du code électoral récemment promulgué.

 

En conséquence de ce qui précède, l’assemblée nationale a été convoquée en troisième session extraordinaire pour autoriser la modification des délais légaux sans pour autant changer la date initiale du scrutin prévue au 27 décembre 2020. À ce stade, il importe de rappeler que le projet de loi transmis à l’assemblée nationale est juridiquement recevable sur la forme. Après des heures de débats houleux suivi du boycott des parlementaires de l’opposition démocratique, la loi électorale amendée a été adoptée par quatre vingt (80) voix contre douze (12). Désormais l’Autorité Nationale des Élections en sursis dispose d’un délai supplémentaire pour boucler l’enrôlement, publier la liste électorale provisoire et définitive avant la convocation du corps électoral par décret présidentiel.

A contrario, le collectif de l’opposition démocratique ainsi que la société civile qui assimile cette modification à un « charcutier électoral » réclame une concertation inclusive au motif que le délai supplémentaire octroyé ne rattrapera pas le retard de l’ANE et qu’une modification des règles du jeu à quelques jours du dépôt de candidatures est de nature à mettre en péril le processus électoral déjà suffisamment enlisé.

Devant l’immobilisme de ce qui s’apparente à un passage en force, le citoyen lambda s’interroge :

La modification partielle de la loi électorale à trois mois du scrutin est-elle conforme à la légalité constitutionnelle ? Cette modification était-elle opportune, légitime et indispensable ? Peut-on véritablement organiser une élection crédible et apaisée dans le contexte politique actuel ? Pourquoi modifier une loi électorale fraîchement promulguée ? Que cache cette modification du code électoral à trois mois du scrutin ? Compresser le chronogramme électoral en repoussant la date de convocation du corps électoral ne réduit-il pas le délai constitutionnel de convocation du corps électoral de 90 à 45 jours ?

Il a été prouvé par de nombreuses études que le droit électoral n’est traditionnellement crédible que par sa stabilité, ainsi légiférer à sa convenance ne constitue t-il pas une entorse à la démocratie ? Avec cet entêtement incomparable du pouvoir, qu’adviendrait-il en cas de glissement effectif du calendrier électoral ? Que dire du communiqué de presse conjoint UA/CEEAC/NU qui réclame l’enrôlement, le vote des réfugiés et la concertation comme seuls critères fondamentaux pour crédibiliser le processus électoral ? Dans le respect de la notion d’ ingérence, ce communiqué de presse conjoint UA/CEEAC/NU confirme t-il tacitement le caractère illégal de cette modification ? Enfin, que se passera-t-il si la noble Cour constitutionnelle déclare cette modification d’inconstitutionnelle ?

Au delà de ces multiples interrogations, il urge de souligner que la célèbre notion de la « hiérarchie des normes » a été malmenée car cette modification de la loi électorale à trois mois du scrutin porte une atteinte grave aux dispositions de l’article 23-5 de la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui énonce que : « tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique est interdit… ». Nous tenons à rappeler que la Centrafrique est signataire de cette charte africaine depuis le 28 juin 2008, la ratification le 24 avril 2017 et par voie de conséquence est tenue de respecter ses engagements internationaux.

La constitution du 30 mars 2016 encore en vigueur s’est inscrite dans cette logique en inscrivant à son article 94 les dispositions suivantes : « les accords ou traités régulièrement ratifiés ou approuvé ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois sous réserve pour cet accord ou traité de son application par l’autre partie ». La lecture synoptique de cette disposition constitutionnelle définit trois (3) conditions aux traités internationaux de s’imposer aux lois nationales qui lui sont postérieures. Elle exige d’abord que les traités soient régulièrement ratifiés, ensuite publiés et enfin la réciprocité de son application par les autres parties. Vraisemblablement, ces trois conditions sont réunies dans le contexte centrafricain.

La jurisprudence administrative s’est également invitée à travers le célèbre arrêt de principe NICOLO rendu par le conseil d’état le 20 octobre 1989 qui consacre la suprématie des traités internationaux sur les lois nationales qui lui sont postérieures c’est à dire que le législateur en adoptant une loi contraire à un traité préexistant méconnaît ou transgresse la hiérarchie des normes fixée par l’article 94 de la constitution centrafricaine. Faisant l’économie des faits, cet arrêt donne la possibilité au juge administratif d’écarter l’application d’une loi non conforme aux traités internationaux.

Ainsi, se référant aux dispositions de l’article 98 de la constitution « toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de cette loi révisée par l’assemblée nationale ». Par ailleurs, l’enrôlement d’un chef de guerre étranger, le grand meurtrier du peuple jette un discrédit sur la fiabilité du processus électoral. Si l’opposition démocratique était de mauvaise foi ou ne voulait pas aller aux élections, elle devrait saisir cette opportunité pour réclamer le nettoyage du fichier électoral voire l’audit pour crédibiliser le processus électoral. A contrario, les scénarios multiformes du pouvoir dans ce processus sont nombreux et variés que cela dévoile les intentions malveillantes du pouvoir à mettre au pied du mur tous les principaux acteurs du processus électoral et de vouloir aller en solo au scrutin.

Pour finir, nous tenons à rappeler aux uns et aux autres que le patrimoine commun qui nous unit est largement au dessus de ce qui nous divise et par conséquent une solution consensuelle et concertée s’impose pour confirmer notre maturité politique, facteur indispensable de l’épanouissement et de l’émergence de notre chère patrie.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites surtout pas que c’est moi.

 

Paris le 25 septembre 2020.

Bernard SELEMBY DOUDOU.

Juriste, Administrateur des élections.

Tel : 0666830062.

 

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