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Dossier spécial : souffrance et torture, le chauffeur des Wagner pris au piège, pieds tirés et cri sans écho

Dossier spécial : souffrance et torture, le chauffeur des Wagner pris au piège, pieds tirés et cri sans écho

 

L'un des chauffeurs des camions transportant des équipements d'exploitation minière de Wagner à quelques kilomètres de Ndachima, non loin de Bambari. CopyrightCNC
L’un des chauffeurs des camions transportant des équipements d’exploitation minière de Wagner à quelques kilomètres de Ndachima, non loin de Bambari. CopyrightCNC

 

 

Bangui, 04 janvier 2024 (CNC) – La République centrafricaine, malgré sa richesse en ressources naturelles, reste en proie à des conflits persistants, exacerbés par la présence de groupes paramilitaires tels que le groupe Wagner. Ces mercenaires russes, agissant sous couvert de sécurité privée, ont été impliqués dans diverses affaires controversées, notamment l’exploitation et la maltraitance des travailleurs centrafricains. Parmi ces travailleurs, les chauffeurs de camions de Wagner ont été particulièrement touchés, confrontés non seulement à des conditions de travail précaires mais aussi à des actes de violence arbitraires. Ce dossier spécial se penche sur le récit poignant d’un chauffeur qui, bien qu’il n’ait pas été personnellement arrêté pour vol, a été témoin de l’arrestation traumatisante de ses collègues à Grimari et qui, par peur, a décidé d’abandonner son travail.

 

Le récit douloureux dun chauffeur

 

Notre chauffeur, stationné à Ndachima pour son travail habituel de transport de carburant, n’était pas présent lors de l’arrestation dramatique de ses collègues à Grimari. Cependant, l’écho de cet événement a résonné jusqu’à lui, introduisant un sentiment d’angoisse et de peur. Son récit débute avec le moment où il a appris, à travers les récits des autres, le sort effroyable réservé à ses collègues, capturés et accusés faussement de vol de carburant sans preuve.

 

Alors qu’il s’apprêtait à quitter Ndachima, le chauffeur a eu un échange déchirant avec l’un de ses 6 collègues arrêtés depuis Grimari, et qui ont été ramenés à Ndachima pour être incarcéré dans un conteneur sur le site. Ce collègue, dans un moment de désespoir, a partagé son expérience traumatisante et a exprimé sa crainte mortelle. Il a imploré le chauffeur de prévenir sa famille à Bangui de la situation et de les avertir qu’en  l’absence de nouvelles, il pourrait être mort. Cette rencontre a été un tournant pour le chauffeur, le confrontant directement aux horreurs que Wagner était capable d’infliger.

 

À l'entrée de la ville de Grimari
À l’entrée de la ville de Grimari, dans la préfecture de la Ouaka, au centre de la République centrafricaine. Photo CNC

 

La spirale de la peur et la décision :

 

Secoué par cette conversation et réalisant l’ampleur du danger qui pesait non seulement sur ses collègues mais aussi sur lui-même, le chauffeur a été submergé par la peur. La brutalité et l’inhumanité dont Wagner était capable ne faisaient plus aucun doute. Face à cette révélation effrayante, il a commencé à envisager sérieusement de quitter son emploi, craignant pour sa propre vie et ne voulant pas devenir une autre victime silencieuse de cette tragédie.

 

La lourde décision de partir :

 

De retour à Bangui, le chauffeur a été Confronté à un choix déchirant entre la sécurité et la subsistance, il a dû peser ses options dans un contexte de peur omniprésente. Sa décision de partir n’était pas sans risques, car quitter Wagner pouvait en soi être dangereux. Cependant, l’urgence de se soustraire à la portée de leur cruauté a finalement pesé plus lourd dans la balance. Ce choix difficile marque le début de son voyage vers une sécurité incertaine mais nécessaire.

 

Le chauffeur prisonier - malade des mercenaires russes sous surveillance du policier de l'OCRB à l'hôpital
Le chauffeur prisonier – malade des mercenaires russes sous surveillance du policier de l’OCRB à l’hôpital

 

L’ambition de fuir et l’embûche traumatique

 

Confronté à la brutalité et à l’incertitude constante, notre chauffeur avait pris une décision difficile mais nécessaire pour sa sécurité et son bien-être : il devait quitter son emploi chez Wagner. Cette ambition était née d’une peur profonde et légitime, renforcée par les récits horrifiants de ses collègues et l’atmosphère oppressante de son environnement de travail.

 

La fuite déjouée et l’enfer de la torture

 

Après avoir exprimé son désir de quitter son travail au chef de Wagner à Bangui, un piège sournois a été ourdi contre lui. Sous prétexte de paiement de salaire, tous les chauffeurs, y compris lui, ont été convoqués. C’était une ruse ; le véritable objectif était de cibler et capturer notre chauffeur qui souhaitait démissionner.

 

Lembuscade et la tentative de fuite :

 

Lorsque les chauffeurs sont arrivés, notre chauffeur a rapidement senti que quelque chose n’allait pas. Dès qu’il a réalisé qu’il était ciblé, il a tenté de fuir, mais c’était trop tard. Les Wagner ont ouvert le feu, le blessant gravement aux jambes pour l’empêcher de s’échapper. Dans un état de choc et de douleur, il a été forcé dans un véhicule aux vitres fumées et emmené loin des regards.

 

La détention et la torture au camp de Roux :

 

Arrivé à la prison militaire du camp de Roux, le chauffeur a été soumis à une torture inhumaine pendant plusieurs jours. Chaque moment était un supplice, chaque cri un écho de son désespoir. La solitude de sa cellule n’a été rompue que par l’arrivée des six collègues, précédemment arrêtés à Grimari et qui avaient eux aussi subi des tortures à Ndachima.

 

La solidarité dans la souffrance :

 

Dans cette sombre cellule des Wagner au camp de Roux, les sept chauffeurs se sont retrouvés, partageant non seulement leur espace mais aussi leur douleur et leurs histoires. Ensemble, ils ont enduré des jours de tortures incessantes, une épreuve qui a renforcé leur résolution de témoigner contre les horreurs qu’ils avaient vécues. Malgré leur souffrance, une lueur de solidarité et de force collective a émergé, forgeant un lien indélébile entre eux.

 

Un véhicule de patrouille de l'OCRB devant l'école nationale de la police à Bangui. Photo CNC / Anselme Mbata
Un véhicule de patrouille de l’OCRB devant l’école nationale de la police à Bangui. Photo CNC / Anselme Mbata

 

De lOCRB à la prison de Ngaragba : un parcours judiciaire troublant

 

Après avoir enduré des jours de torture au camp de Roux, les sept chauffeurs ont été relâchés, mais leur calvaire était loin d’être terminé. Ils ont été transportés à l’Office central de répression du banditisme (OCRB), où ils ont été de nouveau placés en détention. Dans ces locaux, ils ont attendu, incertains de leur sort, portant encore les cicatrices physiques et psychologiques de leur récente torture.

 

Un passage au tribunal sans justice :

 

Après plusieurs jours à l’OCRB, les chauffeurs ont été conduits au tribunal. Cependant, dans ce lieu où ils espéraient trouver justice et écoute, ils ont été confrontés à un nouveau type d’indifférence. Le procureur et les juges ne les ont pas entendus, ignorant leurs récits et leurs souffrances. Menottés et traités comme des criminels sans droit à la parole, ils ont été rapidement écartés et informés qu’ils seraient placés en détention provisoire.

 

Le transfert à la prison de Ngaragba :

 

À la fin de cette journée éprouvante, on leur a annoncé qu’ils seraient envoyés à la prison centrale de Ngaragba, un endroit tristement célèbre pour ses conditions difficiles. À leur arrivée, le chauffeur blessé à la jambe a attiré l’attention du chef de la prison. Reconnaissant qu’un hôpital, et non une cellule, était le lieu approprié pour un homme dans un tel état, il a insisté pour que le chauffeur soit envoyé pour recevoir des soins médicaux.

 

Le traitement à lhôpital et le destin des six autres :

 

Le chauffeur a été transporté à l’hôpital où il a passé cinq jours en traitement, une période pendant laquelle il a commencé à se remettre de ses blessures, mais pas de ses traumatismes. Pendant ce temps, les six autres chauffeurs, toujours accusés de vol de carburant, ont été placés à la maison d’arrêt de Ngaragba, où ils sont restés emprisonnés, victimes d’une justice qui semblait sourde à leurs appels et indifférente à leur sort.

 

La liberté à un prix : corruption et conséquences

 

Le magistra Benoit Narcisse Foukpio, Procureur de la République près TGI Bangui
Le magistra Benoit Narcisse Foukpio, Procureur de la République près TGI Bangui

 

Le paiement pour la liberté :

 

Après une semaine passée à l’hôpital à se remettre de ses blessures et de ses tortures, le chauffeur se retrouvait face à un nouveau défi : obtenir sa liberté. Conscient de la corruption qui imprégnait le système, il a pris la décision douloureuse de payer le procureur. Cet acte désespéré n’était pas un choix mais une nécessité pour échapper à la persécution continue et aux menaces qui pesaient sur lui.

 

La corruption au sein de lOCRB :

 

Sa lutte pour la liberté ne s’est pas arrêtée là. Même après avoir quitté l’hôpital, le chauffeur a dû naviguer dans un réseau de corruption, payant les policiers de l’OCRB pour assurer sa sécurité et sa liberté. C’était un prix élevé à payer, mais dans un système où la justice semblait lointaine et inaccessible, c’était la seule option qu’il croyait avoir.

 

Dehors mais pas libre :

 

Une fois dehors, le chauffeur a ressenti un mélange de soulagement et de frustration. Il était libre de la détention et de l’hôpital, mais la corruption et la peur continuaient de le hanter. Sa liberté était fragile, obtenue à un coût financier et moral élevé.

 

Le témoignage et sa résonance :

 

Déterminé à faire connaître son histoire et celles de ses collègues, le chauffeur a partagé son témoignage, qui a été rapidement diffusé sur les réseaux sociaux. Son récit a touché de nombreuses personnes, suscitant indignation et compassion. Ce partage n’était pas seulement une catharsis pour lui mais aussi un appel à l’action, un espoir que la lumière jetée sur ces abus pourrait conduire à un changement et à une justice pour tous ceux qui ont souffert en silence.

 

Un des camions de mercenaires de Wagner transportant des bois scellés frauduleusement entrant dans son parking au camp militaire de Kassaï à Bangui
Un des camions de mercenaires de Wagner transportant des bois scellés frauduleusement entrant dans son parking au camp militaire de Kassaï à Bangui

 

Des conditions de travail Inhumaines et une politique de responsabilisation extrême

 

Ce récit du chauffeur victime ne fait que commencer à dévoiler la réalité quotidienne des chauffeurs travaillant pour Wagner. Ils opèrent dans un environnement où le danger est omniprésent, non seulement à cause des conditions de route difficiles et des risques liés au transport de matériaux potentiellement dangereux, mais aussi en raison de la menace constante de violence de la part de leurs employeurs. Les conducteurs sont pris dans un étau, entre les exigences physiques de leur travail et la pression psychologique exercée par Wagner.

 

Selon les témoignages de nombreux chauffeurs, Wagner refuse d’accepter la notion d’accident. Pour eux, chaque incident est imputable au conducteur, indépendamment des circonstances. Cette politique de responsabilisation extrême met les chauffeurs dans une position vulnérable où la moindre erreur, souvent hors de leur contrôle, peut entraîner des conséquences fatales. Le récit du chauffeur souligne cette réalité impitoyable, où chaque journée de travail pourrait être la dernière.

 

Les chauffeurs parlent de violences physiques régulières, une réalité choquante mais quotidienne pour ceux qui travaillent sous Wagner. Les retards, les accidents, ou même simplement la fatigue peuvent devenir des motifs de punitions brutales. Le chauffeur, à travers son témoignage et celui de ses collègues, peint un tableau de terreur et de désespoir. Ces récits ne sont pas seulement des histoires individuelles de souffrance mais reflètent une culture de brutalité systémique.

 

Silence et complicité : la réaction officielle

 

Face aux récits troublants des chauffeurs torturés, une attente lourde plane sur les réactions du gouvernement et des autorités. Pourtant, ce qui résonne le plus fort, c’est leur silence. Au lieu de paroles de soutien ou de promesses d’action, il y a un vide assourdissant. Les autorités semblent fermer les yeux, se murer dans un silence total face à la souffrance de ces hommes.

 

Les chauffeurs, accusés et emprisonnés, sont traités comme des criminels, non pas comme des victimes d’un système brutal. Le gouvernement, dont le régime est protégé par Wagner, semble être paralysé ou indifférent. Cette absence de prise de parole, cette absence de prise en charge, trahit une complicité tacite. Wagner, partenaire direct du gouvernement, continue ses opérations, protégé par un manteau de silence officiel.

 

Cette situation soulève des questions profondes sur la justice et la responsabilité. Comment un gouvernement peut-il rester silencieux alors que son peuple souffre ? Comment peut-il traiter ceux qui crient à l’aide comme des criminels ? Ce silence n’est pas seulement une absence de mots; c’est un acte qui parle plus fort que des paroles. C’est une indication d’un régime qui choisit de “fermer sa gueule”, laissant ses citoyens endurer des injustices sans fin.

 

C’est dans ce contexte que les organisations des droits de l’homme et les citoyens concernés élèvent leur voix. Ils refusent d’accepter ce silence comme la norme. Ils appellent à une action, à une responsabilité, et à un changement. Car dans un silence assourdissant, même un murmure de vérité peut devenir un cri de révolution.

 

Vers un avenir de justice et de dignité

 

Ce dossier spécial de Corbeaunews-Centrafrique a mis en lumière plus que des récits de souffrance; il a révélé une fracture profonde dans notre système de valeurs et de justice. Les histoires de ces chauffeurs ne sont pas des incidents isolés mais des symptômes d’un malaise plus vaste. Elles nous interrogent sur le type de société que nous souhaitons être.

 

La prise de conscience est la première étape, mais elle ne peut être la dernière. Chacun de nous est appelé à s’engager, à questionner, à agir. Que ce soit en soutenant les organisations de défense des droits, en exigeant des comptes à nos représentants ou simplement en partageant ces récits, nous pouvons tous contribuer à un avenir meilleur.

 

L’espoir réside dans notre capacité collective à transformer l’indignation en action. Comme les chauffeurs qui ont partagé leurs histoires malgré la peur et la douleur, nous devons trouver le courage de parler et d’agir. Ensemble, nous pouvons bâtir un monde où la justice n’est pas un idéal lointain mais une réalité tangible, où la dignité de chaque être humain est respectée et protégée.

 

Ce dossier spécial de Corbeaunews-Centrafrique se termine ici, mais l’histoire continue. Que ces mots soient un début, pas une fin, et que l’engagement qu’ils appellent résonne bien au-delà de ces pages.

 

Par Alain Nzilo

Directeur de publications

Corbeaunews Centrafrique

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