RDC : l’interminable combat contre Ebola

Publié le 28 mai 2019 , 5:56
Mis à jour le: 28 mai 2019 5:56 am

 

 

La République démocratique du Congo (RDC) continue d’affronter la dixième épidémie à virus Ebola, la plus meurtrière que le pays n’a jamais connue depuis la découverte de la maladie en 1976.

Ce sombre épisode de la santé publique en RDC s’est déclenché le 1er août 2018 dans la province du Nord-Kivu, dans l’est du pays, avant de se propager en Ituri, voisine, faisant 1270 morts, parmi 1 903 personnes infectées, chiffre arrêté le 25 mai 2019, mais réservé à la hausse, compte tenu de la tendance des décès et des infections.

Sur place, des dizaines d’experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), déployés dans les centres de soins, mènent le combat non seulement contre Ebola, mais aussi contre la menace sécuritaire et un certain refus social, rendant leur mission encore plus difficile.

“On nous prend pour des maquisards venus s’enrichir sur les dos des morts d’Ebola et on nous agresse, on nous tue, on nous maudit chaque seconde”, témoigne, Dr Alexis Ndiaye, avant de rejoindre l’est de la RDC.

Ce spécialiste ouest-africain est affecté dans la ville de Butembo, deuxième grande agglomération urbanisée de la province du Nord-Kivu.

L’épidémie inquiète les deux pays voisins de la province du Nord-Kivu, l’Ouganda et le Rwanda. Ils ont commencé à vacciner leur personnel de santé depuis six mois.

Lorsque les experts nationaux et internationaux avaient été déployés, en août 2018, par l’OMS et Kinshasa “nous étions sûrs de maîtriser l’épidémie dans un mois. Mais nous sommes vite passés d’une phase embryonnaire à une situation explosive”, décrit auprès d’Anadolu, le professeur Jean-Jacques Muyembe, l’un des chercheurs ayant découvert pour la première fois, en 1976, le virus Ebola dans un village du Nord-ouest de la République démocratique du Congo ( Ex – Zaïre).

A Kinshasa, Muyembe dirige l’Institut national de recherche biomédical (INRB) et participe activement à la riposte contre l’épidémie qui frappe les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.

La situation est “insaisissable”, affirme Muyembe. Et pour cause : “des malades ne veulent pas se faire soigner, ils considèrent Ebola comme un effet de la sorcellerie et préfèrent contacter des féticheurs”.

L’épicentre de la maladie était à Mangina avant de se déplacer à la ville de Beni, mais actuellement ces entités ne rapportent plus beaucoup des cas.

L’épicentre s’est alors déplacé à Butembo, située à deux heures de route de Beni, fief des rebelles ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF), auteurs de massacres cycliques contre des civils et d’attaques contre les soldats congolais et les Caques bleus de l’ONU.

A elle seule, Butembo et sa zone de santé de Katwa, elle a enregistré 50 % des décès, constate-t-on sur le tableau récapitulatif de l’équipe de riposte qui attribue 231 décès à Butembo et à Katwa.

Cette ville de plus d’un million d’habitants est entourée de plusieurs localités servant de foyers pour les milices d’autodéfense ethniques dites “Mai-Mai”.

Ces dernières s’attaquent aux centres de traitement d’Ebola (CTE) depuis janvier dernier.

Le ministère congolais de la Santé a fait état de 132 attaques contre les équipes de riposte et structures sanitaires depuis le début de l’épidémie.

Un pic de nouveaux cas et de décès a été observé ces derniers mois à Butembo et à Katwa, après une série d’attaques contre les CTE.

En avril dernier, les miliciens ont franchi un pas et ont été accusés d’avoir abattu un épidémiologiste camerounais déployé par l’OMS, lors d’un assaut contre les cliniques universitaires de Butembo.

“Depuis, il n’est plus facile pour nous et l’OMS de convaincre des spécialistes expatriés de se rendre dans des zones épidémiques”, regrette le ministre congolais de la Santé, Oly Ilunga, joint par Anadolu.

Une chose est indiscutable pour Ilunga : “Si les communautés locales n’arrêtent pas d’agresser les agents de santé et de tuer les médecins, cette épidémie durera pendant très longtemps et des milliers de vies seront fauchées”, explique le ministre.

Dans le territoire de Beni qui ne rapporte plus beaucoup de cas, “certains groupes armés avaient accepté de collaborer avec nous”, mais dans celui de Lubero [dont Butembo est la plus importante agglomération], des hommes armés ne coopèrent pas”, affirme le ministre, peu optimiste.

Une seule chose détend ses nerfs : “Nous avons réussi à empêcher une tragédie, l’urgence sanitaire internationale n’a pas été décrétée et l’épidémie ne s’est pas étendue au-delà de deux provinces, mais le risque de propagation reste très élevé”.

Mieux, le nombre de personnes guéries du virus a atteint les 492 au 26 mai 2019 et la vaccination se poursuit malgré les conditions défavorables.

Plus de 124 mille personnes ont été jusque-là vaccinées. Mais, au stade où en sont les choses, la riposte nécessite encore plus de moyens selon l’OMS.

“Le plus grand combat n’est pas contre le virus Ebola, mais plutôt contre les rumeurs, la désinformation et les croyances locales”, précise Dr Alexis Ndiaye.

La plus meurtrière épidémie d’Ebola de l’histoire est celle qui a frappé trois pays de l’Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016, la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia. Elle avait fait plus de 11 000 morts sur quelque 29 000 malades, d’après l’OMS.

“Cette épidémie avait fait trop de dégâts humains à cause de la forte mobilité, mais il n’y avait pas de résistance communautaire”, selon Alexis.

L’actuelle épidémie congolaise “va encore durer. Le nombre de morts devrait atteindre ou dépasser le seuil des 2000 vers la fin de l’année si les communautés de Butembo et d’ailleurs n’adhérent pas davantage”, affirme le médecin.

Soldats, policiers, agents de santé, guéris d’Ebola, agents de sensibilisation participent à la riposte qui est également compromise par le sous-financement.

L’OMS affirme n’avoir reçu que quelques dizaines de millions de dollars, représentant la moitié des fonds demandés.

Ce déficit de financement pourrait l’amener à annuler certaines activités de riposte.

Ebola a su bousculer la culture dans la région : les populations ne se serrent plus les mains pour se saluer, les rites funéraires ne sont plus observés car le contact avec les dépouilles est une source certaine de contamination.

Et certaines personnes commencent à saisir le mouvement autour d’Ebola pour en faire un business.

Certains commerces ont profité, en effet, de la lutte contre Ebola, pour causer une flambée des prix sur le marché.

L’afflux des expatriés des ONG internationales et des agents du ministère de la Santé fait circuler les billets dans les circuits économiques.

Les hôtels sont pleins, des jeeps 4×4 affluent de toutes les villes voisines pour être louées aux organisations intervenant dans la riposte.

Comme si « le mal des uns faisait le bonheur des autres ! ».

 

Avec AA

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