RCA : Jean-Jacques DEMAFOUTH MAFOUTAPA, du CNRI au coup d’État du 28 mai 2001

Publié le 6 mai 2020 , 1:07
Mis à jour le: 6 mai 2020 1:16 am

jean jacques demafouth decore les militaire comme ministre de la defense

 

(Suite de la première partie)…

 

Après l’élection de Patassé, Demafouth officie en qualité de conseiller juridique à la Présidence. Il entretient des liens avec des responsables français (notamment Bruno Delaye, conseiller pour les affaires africaines à la Présidence et Michel Roussin, Ministre français de la Coopération). En mars 1994, Demafouth tente de récupérer les biens immobiliers et les comptes en France de l’ex-empereur Jean-Bedel Bokassa. Le 28 mars 1le conseiller du président saisi ainsi le cabinet Jeantet & Associés pour entamer une procédure d’exequatur afin que la condamnation le 12 juin 1987 de Jean-Bedel Bokassa, par la Cour criminelle de Bangui puisse permettre de récupérer ses propriétés en France.  Demafouth épouse l’avocate Danièle Darlan, professeur en droit à l’Université de Bangui.

Il dirige le Centre national de recherche et d’investigation (CNRI) créé le 28 janvier 1995, par décret N° 95.031 par le président Patassé. Rattaché à la Présidence, le CNRI est doté d’une autonomie financière et d’une brigade d’intervention pour mener des recherches tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire national. Cette structure permet de mener des enquêtes de police en lien avec le parquet conjointement avec la gendarmerie et de l’armée.

Le 18 mai 1996, débute ce que l’on a appelé la « deuxième mutinerie » lorsque se propage la rumeur que l’armurerie du camp Kassaï, la base du Régiment de Défense Opérationnelle du Territoire (RDOT), passerait sous le contrôle de la Garde présidentielle. Durant ces événements qui durent une dizaine de jours et impliquent plusieurs centaines de militaires avec de violents combats, Demafouth se réfugie à l’ambassade de France jusqu’au 24 mai 1996, en excipant de sa double nationalité, française et centrafricaine. Sous la pression de Paris, le gouvernement de Koyambounou sera contraint à la suite de ces évènements de céder sa place à un Gouvernement d’Union Nationale (GUN), dirigé par Jean-Paul Ngoupandé qui prend fonctions le 30 Juin 1996. Les rapports entre le Chef du Gouvernement, son Directeur de Cabinet Karim Meckassoua, et les caciques du MLPC sont exécrables et certains ministres référent directement au Président de la République sans passer par le Premier Ministre Ngoupandé. C’est dans ce contexte que le 19 Janvier 1997, Karim Meckassoua : sortant d’une réunion avec le général malien ATT dans le cadre de la médiation africaine, est arrêtéinte du Palais Présidence par le capitaine Yossé de la Garde présidentielle, à la demande de Me Jean Jacques Demafouth. Tandis que son chauffeur est passé à tabac, il est conduit dans les locaux de la Garde Présidentielle et longuement et violemment interrogé. Ces évènements interviennent juste avant qu’un nouveau gouvernement dirigé par Michel Gbezera-Bria ne soit formé le 30 Janvier 1997.

Demafouth se distingue aussi à la tête du CNRI par l’arrestation de journalistes comme le rédacteur en chef du journal « Le Novateur » qui passe de sales moments en prison, par l’instruction de « dossiers de corruption » sans lendemains judiciaires, comme celui de l’ex-Ministre Charles Massi en Janvier 1998 et celui du général Ndayen, Ministre délégué à la Défense pour la restructuration de l’armée, désigné à ce poste par les mutins ou encore par l’élimination d’éléments comme celui du colonel Alphonse Rehote. Ce poste au CNRI lui permet par ailleurs d’octroyer des promotions à certains de ses éléments membres des forces armées, notamment celles de Guy Bertrand Damango, adjudant puis commandant la brigade territoriale de Bangui ou celle du lieutenant Alfred Service. Demafouth dirige le CNRI jusqu’à sa dissolution le 5 mars 1998, date à laquelle il se consacre notamment à ses activités de Président du Conseil d’Administration de la Société centrafricaine des télécommunications (SOCATEL) et de Président de la commission d’arbitrage du MLPC.

Une fois passées les élections présidentielles de Septembre 1999, un nouveau gouvernement est formé dans lequel Jean-Jacques Demafouth est nommé Ministre de la Défense. Lors de la campagne de ces élections, la tension fut palpable entre les militants du MLPC et ceux du RDC dans la préfecture de la Basse-Kotto. Début Novembre, des responsables MLPC viennent se plaindre au Président Patassé que des militants du MLPC sont victimes de violences de la part d’une bande armée qui sévit aux alentours de Kembé. Le Ministre de la Défense décide alors de l’envoi d’une mission dans la zone en vue de remettre de l’ordre. Lors de cette opération, le lieutenant Alfred Service prend la tête d’un commando de l’Unité de sécurité présidentielle (USP) auquel se joint le Ministre de la Défense lui-même.  Ils se rendent à Kembé avec deux véhicules de l’armée et une trentaine d’éléments. Au cours de cette expédition, dans la nuit du 18 au 19 novembre 1999, le Lieutenant Antoine Bodot, le maréchal de logis chef Apollinaire Hondet, commandant de la brigade de gendarmerie de Kembé ainsi que trois autres personnes seront assassinés. Apollinaire Hondet fut ainsi conduit de Kembé vers Grimari où il fut torturé avant d’être mis à mort. Son corps, enterré dans un village situé entre Sibut et Grimari fut exhumé par la suite par la famille pour les funérailles à Bangui. Cette initiative sous forme d’expédition punitive entraîne la colère de la Primature et de la Présidence qui digèrent très mal le bilan macabre de cette funeste expédition aux lendemains des élections…

La tentative de coup d’Etat survenue dans la nuit du 27 au 28 Mai 2001 a longtemps été présentée comme une aventure exclusive d’André Kolingba. Mais Jean-Jacques Demafouth fomentait lui aussi un projet de renversement du régime. Les soupçons des cadres du régime contre Demafouth seront tels qu’il sera démis de ses fonctions fin Août 2001 accusé d’avoir fomenté « un coup d’Etat dans le coup d’Etat. »

Au petit matin du 28 Mai 2001, le général François Bédaya Ndjadder (alors Directeur Général de la gendarmerie et ultime rempart pour la protection du régime) est grièvement blessé au niveau de l’Université de Bangui. Au cours de cette embuscade organisée par Demafouth, c’est le sergent-chef Anatole Ngaya, chauffeur et garde du corps de Ndjadder qui tire sur ce dernier. Bien que blessé, Ndjadder arrive à contacter l’ambassadeur de France et Patassé pour être secouru et conduit à l’hôpital communautaire où il décédera quelques heures plus tard…

Dans l’après-midi du 29 Mai, alors que le coup d’Etat était en train d’échouer, le général André Kolingba est manipulé par Jean-Jacques Demafouth qui lui fait croire que Patassé est décédé. Le Ministre de la Défense pousse à ce moment André Kolingba à se démasquer, probablement pour se couvrir des accusations de coup d’Etat auxquelles il fera finalement face quelques mois plus tard. Kolingba tombe naïvement dans le piège et revendique la paternité du coup d’Etat à travers une déclaration sur les antennes de la Radio France Internationale.

Ndjadder éliminé, Jean-Jacques Demafouth tente une manœuvre le 2 Juin 2001 pour tuer le chef d’Etat-major de l’armée Bozizé en lui demandant de venir faire le constat de la maison d’André Kolingba. Cependant, Bozizé est méfiant et il demande au colonel Abel Abrou chef d’Etat-major de l’armée de terre de se rendre à Ouango. A son arrivée, les assassins qui le prennent pour Bozizé ouvrent le feu…

Beaucoup d’exécutions sommaires sont commises à la suite de l’appel lancé par Jean-Jacques Demafouth, qui demande aux populations de revenir dans la ville de Bangui et aux rebelles et loyalistes de regagner leurs camps. C’est souvent à l’occasion de ces retours volontaires que les civils sont exécutés, parfois par ds frères d’armes, dans les locaux de la police, de la gendarmerie ou dans les camps militaires. C’est dans ces conditions que le Lieutenant-Colonel de gendarmerie Alphonse Konzi par exemple est exécuté…Demafouth expliquera tranquillement aux enquêteurs de la FIDH que des douilles ont été retrouvées devant le portail de la concession des Bangazoni ce qui entraînera la mort de Léon Bangazoni, décapité ainsi que son fils qui sera lui aussi tué…

Le Ministre de la Défense annonce le 7 Juin 2001 que toute la capitale est sous le contrôle de l’armée loyaliste et Jean-Pierre Bemba ordonne le départ de ses troupes de Bangui, estimant que leur mission aux côtés des forces loyalistes est « terminée ».

Le 11 Juin 2001, une Commission d’Enquête Judiciaire présidée par le Procureur Général Joseph Bindoumi est créée pour investiguer sur la tentative de coup d’Etat du 28 Mai. Dans la nuit du 5 au 6 Juillet 2001, le chef de la sécurité du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à Bangui Jean-Pierre Lhommée, un ancien colonel de l’armée française est tué par balles. Cet assassinat entraîne le classement du pays en catégorie 3 dans l’échelle des risques de l’ONU, ce qui interdit la présence des familles d’expatriés et les missions de l’extérieur. Jean-Pierre Lhommée, ancien colonel des Éléments français d’assistance opérationnelle (EFAO) est alors le seul fonctionnaire étranger habilité à circuler pendant cette période de couvre-feu au cours de laquelle de nombreuses exécutions extrajudiciaires sont maquillées en vols à main armés. D’après la Commission Mixte d’enquête judiciaire, un document prétendument tiré de l’ordinateur du colonel Lhommée aurait indiqué que plusieurs diplomates et hautes autorités étrangères étaient impliqués dans le coup d’Etat du 28 Mai 2001. Le Procureur Général Joseph Bindoumi expliquera aux délégués Amnesty International que c’est pour cette raison que le Ministre de la défense a donné l’ordre d’exécuter Jean-Pierre Lhommée.

Jean-Jacques Demafouth à qui l’on reproche « une passivité incompréhensible de l’armée » au cours de cette tentative de coup d’Etat est finalement démis de ses fonctions et placé à la disposition de la justice le 27 Août 2001 sur la base de conversations enregistrées dans lesquelles Demafouth demande à Bemba 600 hommes qui devait traverser le fleuve le dimanche soir pour « l’aider à prendre le pouvoir ». Il s’avère en effet que Demafouth a plusieurs fois appelé Bemba sur son satellitaire et que les enregistrements de ces conversations ont fini par fuiter entraînant son arrestation…

En Février 2002, le procès des putschistes du 28 mai 2001 débute devant la Cour criminelle. L’ancien ministre de la Défense, et 80 autres co-accusés comparaissent devant cette juridiction. Jean-Jacques Demafouth notamment défendu par Me Nicolas Tiangaye est jugé pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État. Alors que le procureur en chef, Joseph Bindoumi réclame de la cour l’imposition d’une sentence de 20 ans d’emprisonnement contre Demafouth, celui-ci est finalement acquitté par la Cour Criminelle le 7 octobre 2002 « au bénéfice du doute ».  Evoquant l’une des principales pièces de l’accusation, une écoute téléphonique entre Demafouth et le chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba, la Cour Criminelle estime que « l’intérêt de cet élément vise la matérialité du complot d’un autre projet de coup d’Etat qui se détache du crime dont l’accusation a déterminé d’une manière précise les circonstances ».

 

A suivre…

 

Par : Emmanuel LIMBASSA

 

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