Centrafrique : La « françafrique » en question, à bâtons rompus avec un connaisseur de l’Afrique, Laurent Foucher

Publié le 14 mars 2017 , 8:42
Mis à jour le: 14 mars 2017 8:42 pm

Centrafrique : La « françafrique » en question, à bâtons rompus avec un connaisseur de l’Afrique, Laurent Foucher

France Afrique

 

Bangui, le 15 marss 2017.

Par : Fred Krock, CNC.

La « françafrique », quoique l’on dise reste un courant très critiqué, et par les africains, et par certains observateurs de la vie politique du continent. Dans cette interview exclusive, un ‘’connaisseur’’ de l’Afrique, M. Laurent Fourcher est revenu sur les enjeux de ce courant.

Q : M. Laurent Foucher, Bonjour ! Vous vous êtes fait parlé de vous en Afrique et en particulier en République centrafricaine depuis quelques années. Qui est donc M. Foucher ?

LF : Bonjour. Je suis sensible à votre démarche et je comprends vos interrogations. Je suis, par mes activités, amené à me retrouver sur le devant de la scène. On sait aussi que les hommes d’affaires suscitent souvent beaucoup de fantasmes, surtout lorsqu’ils opèrent en Afrique. Il est dès lors logique de répondre aux questions de la presse. J’ai accepté cette interview car vous m’avez assuré de votre volonté de dépasser les clichés et les mensonges que je vois parfois circuler sur l’internet ou dans certains blogs. Ces blogueurs sont-ils téléguidés par des individus peu scrupuleux ? Parfois, j’en ai bien l’impression.

Q : Pour nombre de personnalités qui vous connaissent ou qui ont croisé votre chemin, vous êtes un grand connaisseur de l’Afrique et votre amour et votre intérêt pour ce continent ne datent pas d’hier. Aussi, l’on dit que vous avez été très proche de nombreuses personnalités de ce continent, tel l’ancien président sénégalais, Abdou Diouf, ou l’actuel président de l’Angola, Eduardo Dos Santos. Mais on parle également des liens de votre famille avec celle de l’ancien président français, François Mitterrand, ou encore de vos contacts étroits avec d’autres personnalités de divers horizons en Afrique, au Moyen-Orient ou encore en Europe… Cela complète-t-il votre présentation ?

LF : Je vais me permettre de vous répondre en vous disant ce que je ne suis pas. L’Afrique me passionne depuis plus de 35 ans. Pour moi, c’est tout d’abord un continent de beautés naturelles et humaines. J’ai trouvé en Afrique une somme de valeurs que notre civilisation occidentale a oublié depuis des lustres. Tout ce que j’ai fait en Afrique, je l’ai toujours fait avec des hommes et des femmes qui aimaient leurs pays, et me les ont fait également aimés. Ce lien a été tissé au fil des expériences, des réussites et des échecs, mais ensemble, avec ces partenaires devenus amis et intimes.

Tant et si bien qu’aujourd’hui, il y a peu de pays africains qui me sont inaccessibles. J’ai effectivement croisé les personnalités que vous citez. Elles m’ont fait, pour certaines, l’honneur de me faire confiance. Mais je n’ai jamais abusé de cette situation. Je m’occupe de mes affaires dans l’espoir qu’elles proposèrent, et apportent aux pays où nous sommes installés une activité économique bénéfique pour tous. Je n’ai pas d’agenda caché. Mes sociétés ne sont pas des officines destinées à servir tel ou tel intérêt, ou tel ou tel clan. J’aspire à être jugé sur mes investissements, sur leurs résultats, et sur ce qu’ils apportent à la communauté.

Q : Cela montre que vous tentez à vous démarquer de la « Françafrique » tant décriée aujourd’hui pour son mal et son ingérence sur le continent. Pourtant on parle aussi de vos liens avec l’ancien ministre de l’Intérieur français, Claude Guéant, lui même marqué par cet héritage que vous critiquez…

LF : Je n’ai pas grand-chose à dire sur cet héritage car à vrai dire cette expression, la « Françafrique », inventée par feu le président Houphouët-Boigny, qui y voyait la qualité et le lien indéfectible entre la France et ses anciennes colonies, ne m’appartient pas et je n’en ai jamais été ni le colporteur ni le promoteur. Ceci dit, La Françafrique n’est pas un péché. C’est aussi une réalité économique. Il y a, entre la France et l’Afrique, des liens d’affaire privilégiés. La question est de savoir si l’on peut, dans ce contexte, être un entrepreneur sérieux, un bon partenaire des gouvernements, et un faiseur de croissance économique. Si oui, alors j’accepte cette étiquette. La Françafrique a besoin d’être débarrassée de la politique et des rumeurs qui vont avec.

Monsieur Guéant quant à lui est un homme politique et un amoureux de l’Afrique. Je le connais peu, mais ce que je connais de cet homme, nombreux sont ceux qui devraient s’en inspirer, ça les grandirait probablement.

Q : Nous savons ce que vous n’êtes pas, mais cela n’en dit pas plus sur qui vous êtes et surtout ce que vous faites chez nous par exemple, en République centrafricaine.

LF : Depuis de nombreuses années, les investissements de mon associé Nicolas Bourg et moi-même, s’efforcent de répondre aux opportunités. Nous sommes passés des énergies naturelles aux services, des télécoms au financement du sport, soit un prisme très varié et sans synergie de prime abord. Nous sommes présents aujourd’hui, au Congo Brazzaville, au Mali, en Guinée, au Cameroun, au Soudan, en Afrique du Sud et en République centrafricaine. Nous prévoyons dès cette année de nous implanter au Burundi et en Sierra Leone. Et en 2018, en Ouganda et au Rwanda.

Q : Toutes ces activités dans de nombreux pays, ce n’est pas un peu trop pour vous ? Comment gérez-vous cette croissance ? Cet appétit n’est-il pas hors de dimension pour vous ?

LF : Dans chacun de ces pays, nos activités sont souvent en développement. Je vous rappelle aussi que nous partageons cette lourde tâche avec nos partenaires locaux qui sont de vrais opérationnels, des miniers quand on parle de mines, des gens du monde des télécoms quand on parle des télécoms, etc. L’Afrique est une invitation à ceux qui prennent le temps de la comprendre et de l’aimer. Vous y trouvez des compétences dans tous les secteurs, des financements par le développement de banques transcontinentales, des autorités administratives de plus en plus concernées et compétentes.

Nous avons à nos côtés, des partenaires et collaborateurs de plus de 15 pays. Nous manquons cependant de compétences européennes, c’est dommage, car tout ceci est une si belle vie à partager!

Q : Parlez nous un peu de la Centrafrique.

LF : Vous me prenez par les sentiments… Mon préambule est que nous sommes et resterons étrangers, quoique nous fassions ; nous sommes donc invités chez vous. Cela implique un respect réciproque certes, mais de notre côté, nous avons également un devoir moral d’adaptation. J’ai choisi d’investir et de mener d’importantes opérations commerciales en Centrafrique car je crois en votre pays. J’y crois car, malgré les drames que vous venez de vivre, la société centrafricaine reste dynamique, ouverte, résolue à s’en sortir. Il y a chez vous une volonté d’aller de l’avant qui vous honore. Elle n’empêche pas les abus et les problèmes. Ils sont nombreux. Mais comme partenaires, les Centrafricains ne m’ont jusque-là jamais déçu.

Q : Un devoir moral ?

LF : Je m’explique. Lorsque que je viens en République Centrafricaine, quelques jours avant le renversement du Président Bozizé par la rébellion de la Séléka en mars 2013, il n’est question d’aucun investissement dans un pays où la situation est au point zéro. Néanmoins, je découvre un pays incroyable et une population d’une extraordinaire humanité en dépit de circonstances de vie extrêmement précaires. Je suis revenu régulièrement par la suite afin de conserver un lien avec ce pays devenu cher à mon cœur en attendant qu’un gouvernement légitime en prenne les rênes.

Le gouvernement de transition dirigé par le Premier Ministre Kamoun sous l’autorité de la Présidente, Madame Samba Panza, a été pour nous investisseurs, en tout point exemplaire d’efficacité et de dévotion aux intérêts supérieurs du pays.

Je tiens également à souligner ici le travail extraordinaire des chancelleries pendant cette période que j’ai vécue de l’intérieur. L’ambassade de France a été notamment d’une efficacité que seule l’Histoire, lue avec un peu plus de recul, saura lui accorder. On était alors loin de cette « Françafrique », tant nous sommes nombreux à avoir pu admirer le dévouement à sa mission de l’ancien ambassadeur en poste, SEM Charles Malinas.

Q : Il est juste de dire que les actes de ces personnalités ont été souvent salués. Mais en quoi cela a-t-il un lien avec un quelconque devoir moral ?

LF : Je reviens à votre question, mais je ne m’en suis pas tant éloigné que ça.

La question qui se pose à nous dès l’année 2014, est où investir dans un pays, que tous fuient mis à part quelques satrapes et autre mercenaires ? Une leçon tirée de mon expérience, est qu’il faut se tenir à l’écart des secteurs d’activités générateurs de troubles et de conflits, quelqu’en soit l’intérêt financier. En Centrafrique, les secteurs visés sont les mines, avec en principal le diamant, et le pétrole, qui pour moi, a peu d’avenir chez vous.

Il était et sera toujours hors de question de s’intéresser à ces activités chez vous.

Selon moi, les secteurs d’avenir pour la Centrafrique étaient, sont et seront, l’agriculture et les services. L’agriculture car vous fûtes un pays agricole et vous le redeviendrez!

Qui a fourni la feuille de tabac à Cuba pour la fabrication de ses fameux cigares ? La Centrafrique. D’autre part, la situation géographique de votre pays, offre des liaisons aériennes de moins de 1h1/2 vers plus de 10 capitales depuis Bangui ! Bangui, ville Hub aérien ? Oui ! Avec les infrastructures hôtelières et de services de toute nature ! A l’appui d’une production agricole transformée sur place et exportée par les voies aériennes développées par cette nouvelle situation de Hub ? Je ne l’invente pas, cela résulte d’une analyse de bon sens, développée notamment par Madame Koyara, ancienne ministre de l’agriculture et toute première ingénieure agronome diplômée de Centrafrique !

Q : Ce fameux « devoir moral » ne semble pas encore perceptible à ce niveau…

LF : Bien. En résumé, Je n’investirai jamais dans des activités génératrices de dévastation humaine et de conflits armés. Il est de bon ton d’accuser les hommes d’affaires de ne pas avoir de morale, ou d’être prêt à tout pour remporter les contrats. il peut nous arriver de nous battre, en effet, pour obtenir les meilleures performances commerciales possibles. C’est normal. Nos équipes en sont fières. Mais croire qu’une activité comme la nôtre peut être fiable et durable sans se préoccuper de l’environnement moral et politique du pays est une illusion. Nous ne vivons pas en vase clos. Nous n’investissons pas hors-sol. Le développement de la Centrafrique est une condition d’une réussite économique durable pour les entrepreneurs que nous sommes.

Q : C’est donc pour cela que votre premier investissement en Centrafrique a été la reprise de l’Opérateur de téléphonie mobile Telecel ?

LF : Nous n’avons pas repris une société, nous avons repris une « institution ». Tout le monde connaît Telecel. C’est devenu un terme générique pour dire « téléphone portable ».

Nous avons travaillé pendant 2 ans et travaillons encore à remettre ce fleuron de l’industrie centrafricaine sur les rails. Ce sera chose fait cette année. Et les années à venir vont projeter ce « déjà n°1 des Télécoms » dans un cycle de développement très loin devant la concurrence, Orange et Moov en premier lieu. Notre devoir d’investisseurs s’arrêtera là. Mais notre devoir moral va bien au-delà.

Nous avons géré cette « institution » en tenant compte du contexte actuel. Notamment, nous avons refusé tout licenciement. De plus, nous avons financé depuis 3 ans toutes les œuvres et actions destinées à la population et au retour à la paix.

Q : Ainsi, la liste de vos actions sociales est longue, et elles sont souvent généreusement couvertes par nos confrères.

LF : La formation des gendarmes mobiles, les financements des hôpitaux, de l’orphelinat de Bangui, de la Maison de la mère et de l’enfant, des 3 Eglises avec un autre homme extraordinaire issu de votre pays, le Cardinal Dieudonné Nzapalainga…

Q : Et votre « dada », le financement de la fédération nationale de boxe centrafricaine… Pourquoi la boxe ?

LF: J’aime et je pratique la boxe depuis plus de trente ans. Partout où je me trouve, je boxe au propre, comme au figuré.

Plus sérieusement, je défends fermement le sport comme ferment social, comme facteur de cohésion. Tant de valeurs à partager en ces moments de douleurs… Nous avons financé il y a environ 18 mois, en pleine crise, un tournoi de boxe au KM5 ; j’ai pu apprécier la dimension symbolique de cet événement organisé par le Président Roger Loutomo Junior et le bureau de la Fédération nationale de Boxe. Preuve que le sport rassemble et unit.

Q : Pour terminer, il semble que vous n’avez pas évoqué vos relations avec les autorités politiques actuelles et notamment vos liens avec le Président de la République, SEM Faustin-Archange Touadéra…

LF : En effet… Mais ne garde-t-on pas le meilleur pour la fin ? Je ne suis pas citoyen de votre pays et je suis libre de mes déclarations. Je dois avouer que le président Touadéra est un personnage qui, de toute évidence, va marquer votre pays. Les personnalités de cette qualité en Afrique de nos jours, se comptent sur les doigts d’une main. Je le dis d’autant plus librement que je ne suis qu’un opérateur économique parmi d’autres et que je ne revendique aucun lien privilégié avec le Président de la République. Je dis juste qu’à situation exceptionnelle, homme d’exception, et à mon sens, vous l’avez aujourd’hui.

Q : Votre mot de la fin ?

LF : Merci tout d’abord de m’avoir sollicité pour cette longue interview. Et merci de ne pas m’avoir trop « chicané » par vos questions ! Je vous disais plus haut que je ne suis pas citoyen centrafricain. C’est juste et en même temps, je ne me sens pas étranger dans votre pays. Le chemin parcouru ensemble, aux côtés des centrafricains, dans les moments les plus difficiles, ne se dissipera pas comme cela. Une haute personnalité centrafricaine, à qui je disais récemment que je me rendrai prochainement à Bangui, m’a répondu : « bienvenu chez toi !», et ça, croyez-moi, ça vaut plus que toute autre considération que ça vienne d’un puissant ou d’un humble.

Monsieur Foucher, je vous remercie.

 

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