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Sénégal: Les avocats du président Habré envisagent de porter plainte contre Me Robert Dossou

Corbeau News Centrafrique: 21-11-2014.

 Hissène Habré du Tchad aU Sénégal

Accord portant création des chambres africaines extraordinaires

Les avocats du président Habré envisagent de porter plainte contre Me Robert Dossou

A l’évidence, Mme Aminata Touré, deuxième Premier ministre du président Macky Sall, aura beaucoup de mal à prouver l’authenticité de l’acte par lequel son ancien collègue Me Alioune Badara Cissé, ministre des Affaires étrangères au moment des faits, lui aurait délégué ses pouvoirs pour qu’elle signe avec l’Union africaine, au nom de notre pays, l’accord portant création de chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises. Des chambres ayant pour but de juger, principalement, l’ancien président de la République du Tchad, M. Hissène Habré. Ce pour « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité » et « actes de torture ». Elle va peiner à prouver l’authenticité de la délégation de pouvoirs puisque, constitutionnellement, seul le président de la République a le pouvoir de signer des accords internationaux engageant notre pays. Il peut cependant, pour une durée et un objet précis, déléguer ce pouvoir au ministre des Affaires étrangères. Or, dans le cas d’espèce, c’est ce dernier — qui n’est pourtant que délégataire de pouvoirs — qui a délégué à son tour les mêmes pouvoirs à sa collègue Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mieux (pire, devrait-on dire !), au moment où Mme Aminata Touré apposait sa signature au bas de l’accord créant les chambres africaines extraordinaires, Me Alioune Badara Cissé se trouvait au Sénégal, plus précisément dans son bureau situé à quelques mètres de la salle de conférences où se tenait la cérémonie… Vous avez dit bizarre ? Plus grave pour la bonne dame, le ministre, interpelé par les avocats du président Habré, a démenti avoir signé un tel document. Certes, la cellule de communication de Mme Touré a produit dès le lendemain de la sortie de Me Cissé une copie de l’accord avec, en dessous et bien en évidence, la signature scannée de l’ancien chef de la diplomatie. Le dossier étant pendant devant la justice, il convient d’attendre sereinement que cette dernière se prononce afin que la vérité éclate. Du moins, si Mme Touré condescend à se présenter à la barre du tribunal correctionnel de Dakar…

Une autre éminente personnalité qui risque d’avoir à répondre de son implication dans cette affaire, c’est l’honorable Maître Robert Dossou qui n’est autre que le représentant spécial de l’Union Africaine qui a co-signé l’accord portant création des chambres africaines extraordinaires. Ce encore une fois au nom de l’organisation continentale. En attendant le jour improbable où il aura à s’expliquer à la barre d’un tribunal — les avocats du président Habré étudient actuellement la faisabilité d’une plainte contre lui —, il est quand même permis de se poser des questions sur l’acte que le grand avocat béninois a posé. Car le brave homme que l’UA a envoyé dans notre pays pour signer l’accord devant les caméras et sous les flashes des photographes est également, dans la vie de tous les jours, le président du Conseil constitutionnel de la République du Bénin. Ce qui ne l’empêche pas de faire des piges pour le compte de l’Union Africaine. Que voulez-vous, les temps sont durs et le salaire de président du Conseil constitutionnel au Bénin ne nourrit sans doute pas suffisamment son homme. En tout cas, voilà un bienheureux cumulard qui, plutôt que de se consacrer à temps plein à son job — des charges dont on imagine qu’elles ne sont pas particulièrement harassantes au Bénin mis quand même— trouve le temps d’aller effectuer des missions pour le compte de l’Union africaine. Ce même si, dans tous les pays du monde qui se respectent, les fonctions de président du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec toute autre activité professionnelle, toute fonction gouvernementale, tout emploi public civil et militaire etc. La seule autre activité tolérée est l’enseignement, encore que son exercice est strictement encadré. Mais bon, l’honorable Me Robert Dossou n’en a cure, apparemment. Toujours est-il qu’après avoir fait partie de la commission des « éminents juristes » chargée d’étudier les moyens d’organiser le procès des auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Tchad au cours de la période s’étendant de 1980 à 1990, il a sans doute voulu contribuer à mettre en application les idées qu’il a préconisées dans le rapport des « éminents juristes ». Cet homme met assurément du cœur à l’ouvrage !

Il convient également de s’interroger sur la valeur juridique des pouvoirs qui lui ont été donnés par le président de la Commission de l’Union africaine pour signer au nom de cette organisation les accords portant création des chambres africaines extraordinaires. En effet, au moment où il signait le document, les organes de l’UA étaient, sinon suspendus, du moins en train d’expédition des affaires courantes vu que le président sortant, le Gabonais Jean Ping, venait d’être battu par la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini Zuma. Laquelle était donc la présidente élue mais n’avait pas encore pris fonction. M. Ping avait-il, durant cette période de flottement, la prérogative de déléguer un quelconque pouvoir surtout pour la signature d’un document engageant à ce point l’organisation continentale ? Il est permis d’en douter même si rien ne dit que cette délégation de pouvoirs faite au profit de Me Robert Dossou n’existe pas effectivement, le tout étant, encore une fois, de connaître la valeur juridique d’une telle délégation de pouvoirs. Mais enfin, on peut se demander si l’UA manque à ce point de compétences et de personnel pour déléguer un fonctionnaire étranger pour aller signer un accord à son nom. Surtout un accord ayant non seulement des implications constitutionnelles, mais aussi des conséquences financières pour un pays souverain.

Dernière curiosité, enfin, dans la signature de ce document qui ne manque pas d’incongruités, le pouvoir de signer allégué a été remis (delivered, dans le document) à Me Robert Dossou par M. Jean Ping le 22 août 2012, c’est à dire le jour même où l’accord a été signé à Dakar. Or, ce jour-là, Me Dossou était déjà à Dakar tandis que M. Ping se trouvait à Addis Abeba ! Sauf si le document était envoyé par mail ou par fax, ce qui altérerait son authenticité, on voit donc mal comment cette délégation de pouvoirs a pu être signée et remise à Me Dossou le jour même où devait être signé l’accord portant création des chambres africaines extraordinaires ! L’Afrique profonde est pleine de mystères et de surnaturel tandis que les Béninois sont forts en vaudou, mais quand même…

Mais bon, peut-être bien que l’honorable Me Dossou pourrait avoir un jour l’obligeance de s’expliquer par rapport à tout cela à la barre d’un tribunal correctionnel. Mais faut pas rêver !

Mamadou Oumar NDIAYE

UNE 42 du temoin

« Le Témoin » quotidien sénégalais ( Novembre 2014)

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