Témoignage de Grégoire sur la RCA

Publié le 19 juillet 2014 , 5:10
Mis à jour le: 19 juillet 2014 5:10 pm

gregoire1La Centrafrique est toujours sous tension, les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Cééac) ont convoqué une conférence de réconciliation à Brazzaville. À quelques jours de cette conférence nous avons recueilli le témoignage du Père Grégoire Kucharski, supérieur régional SMA en Centrafrique de passage à Lyon.

Il est bon de revenir à la genèse des événements qui se sont passés en Centrafrique. On apprenait, le dimanche des rameaux de l’année 2013, qu’il y avait eu un coup d’État à Bangui. Dès le départ, nous étions conscients que c’était une crise différente et qu’elle allait durer dans le temps, à la différence des autres crises où les groupes rebelles n’étaient pas homogènes. Nous nous retrouvons un an et demi plus tard et il n’y a toujours pas de solution à la crise. Le dimanche des rameaux, la rébellion Céléka a pris Bangui la capitale et immédiatement après, ils se sont répandus comme l’eau dans tous les recoins du pays. À l’aide des communications téléphoniques et internet qui n’ont jamais été coupées, nous avons pu suivre, au jour le jour, la progression des rebelles dans le pays. Connaissant les déplacements de ceux-ci, nous avons pu nous préparer. Nous étions au courant de leur déplacement mais aussi de leurs exactions. C’était un pillage systématique et organisé des villages traversés. À l’aide d’indicateurs, ils se rendaient à coup sûr chez les personnes ayant des biens et les lieux où ceux-ci les avaient cachés.

Les possibilités de fuite étaient limitées
Le jour même du coup d’état nous avons vu défiler des véhicules remplis d’hommes en armes et en treillis. Ils se rendaient vers le sud, au début, nous ne savions pas qui ils étaient. Plus tard, nous avons appris que c’était des forces de François Bozizé qui se rendaient vers des résidences appartenant à celui-ci. Rapidement, nous avons dû prendre des décisions, nous avions avec nous des laïcs volontaires qu’il fallait évacuer. Les possibilités de fuite étaient limitées car à l’ouest, il y avait encore des soldats de Bozizé qui, fuyant devant les rebelles, menaient, eux-aussi, des exactions sur la population. Il restait le chemin vers le sud conduisant à la frontière avec le Cameroun. Après l’évacuation des laïcs, nous restions trois prêtres.

Les chefs de groupes se sont  répartis les territoires pour le piller mais aussi pour en exploiter les ressources et contrôler les déplacements et les commerces. Parmi ces rebelles, il y avait un groupe de braconniers soudanais qui depuis longtemps écumait la région et a profité du désordre pour aller dans les réserves naturelles et massacrer les éléphants. Un de nos catéchistes a vu leur voiture tombée en panne, remplie d’ivoire.

Durant la nuit, nous avons été attaqués
Sur le territoire de Berberati, la mission catholique n’a pas été trop inquiétée par les rebelles, notre évêque a été très actif auprès des chefs pour leur demander de contrôler leur troupe. Jusqu’à leur départ, ils ont respecté cette trêve, mais quand ils ont commencé à fuir, ils ont récupéré tout ce qui se trouvait sur leur territoire. C’est à ce moment-là que nous avons perdu trois véhicules. Durant la nuit, par contre, nous avons été attaqués par des éléments non identifiés mais on suppose qu’ils faisaient partie des rebelles. Ils ont tirés sur la porte pour l’ouvrir au risque de tuer le Père Michaël. La mission de Mabondo a, elle aussi, été attaquée de nuit, les pilleurs ne s’en sont pas pris au personnes mais simplement aux biens qu’il y avait dans la mission. À la mission de Mabondo, il n’y avait plus que le vicaire qui est allé se réfugier à la mission de Bélémboké. Comme il n’y avait plus personne, la mission a été passablement pillée. Des gens du village, sont venus pour la sécuriser et obstruer les ouvertures.    À Bangui, des camps de réfugiés se sont constitués, dans de notre paroisse un grand camp a été créé, il a accueilli près de 14 000 personnes. Le jour de Noël des gens de la Séléka sont venus et ont tiré sur la population tuant plusieurs personnes.

Nous avions des gardiens bororos, musulmans qui s’entendaient bien avec les gens de la Séléka ce qui nous a permis d’être respectés par ces derniers. Quand les anti-balakas ont débarqué, nous avons dû aider notre gardien à fuir au Cameroun pour le protéger. La situation est devenue totalement incontrôlable. De chaque côté on massacrait et l’armée française bien limitée en nombre ne pouvait contrôler que les axes principaux.

antibalakaOn reconnaissait tout de suite un anti-balaka avec ses amulettes en guise de protection, certains avaient rajouté un chapelet autour du coup non parce qu’ils étaient croyants mais simplement pour augmenter leur protection contre les balles. C’est ainsi qu’on les a identifiés comme chrétiens. Il y a eu un enchaînement de violence lié au désir de se venger. Par contre, les informations sur le massacre des chrétiens ont été souvent occultées alors que l’annonce de la mort de deux ou trois musulmans était diffusée par la télévision nationale et relayée par les médias internationaux. On a pu noter un certain déséquilibre au niveau des informations.

Dans cette situation, il fallait continuer à vivre, les véhicules ayant été cachés dans la forêt, nous n’avions qu’une simple moto pour nous déplacer. Nous circulions sur les pistes empruntées par les rebelles. Pendant plusieurs mois, j’ai été tout seul, ce n’est pas facile, sachant que l’on risque à tout moment une attaque. J’ai rassemblé les notables du village pour voir avec eux quelle décision prendre pour éviter tout affrontement et spécialement les attaques nocturnes. Ils n’avaient rien à proposer et je me suis senti bien seul. Mais les M’Bayaka étaient avec moi. J’ai dit aussi à notre gardien, si les rebelles viennent, surtout ne pas résister et leur indiquer tout de suite où je suis pour éviter de les provoquer. La mission étant au centre du village, elle était ainsi protégée des attaques nocturnes. A Bangui, lorsque vous sortez vous ne savez pas ce qui se passe dans la ville et vous ne savez jamais si vous pourrez retourner à la maison.

Pour l’attaque de la paroisse Notre-Dame de Fatima à Bangui, où 15 personnes ont été tuées dont un abbé, les gens connaissent ceux qui ont perpétré ce crime, mais personne ne dit rien et ne fait rien pour aller les chercher au PK 5. Certains disent qu’au PK5, ils sont mieux armés que les armées centrafricaines et françaises. Régulièrement, il y a des tirs qui bien souvent sont des tirs entre eux-mêmes pour régler des conflits internes. La situation se complique car les bandits profitent de cette situation de cahot pour avoir des armes et piller les populations.

Tout le pays est en insécurité
Malgré la crise et l’insécurité, les communautés chrétiennes sont vivantes et se rassemblent pour prier. Seules les paroisses proches du PK5 fonctionnent encore au ralenti, les déplacements étant dangereux dans cette zone. Certaines institutions de l’état reprennent doucement, déjà plusieurs services fonctionnent comme les impôts, la sécurité sociale. La présidente du conseil de transition a annoncé plusieurs fois qu’il y aura des désarmements, mais cela reste au niveau du souhait. Les forces internationales aident à maintenir l’ordre à l’intérieur de Bangui, mais pour le reste du pays beaucoup espèrent la venue des casques bleus. Il a été annoncé qu’ils viendraient au mois de septembre. Personnellement, je suis sceptique quant à leur efficacité. La Centrafrique est un très grand pays avec peu d’infrastructures, ce qui le rend incontrôlable. Très souvent on limite ce pays aux activités de la capitale, ainsi les rebelles peuvent-ils régner en maître dans tout le pays hors la capitale.

L’islam wahhabite radical a créé des tensions
Dans le sud, il y avait beaucoup de musulmans descendus pour faire du commerce, cela fait plusieurs générations qui étaient nées sur la terre centrafricaine, aujourd’hui, ils se retrouvent dans le désert du Tchad dans des camps de réfugiés, ils ne sont pas chez eux, leur pays c’est la Centrafrique. Il y a eu dans le passé trois grand flux migratoires de populations musulmanes du Nord vers la Centrafrique. Le dernier flux, a été profondément marqué par l’islam wahhabite radical et qui a créé des tensions dans la population. Kadafi offrait de l’aide à la Centrafrique avec, comme contre partie, la venue de missionnaires wahhabites. Les autres populations venues précédemment étaient musulmanes très tolérantes et elles n’ont jamais posé de problèmes au niveau de l’intégration et de l’échange interreligieux.

Le vrai chef de l’état c’est l’archevêque
camp de réfugiés à la paroisseÀ vrai dire, depuis que la crise a éclaté, le vrai chef de l’état c’est l’archevêque, c’est lui qui mène les négociations, il a coordonné des comités islamo-chrétiens pour ouvrir le dialogue. La difficulté venait de la délégation musulmane. L’imam, présent dans ces comités, n’était pas représentatif de la population musulmane et n’avait donc que peu d’autorité sur la majorité de celle-ci. L’archevêque de Bangui était le meneur principal du dialogue. Les évêques ont fait partie des équipes de médiation lors du départ des Séléka et lors du pillage des anti-balakas, ils ont pris des risques jusqu’à être menacés ou même enlevés comme ce fut le cas pour Mgr Nestor Nongo de Bossangoa. De nombreuses paroisses sont très vite devenues des refuges pour les populations menacées, chrétiennes comme musulmanes. Les prêtres et les évêques ont accueillis les musulmans qui ne pouvaient fuir faute de moyens. L’Église a joué le double rôle de refuge de médiatrice pour le dialogue entre les parties. Dans le diocèse de Berbérati, ce sont les prêtres centrafricains qui ont organisé les refuges pour les musulmans et la distribution des vivres. Ils intervenaient pour que la force Misca viennent protéger ceux-ci.

J’espère que le monde musulman verra ce qui a été fait par les chrétiens pour la population et qu’il n’y ait plus d’attaque comme à la paroisse Notre-Dame de Fatima à Bangui.

Propos recueillis par Gérard Sagnol, sma

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