Fuite des musulmans : l’inquiétante hémorragie de la Centrafrique

Publié le 21 juillet 2014 , 7:03
Mis à jour le: 21 juillet 2014 7:03 pm

xlarge_Centrafrique-Refugies-PK5-m_1Dans les camps de réfugiés du Cameroun, une centaine de Centrafricains arrivent chaque jour. Éprouvés par des mois de marche en brousse, ils souffrent pour beaucoup de malnutrition, d’infections respiratoires, de diarrhées ou encore du paludisme. “En ce moment c’est la saison des pluies, il y a des torrents de boue, cela n’arrange rien”, expliquait, mercredi 16 juillet, Caroline Abu Sada, directrice de recherche au sein de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), lors d’une conférence dédiée à ce sujet. Pour ces survivants du conflit, qui a éclaté en décembre 2013, l’avenir est plus qu’incertain. Pourtant le plus dur semble être derrière eux.

L’ONG active en Centrafrique relate le parcours du combattant de ces réfugiés. Pour beaucoup, la marche de plusieurs mois qu’ils ont entreprise à travers le pays n’était pas planifiée. Elle a généralement débuté après un élément déclencheur, comme une attaque. Ces personnes ont alors décidé de fuir, “souvent avec rien d’autre que les vêtements qu’elles portent sur elles”, précise Caroline Abu Sada, récemment revenue du Cameroun. Elles marchent alors du lever au coucher du soleil, sans relâche. Se cachent la nuit dans la brousse. Se nourrissent de feuilles, de racines de manioc et d’eau de pluie. Parfois, elles mangent le maigre bétail qu’elles ont apporté dans leur fuite – des bestiaux de toute façon trop faibles pour supporter un tel trajet. Les migrants les moins résistants ne terminent pas le voyage. D’autres sont victimes d’attaques.

Dès l’explosion des violences, des milliers de musulmans ont pour leur part opté pour les départs en convoi, d’abord organisés par les autorités tchadiennes puis par des privés. De parole d’expert, on évoque le rôle joué par les anti-balakas dans l’affrètement de ces transports : “Une manière de se débarrasser des musulmans”, indique-t-on. Des voyages à haut risque non seulement en raison des embuscades dont ils sont victimes, mais aussi des conditions de transport : de jeunes enfants succombent parfois d’asphyxie à l’intérieur des camions. MSF estime à 322 le nombre de décès, dont 252 dus à des morts violentes.


Des réfugiés fuient les violences vers le sud du Tchad. Crédit : MSF

Bangui désertée, l’Ouest quasi-vidé

Ces nomades font partie des 536 500 déplacés recensés depuis le début du conflit par le bureau de coordination des affaires humanitaires (Ocha) de l’ONU. Si tous ne sont pas des musulmans, ces derniers sont largement majoritaires. “Les réfugiés de confession musulmane représentent près de 98 % des individus dans les camps au Cameroun”, estime Caroline Abu Sada. Avant décembre, 15 % de la population en Centrafrique était musulmane, soit 800 000 personnes. Désormais, ils ne sont plus que 2 % dans ce pays à forte majorité chrétienne, selon l’ONU. Près de 280 000 personnes ont trouvé refuge au Cameroun, au Tchad, au Congo ou en République démocratique du Congo.

Une hémorragie qui se vérifie localement. À Bangui, la capitale, il ne reste guère que le quartier PK-5 (Point kilométrique 5) qui peut encore être qualifié de musulman : un millier de personnes y résideraient toujours, dans l’enceinte de la Grande mosquée. L’ouest du pays s’est quant à lui quasiment vidé de la majorité de sa population musulmane, à l’exception de quelques enclaves, à Berberati, à Carnot et, dans de plus fortes proportions, à Boda.

Et l’exode massif de cette communauté s’annonce durable : “La très grande majorité des personnes que nous traitons nous confient qu’ils ne retourneront pas en Centrafrique”, indique Caroline Abu Sada.

Cette situation est par ailleurs condamnée comme un acte de laisser-faire par certains. “S’il reste à présent moins de 5 000 musulmans à Bangui, alors qu’ils étaient plus de 130 000 au début de l’année, c’est que la France et le reste du monde ont accepté l’action des boutefeux comme un fait accompli. Ils se sont résignés à l’idée que la séparation des chrétiens et musulmans était “naturelle””, déplore un article du site “Atlantico”, intitulé “Pourquoi les musulmans doivent revenir à Bangui“.

Une “séparation” à laquelle certains acteurs du conflit veulent néanmoins remédier. Lundi 21 juillet, un “Forum pour la réconciliation nationale et le dialogue politique” s’est ouvert à Brazzaville.

Toutefois, avant d’envisager un quelconque retour au pays, les réfugiés doivent d’abord “gérer leurs traumatismes et essayer de survivre”, affirme Laurent Ruy, de MSF. “Seul le quotidien compte pour l’instant, il n’y a aucune perspective d’avenir”.

 

Par: France 24

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