En pleine idylle avec Moscou, Bangui veut nationaliser le négoce  des diamants

Publié le 14 juillet 2021 , 7:37
Mis à jour le: 14 juillet 2021 7:37 pm

 

Bangui, République centrafricaine, jeudi, 15 juillet 2021, 03:32:03 ( Corbeaunews-Centrafrique ). Le gouvernement centrafricain s’apprête à remodeler son code minier. Au cœur de cette reforme très attendue, la création d’une société controversée qui prendrait le contrôle de l’ensemble de mouvement d’achat et de vente du secteur. Un projet qui suscite l’ire de plusieurs acteurs, qui y voient l’ombre des intérêts russes.

 

Exploitation minière de la société russe Lobaye Invest à Ndassima, aux environs de Bakala, dans la préfecture de la Ouaka, au centre de la République centrafricaine. CopyrightCNC
Exploitation minière de la société russe Lobaye Invest à Ndassima, aux environs de Bakala, dans la préfecture de la Ouaka, au centre de la République centrafricaine. CopyrightCNC

 

L’avant-projet de reforme du code minier centrafricain, en cours d’élaboration depuis novembre dernier, présente une innovation majeure qui risque de faire l’effet d’une bombe dans le secteur. Il s’agit de la société Gemmes et minéraux de Centrafrique (GEMINCA).

Les attributions de la future « société d’État » sont dessinées dans l’article 155 du futur code, qui en compte 208. L’objectif de la société d’État est de favoriser  et de promouvoir les transactions sur les substances minérales précieuses et semi-précieuses.

Les agents du ministère des mines, dirigé depuis le remaniement du 13 juin dernier par un proche du Président Faustin Archange Touadera, Ruffin Benam Beltougou, font actuellement le tour de l’arrière-pays pour présenter les grandes lignes de la reforme aux acteurs du secteur.

Cette future reforme visera officiellement, selon les autorités centrafricaines, à renforcer le contrôle et la transparence dans le secteur, lutter contre les trafics et améliorer la protection de l’environnement.

 

Une société d’État omniprésente

La GENINCA remplacera le comptoir des minéraux et gemmes  (Comigem), pensé en 2009 comme un bureau d’achat public. Lesté d’une dette de près de 2 millions de dollars, le Comigem n’a jamais vraiment fonctionné et sa privatisation décidée en 2020 n’a jamais été réalisée.

La Geminca est vue comme une Comigem renforcée. Là où ce dernier était un bureau d’achat public qui faisait seulement partie de l’écho – système minier, l’ambition de la Gemica est de coordonner l’ensemble du secteur.

Les artisans miniers et les coopératives minières le pourront plus exporter et devront ainsi exclusivement vendre leur production à la Gemica ou aux bureaux d’achat, à condition que ceux-ci soient reconnus par la nouvelle société d’État.

Grande nouveauté, les bureaux d’achat seront également interdits d’exportation et devront passer par la Geminca qui aura la quasi-exclusivité de l’exportation. Les quelques bureaux de Bangui qui ont survécu à la crise sécuritaire depuis 2013 devraient ainsi perdre leur cœur de métier.

Dans le texte consulté par Africa Intelligence, les bijoutiers, tailleurs et usines d’affinage  installées sur le territoire centrafricain ne pourront se fournir qu’auprès de la Geminca et devront être certifiées par cette dernière.

Les « collecteurs », dont le rôle est de faire le tour des artisans miniers dans l’arrière-pays pour ramener les pierres aux bureaux d’achats, disparaitraient également au profit « d’agents acheteurs », contrairement aux collecteurs qui sont surtout des agents indépendants, ces agents d’acheteurs deviendraient salariés de la Geminca. Le transport des pierres deviendrait aussi exclusivité de la future toute-puissante société d’État.

La police des mines, l’unité spéciale antifraude (USAF), sera tenue de travailler en pleine coopération avec la Geminca, selon l’article 190.

 

L’exception russe

Néanmoins, le projet prend soin de garantir quelques exceptions. Les sociétés minières titulaires d’un permis « de production industrielle » ne seront pas concernées par la reforme. Elles pourront ainsi continuer à exporter leur production et « après l’enregistrement de toutes les transactions au régistre national tenu par la société Geminca », selon l’article 159 du futur code.

À l’heure actuelle, une seule société possède un tel titre : MIDAS RESSOURCES, qui opère dans la mine d’or de Ndassima officiellement sous pavillon malgache, MIDAS apparait comme particulièrement proche des intérêts russes dans le pays, et notamment le groupe de sécurité Wagner. La société a récupéré  l’exploitation de la prometteuse mine au détriment de la junior canadienne Axmin et sa filiale Centrafricaine AuroAfrique qui estime avoir expropriée en 2019. L’arbitrage opposant Axmin à l’État centrafricain conduit devant la chambre de commerce internationale (ICC) de Paris est en cours.

A bas bruit, plusieurs acteurs du secteurs miniers centrafricains n’hésitent pas à avoir dans l’avant-projet de la reforme du secteur minier l’ombre de Moscou. Sur ce point, une phrase de l’article 155 interpelle : pour exécuter efficacement la politique de l’État dans le domaine de la circulation des pierres et des métaux précieux et semi-précieux, la société Geminca peut à sa discrétion, faire appel au service de sécurité d’assurance, des ateliers spécialisés de transformation des traders  et autres organismes.

Un scenario qui inquiète plusieurs capitale occidentale alors que l’influence des paramilitaires du groupe Wagner s’étend en Centrafrique depuis 2018 via les société de sécurité (SEWA Sécurity service) ou diamantaire (Lobaye Invest).

 

Un secteur difficile à contrôler

La Russie exerce par ailleurs la présidence tournante du processus de Kimberley jusqu’à la fin de l’année et s’est prononcée à de nombreuses reprises pour la levée de l’embargo sur l’exportation de diamants bruts qui frappe la République centrafricaine, sans succès.

Entre 2013 et 2015, la Centrafrique s’était fait exclure du processus de Kimberley en raison de la guerre civile et du financement des groupes armés via la vente des diamants. Les autorités peinent depuis à faire lever l’embargo qui frappe la majorité de son territoire. Seuls cinq région de l’ouest du pays sont passées dites vertes, depuis laquelle les exportations sont autorisées depuis 2015.

Selon plusieurs rapports d’experts, le secteur minier centrafricain est à plus de 90% tourné vers la contre bande et le financement des groupes armés. Si le but de la reforme est de contrecarrer ces réseaux illégaux, l’instauration d’un contrôle  centralisé via la Geminca, elle-même peut contrôler, interrogent les spécialistes. Elle pourrait avoir l’effet pervers d’alimenter les réseaux informels. Les acteurs, confrontés à une puissante institution en situation de quasi-monopole, pourraient être tentés d’écouler les marchandises via les réseaux informels.

Depuis plus de 20 ans, les projets de reforme minière ont été toujours une affaire de délicate en Centrafrique. Celle menée par François Bozizé en 2011, avec le concours de son neveu Sylvain Ndoutingaï avait même été le point de départ de la constitution de groupe armé dans le nord du pays.  Ceux-ci avaient par la suite été à l’origine de la formation de la Seleka, qui a renversé Bozizé deux ans plus tard en 2013.

Selon le trésor français, le secteur extractif centrafricain avait officiellement exporté pour 18 million d’euros d’or et de diamant en 2019.

Un chiffre faible et largement sous-évalué.

 

Africa intelligent

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