Centrafrique : l’homme d’affaires « Issa Manou serait enlevé par les milices requins du colonel Wananga », selon Abdoulaye IBRAHIM

Publié le 16 mai 2022 , 8:09
Mis à jour le: 15 mai 2022 5:06 pm

 

Rédigé par Prisca VICKOS

Publié par Corbeaunews Centrafrique (CNC), le 16 mai 2022

 

Bangui (CNC) – Monsieur Abdoulaye Ibrahim, ancien cadre du parti au pouvoir, les cœurs unis, affirme dans son discours prononcé à l’occasion de la manifestation contre la dictature en Centrafrique, vendredi 13 mai 2022, à Paris, que l’homme d’affaires Issa Manu, disparu mystérieusement au siège du parti MCU à Bangui, avait été enlevé par les miliciens requins du pouvoir, dirigés par le sulfureux colonel Wananga. Il affirme en outre être le témoin oculaire de l’enlèvement de l’homme d’affaire, et se dit prêt à témoigner devant le tribunal national comme international.

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Les éléments de la garde présidentielle et les mercenaires russes de la société Wagner

 

C’était l’année dernière que le jeune Saleh, 17 ans, fils aîné du disparu Issa Manou avait décrit dans les médias les circonstances dans lesquelles son père avait été kidnappé :

« Mon père était venu juste pour demander l’audience pour voir monsieur Simplice Mathieu SARANDJI afin de plaider la libération de ses frères qui ont été arrêtés à la brigade criminelle quand il a été enlevé par des hommes en tenue  militaire ».

D’après son conducteur, Issa Manou attendait d’être reçu en audience par l’ancien Premier ministre Simplice Mathieu SARANDJI au siège du parti MCU afin de lui demander sa faveur pour la libération de ses collaborateurs qui ont été arrêtés à l’aéroport international de Bangui Mpoko et conduits à la brigade criminelle.  C’est dans la salle d’attente du parti MCU qu’il a été enlevé et conduit à une destination inconnue au bord d’une voiture Corolla couleur bleue, conduite par une personne civile, et escortée par deux porteurs de tenue « a témoigné monsieur Bello, conducteur de l’homme d’affaires Issa Manou qui n’est plus jamais revenue à la maison ni appelé sa famille depuis ce jour.

Or, l’ancien premier ministre Simplice Mathieu Sarandji, devenu depuis 2021 Président de l’Assemblée nationale, a vivement démenti avoir connu l’homme d’affaires Issa Manu.

« En quoi doit-on absolument impliquer à tort Simplice Mathieu Sarandji  dans une affaire dont il ne connaît ni les tenants et les aboutissants ? », s’interroge l’ancien premier ministre dans un communiqué, et « met au défi les auteurs de ces allégations mensongères, de fournir les preuves réalistes et scientifiques qui peuvent faire l’objet d’une expertise et d’une contre-expertise policières, impartiales et indépendantes sur la véracité de ces affirmations gratuites ».

Pour de nombreux observateurs, la réponse de Simplice Mathieu Sarandji montre bien qu’il sait au moins quelques choses sur cette affaire.

Justement, l’ancien cadre du parti au pouvoir, monsieur Abdoulaye Ibrahim, lors de son discours à Paris ce vendredi 13 mai 2022,  confirme ces allégations. D’après lui, monsieur Issa Manu aurait été enlevé sous ses yeux au siège du MCU par des miliciens Requins du pouvoir, dirigé par le colonel Wananga.

Ci-dessous l’intégralité de son discours

 

DISCOURS D’ABDOULAYE IBRAHIM À L’OCCASION DE LA MANIFESTATION CONTRE LA DICTATURE EN CENTRAFRIQUE

 

SAMEDI 14 MAI 2022, PLACE DE LA RÉPUBLIQUE (PARIS, FRANCE)

Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs,

Chers compatriotes de Bêafrika,

Tout d’abord permettez-moi de remercier les organisateurs de cette manifestation qui m’ont fait l’insigne honneur de m’inviter à prendre la parole devant cet aéropage de défenseurs à la fois des droits de l’homme, de l’Etat de droit, de la démocratie, et du développement auquel aspire l’ensemble du peuple centrafricain.

Mais avant d’aller plus loin dans mon propos, je me dois de sacrifier aux bonnes mœurs qui exigent de se présenter à l’audience avant de poursuivre.

Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas, je suis Abdoulaye Ibrahim, cadre démissionnaire du parti au pouvoir, le MCU, dans lequel j’ai eu à occuper d’importantes fonctions tant officielles qu’officieuses. Notamment dans les secteurs très stratégiques que sont la sensibilisation, la mobilisation, la propagande et la déstabilisation politique.

Comme certains d’entre vous le savent peut-être déjà, c’est littéralement écœuré par les pratiques moyen-âgeuses et barbares du régime de Bangui, dont j’ai été témoin oculaire, que j’ai décidé en mon âme et conscience de quitter avec fracas le MCU. Je m’étais alors assigné la mission personnelle de tout mettre en œuvre afin que justice soit rendue à toutes les victimes de ce pouvoir autoritaire voire totalitaire.

C’est ainsi que dans un premier temps, je me suis mis à l’entière disposition de la justice nationale et internationale dans le dossier de la disparition d’Issa Manou, enlevé sous mes yeux par les milices requins du colonel Wananga, au siège du MCU en présence de l’actuel Président de l’Assemblée Nationale, Simplice Mathieu Sarandji, pour ensuite être lâchement exécuté.

Ces révélations fracassantes ont valu à ma famille et moi-même toutes les tracasseries du monde. Après les tentatives avortées de me soudoyer, les sbires du pouvoir de Bangui ont alors décidé de passer à la vitesse supérieure en renouant avec leurs pratiques habituelles : campagne de dénigrement, intimidations, menaces de mort et bien sûr persécution judiciaire.

C’est ainsi que dans l’opacité juridique la plus crasse, j’ai été condamné, à l’instigation de Simplice Mathieu Sarandji, par les tribunaux inféodés au pouvoir dans une parodie de justice. Puisque je n’ai été ni convoqué, ni entendu et ni inculpé.

Malheureusement, mon cas n’est pas un cas isolé. Et aujourd’hui, les violations systémiques des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont fait souche en Centrafrique. La justice n’a de justice que le nom. Les violences basées sur le genre de la part des milices étatiques et des mercenaires de Wagner sont devenues monnaie courante. Les crimes de guerre et autres tentatives d’épuration ethnique deviennent le nouveau catéchisme d’un appareil sécuritaire centrafricain complètement vérolé par la peste des Wagner.

Tous ces crimes de guerre, ces crimes de génocide, ces crimes économiques sont très bien documentés à ce jour tant par les agences onusiennes que par les ONG de défense des droits de l’Homme nationales et internationales.

Mais aujourd’hui, mes chers amis, l’heure est au combat frontal sans pitié, sans répit et sans repos contre un régime qui veut non seulement systématiser ces crimes de masse mais pire encore les perpétuer ad vitam éternam. Cela, en modifiant la Constitution pour s’éterniser au pouvoir et éliminer toute forme d’opposition même intellectuelle, et par la promulgation d’une loi scélérate sur la crypto-monnaie qui sanctuarise le crime organisé transnational en République centrafricaine.

Mais nous devons reconnaître que la description de ce monde apocalyptique dans lequel veut nous plonger le régime totalitaire de Touadéra ne serait pas complet si je ne disais un mot sur la jeunesse centrafricaine canibalisé par les autorités de Bangui. Avec notamment un cas parmi tant d’autres mais qui m’a bouleversé et ne cesse de me hanter depuis trois jours.

En effet, c’est le mardi 10 mai 2022 que je suis tombé sur le portrait d’un enfant, un mineur enrôlé quasiment de force au sein des forces régulières FACA. Axel Gazalima, c’est son nom. Jeune lycéen, orphelin de père et de mère, élevé par son grand-père maternel dans le quartier Boyrabe à quelques mètres de la résidence du Chef de l’État. Démarché agressivement à coup de formulaire pour intégrer les FACA et la Garde Présidentielle, par un parent du Chef de l’État qui répond au nom de Izy, le jeune lycéen abandonne l’école pour rejoindte le camp Kasaï, àl’insu de son tuteur son grand-père, afin d’y recevoir une formation militaire de base mais bâclée.

Vu son gabarit chétif les exercices physiques étaient au-dessus de ses forces. Et pour le punir, ses instructeurs n’ont rien trouvé de plus intelligent que jouer avec sa vie en inscrivant son nom sur la liste de soldats devant aller combattre sur le théâtre d’opération de Dimbi dans la Basse-Kotto. Mais comme un malheur ne vient jamais seul, arrivée à 10km de Bambari son unité tombe dans une embuscade et qui voit le jeune enfant-soldat de l’armée centrafricaine, Axel Gazalima, fauché par des rafales de balles qui le laissent sur le carreau. Il meurt le dimanche 8 mai 2022 à 5h du matin. Son corps est récupéré le lendemain de l’attaque et est ramené sur Bangui le mardi 10 mai 2022.

Il est mort et enterré dans l’anonymat, sans grade, sans honneur, sans reconnaissance, sans même avoir pu atteindre l’âge de 18 ans. Laissant derrière lui sœur et un grand-père inconsolables. Bien que maison de son grand père est à quelques cent mètres de la résidence de Faustin Archange Touadéra aucun officiel de l’armée ou du gouvernement ou du parti MCU ne s’est rendu à ses obsèques. Pas même le fameux Izy, parent du Chef de l’État qui lui a donné les formulaires à remplir pour entrer dans l’armée bien que mineur, bien qu’encore à l’école. Pas même le colonel Wananga qui l’a enrôlé sur sa liste parallèle de recrutement.

Mes chers amis et compatriotes c’est notamment pour les centaines et milliers de Issa Manou et Alex Gazalima que nous sommes aujourd’hui rassemblés ici pour dire non à la démocrature, non à la dictature, non au régime qui se nourrit du sang de ses enfants, non au 3ème mandat d’un tel régime, non la colonisation rampante wagnerienne en Centrafrique.

 

Je vous remercie.

 

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