Centrafrique: Antoine Glaser: «Arrogant comme un Français en Afrique»

Publié le 14 mars 2016 , 7:20
Mis à jour le: 14 mars 2016 7:20 am

(Corbeau News Centrafrique)

Soldats Operation francaise
Soldats Operation francaise sangaris patrouillent

 

Antoine Glaser: «Arrogant comme un Français en Afrique»

 

Bangui, (C.N.C), 14-03-2016

La France a été trop arrogante en Afrique et elle le paie cher aujourd’hui. C’est le constat du journaliste et écrivain Antoine Glaser. Dans son dernier livre, qui paraît ces jours-ci, il explique que les dirigeants français auraient pu éviter plusieurs échecs sur le continent s’ils avaient pris le temps de s’y intéresser vraiment. Antoine Glaser est notre invité ce matin, il répond à Anne Cantener.

RFI : Dans votre dernier livre, tout le monde en prend pour son grade, à commencer par les dirigeants politiques, les présidents français qui, selon vous, n’ont jamais réussi à comprendre l’Afrique et les Africains ?

Antoine Glaser : Absolument. La France, c’est l’Histoire qui parle. La France, c’est l’histoire coloniale aussi qui fait que la France a toujours exporté en Afrique bien sûr sa langue et sa culture mais aussi son code napoléonien. Finalement, elle n’a jamais pris le temps de vraiment savoir ce qu’est l’Afrique, ce qu’est l’Afrique des Africains ni cherché à savoir ce qui se passe sur ce continent et je pense que c’est le problème aussi historique.

Justement, un des moyens que vous utilisez pour mesurer cette incompréhension, ce sont les opérations militaires qui ont été lancées par la France dans différents pays africains. Vous parlez par exemple de la Centrafrique. Non seulement la France assume la plus grande partie de la charge mais en plus, vous expliquez que de très nombreux soldats français rentrent traumatisés parce qu’ils ont été mal préparés.

Les gens s’imaginent toujours les militaires français comme des croisés intégristes catholiques, alors qu’en fait, il y a eu beaucoup de jeunes banlieusards qui ont été recrutés dans l’armée française qui sont souvent musulmans. Oui, c’est vrai qu’ils se sont retrouvés dans une guerre civile en Centrafrique, que beaucoup s’en sont sortis totalement traumatisés mais de cela, on n’en parle pas parce que ça fait un peu de l’ombre à l’opération Serval, l’opération au Mali, qui est la grande opération de François Hollande, chef de guerre en Afrique.

Et jusqu’au bout, concernant cette intervention en Centrafrique, tout a semblé un peu précipité. Par exemple, la France a fait pression sur les autorités de transition centrafricaines pour que les élections aient lieu impérativement avant la fin de l’année 2015. C’est en effet ce qui s’est passé avec les conséquences que l’on connaît à savoir que les législatives ont dû être annulées. Est-ce que c’était utile d’avoir précipité les choses pour pouvoir désengager les soldats français ?

C’est vrai qu’il y a eu une très forte pression française, sans que l’on se préoccupe de la réalité du terrain en Centrafrique, pour qu’il y ait des élections dans ce pays. Or, la réalité actuellement, montre un pays qui reste totalement en déshérence, avec des régions qui sont abandonnées à elles-mêmes. Il n’y a pas eu non plus de désarmement. Il est certain que l’agenda politique de François Hollande en Afrique c’est le Mali ; c’est l’opération au Mali. Il va y avoir le sommet franco-africain à Bamako, au mois de janvier prochain, et c’est donc une grande réussite de l’opération Serval. On parle moins de l’actuelle opération Barkhane qui concerne toute la région du Sahel. Mais la Centrafrique a donc été totalement oubliée.

Dans cette région du Sahel, qu’est-ce qui ressort de cette opération Barkhane et quelle est la nouvelle politique de la France ? Vous mentionnez par exemple dans votre livre, que les ambassadeurs de la région du Sahel sont de moins en moins des diplomates traditionnels si on peut dire, et de plus en plus, des militaires ou d’anciens militaires, ou d’anciens des services de renseignements. C’est quoi la nouvelle politique de la France dans la région ?

C’est de plus en plus la lutte anti-terroriste de Paris à Bamako et c’est vrai que cela restreint totalement le champ de vision. On parle de moins en moins de développement. On parle uniquement sécurité et cette option sécuritaire, finalement, empêche la France d’avoir une vraie politique de la France en Afrique. Sur le plan politique mais aussi, bien sûr, sur le plan d’aller au-devant des sociétés civiles, d’aller voir ce qui se passe en Afrique au niveau de la culture. On a l’impression que le monde entier est maintenant en Afrique et que la France – qui a été extrêmement présente – est totalement absente de la réalité de tout l’ensemble des problématiques africaines et qu’elle a abandonné, finalement, l’ensemble des problèmes de société et le problème, à long terme, social et économique. Elle est complètement dans la sécurité et uniquement dans la sécurité.

Cette déconnexion des réalités ne relève pas seulement des politiques. Vous montrez dans votre livre que les coopérants, les enseignants ou encore les missionnaires catholiques n’ont pas fait mieux que les politiques. Eux non plus ne se sont pas vraiment intéressés à la culture et à l’histoire locale. Pourtant ça permettrait de mieux comprendre certaines situations actuelles, notamment la progression de Boko Haram dans la région du lac Tchad.

Absolument. C’était la fameuse phrase de Jacques Foccart, le monsieur Afrique du général de Gaulle, qui disait que « Ce qui est bon pour la France est bon pour l’Afrique », sans voir vraiment ce qui était bon pour l’Afrique. Et même les coopérants voulaient enseigner aux Africains l’histoire de France, l’histoire de l’hexagone. C’est aussi incroyable de voir que les militaires français pensaient finalement avoir réussi à complètement éradiquer, quelque part, l’islamisme du XIXème siècle, l’islamisme radical dans toute cette. La France pensait qu’elle était en Afrique chez elle, qu’elle était aimée en Afrique et que les Français étaient adorés, sans voir que même si les Africains ne disaient rien, il y avait une profonde distance et qu’ils faisaient finalement leur vie avec leur Afrique de jour avec les Français, et leur Afrique de nuit avec les Africains.

La France est l’un des pays dont les entreprises ont le moins africanisé leurs filiales locales. Et c’est vrai qu’il y a tout un processus à faire. Quand vous êtes en Afrique, il y a un vrai mouvement, il se passe vraiment des choses avec une jeunesse, etc… et là, on a l’impression qu’on se replie et on est dans une sorte d’anachronisme historique, une vision passéiste de l’Afrique qui ne correspond pas du tout à la réalité.

 

RFI

 

 

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