L’Afghanistan des talibans, un sanctuaire pour les djihadistes ?
Bangui ( République centrafricaine ) – Les talibans ont encerclé le dernier groupe qui leur tient encore tête : le Front de résistance nationale. Ce groupe compte environ 9.000 hommes. Il est actif dans la vallée du Panchir, dans le nord, et dirigé par un fils du commandant Massoud, combattant lui-même assassiné il y a vingt ans par Al-Qaïda.
Le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan pourrait inciter certains groupes djihadistes comme le Groupe Etat islamique et surtout Al-Qaïda à s’installer de manière plus importante dans le pays. Mais ce n’est qu’une théorie tant les intérêts des talibans ne sont souvent pas ceux de ces groupes qui prônent le terrorisme international.Une propagande qui galvanise”Conquérir sa liberté est le droit de toutes les nations. Le peuple afghan, en utilisant son droit légal, après 20 ans de djihad, a pu prendre sa liberté et nettoyer son pays de l’occupation et des occupants.”Ce discours du porte-parole des talibans pourrait galvaniser les groupes islamistes armés hors des frontières de l’Afghanistan.En provoquant le départ des Américains, les talibans ont en effet égalé l’exploit des moudjahidines contre l’armée russe dans les années 1980.Le Hamas palestinien a déjà salué l’événement. L’agence al-Thabat, qui assure la propagande d’Al-Qaïda, a écrit que “les musulmans et moudjahidines du Pakistan, du Cachemire, du Yémen, de Syrie, de Gaza, de Somalie et du Mali célèbrent la libération de l’Afghanistan et son application de la charia”.Ce symbole risque fort de continuer à être utilisé par la propagande djihadiste, selon Husain Haqqani. Ancien ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis, il dirige le centre de recherche Hudson sur l’Asie du sud et l’Asie centrale et rappelle que “des groupes islamistes radicaux se sont regroupés en Afghanistan, d’abord pour combattre les Soviétiques, puis pour coopérer avec Al-Qaïda.” Husain Haqqani poursuit : “Maintenant, les islamistes radicaux se repaissent de cette histoire : “Notre djihad a mis les Soviétiques dehors, une superpuissance. Et maintenant, nous avons chassé les Américains, encore une autre superpuissance… la seule superpuissance qui existe est Allah”.”Pays fragile = terreau fertileLa fragilité de l’Afghanistan en tant qu’Etat peut être propice au recrutement par les groupes djihadistes, comme ils l’ont fait en Bosnie, en Irak ou en Syrie.C’est pourquoi Joe Biden a assuré que les Etats-Unis continueraient de surveiller le territoire afghan et déclaré : “Nous maintenons le concept de surveillance, pour prévenir toutes les menaces, y compris le groupe Etats islamique et l’ISKP, la filiale afghane, de Daech.”Liens avec Al-QaidaC’est d’Al-Qaïda que les talibans sont les plus proches. Idéologiquement, ils ont fait alliance sur le terrain par le passé. En 1998, les talibans avaient aussi accueilli Oussama Ben Laden. Certains membres d’Al-Qaïda ont même rejoint les talibans et obtenu la nationalité afghane. Depuis la mort de son chef historique, Al-Qaïda a éclaté en plusieurs branches désunies.A Bamiyan, le parc national a été le lieu de violences djihadistes en 2009Mais les experts de l’ONU chargés d’observer les sanctions notaient, en juin 2021, que les liens entre Al-Qaïda et les talibans demeuraient plus étroits que ce qu’ils prétendent.Vladimir Voronkov, sous-secrétaire général du bureau antiterrorisme des Nations unies, a souligné devant la presse que “[le] rapport note également que Daesh a étendu sa présence en Afghanistan. Nous devrons veiller à ce que l’Afghanistan ne serve plus jamais de rampe de lancement au terrorisme mondial.”Risque d’attentatsLes renseignements américains s’attendent à une attaque d’intérêts américains. Peut-être à l’occasion du 20e anniversaire des attentats sur le World Trade Center, le 11 septembre 2001.Certains analystes misent cependant sur le fait que les talibans cherchent en ce moment à se montrer modérés pour ne pas se couper du reste du monde et rappellent que les talibans, eux, veulent instaurer un émirat islamique pachtoune sur l’ensemble du territoire afghan, mais seulement à l’intérieur de ses frontières.Cette vision nationale est l’un des points de dissension avec le groupe Etat islamique qui les a défiés en créant, en 2015, l’Etat islamique-province du Khorasan, sur le territoire afghan.Daesh et les “apostats”Daesh considère les talibans comme des apostats, alors le groupe Etat islamique pourrait tenter de s’engouffrer dans la brèche d’un Etat afghan en déliquescence.Les deux mouvements se sont combattus ces dernières années dans plusieurs provinces afghanes, chacun n’hésitant pas à tuer les combattants du camp adverse.Dans une tribune publiée dans The Guardian , la chercheuse Lydia Khalil, du Lowy Institute , estime par ailleurs que si les talibans font trop de concessions aux occidentaux, le groupe Etat islamique pourrait en profiter pour débaucher certains de ses combattants à son profit.L’armée afghane défaite a été équipée notamment en drones que pourraient récupérer les talibansDes talibans bien armésQuant à Raffaello Pantucci, chercheur à l’Ecole internationale S. Rajaratnam de Singapour, il n’exclue pas que des attaques terroristes soient préparées en Afghanistan pour être perpétrées à l’étranger.Dans une interview à l’AFP, il pointe du doigt l’équipement dont disposent les talibans, “d’importants stocks d’armes de [l’armée afghane défaite] qu’ils collecteront [ainsi que] d’autres matériels haut de gamme, dont il sera intéressant de voir comment ils seront utilisés. Les drones en particulier, il y a beaucoup de drones de champ de bataille que les Américains ont donnés aux forces afghanes.”Autant d’équipements militaires que les talibans pourraient utiliser eux-mêmes ou revendre à leurs alliés.
Avec DW français
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