samedi, novembre 16, 2024
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Tribune : Un moment décisif pour l’Afrique : le renforcement de la résilience climatique passe par un afflux d’investissements dans la nature

Le Sénégal, la FAO, le FIDA et le PAM lancent un programme conjoint pour renforcer la résilience des populations rurales face aux changements climatiques, les conflits et la COVID-19

Par Dr Akinwumi A. Adesina et Pavan Sukhdev

 

Une sécheresse dévastatrice à Madagascar, de graves inondations en Afrique de l’Est et de puissants cyclones au Mozambique. Ces récentes catastrophes naturelles ne sont qu’un avant-goût de ce qui attend l’Afrique avec l’intensification de la crise du climat.

 

Le changement climatique est à l’origine de phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes et perturbe les précipitations sur tout le continent. Les populations et les économies ressentiront de plus en plus les effets du changement climatique au travers des précipitations — quand celles-ci inonderont les habitations et les entreprises, perturberont les chaînes d’approvisionnement, réduiront les rendements agricoles, et quand les communautés seront privées d’eau potable.

 

Tandis que les négociateurs de la COP26 à Glasgow se concentrent sur la manière de réduire les émissions de gaz à effet de serre assez rapidement pour freiner le changement climatique, les effets destructeurs d’un monde devenu plus chaud, sont irréversibles. Le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies indique clairement que ces effets ne feront qu’empirer, les zones sèches devenant encore plus sèches et les zones humides plus humides. Les pays africains ont déjà du mal à faire face au climat actuel, de plus en plus incertain. Ils ne sont pas préparés à un avenir où les extrêmes climatiques seront plus importants.

 

Nous avons besoin d’un investissement rapide et massif dans des initiatives qui renforcent la résilience et l’adaptation au climat sur l’ensemble du continent. Au moins 50 % du financement mondial en faveur du climat devrait être consacré à l’adaptation, à l’instar de ce qu’a déjà fait le Groupe de la Banque africaine de développement. Une part beaucoup plus importante devrait être investie dans la santé des écosystèmes d’eau douce en Afrique.

 

Un tiers de la population africaine est déjà confrontée au manque d’eau, tandis que près de deux tiers de la population urbaine en Afrique subsaharienne ont du mal à accéder aux services de base dans le domaine de l’eau. Les risques liés à l’accès à l’eau pour les entreprises et les investisseurs augmentent. L’eau pour tous restera un rêve si les financements ne commencent pas à affluer vers la protection et la gestion durable des rivières, des lacs et des zones humides d’Afrique.

 

La protection des systèmes d’eau douce est également essentielle pour lutter contre la disparition accélérée de la nature, qui menace notre avenir. Comme l’a souligné un récent rapport, la pêche sauvage en eau douce assure la sécurité alimentaire et la subsistance de dizaines de millions de personnes en Afrique. Cela inclut certaines des populations les plus pauvres et les plus vulnérables du continent. Pourtant, ces pêcheries sont soumises à une pression croissante, de même que les zones humides d’Afrique, en raison de diverses menaces, notamment les effets grandissants du changement climatique.

 

La combinaison d’une meilleure compréhension, d’une réglementation et d’une politique intelligentes, ainsi que d’une augmentation massive des investissements publics et privés peut permettre aux systèmes d’eau douce d’Afrique de s’adapter aux effets du changement climatique.

 

Des solutions ambitieuses et à grande échelle axées sur la nature peuvent renforcer la résilience, car des écosystèmes naturels sains constituent souvent notre meilleure défense contre le changement climatique. La protection ou la restauration des bassins versants forestiers et des plaines inondables peut contribuer à atténuer l’impact des sécheresses et inondations extrêmes. Des mangroves denses peuvent réduire les risques de tempête et d’élévation du niveau de la mer, qui peuvent dévaster les propriétés et l’agriculture côtières. Correctement planifiés, certains de ces projets peuvent à la fois réduire les émissions de carbone, protéger la nature et créer des emplois locaux.

 

 

Il ne s’agit pas seulement de théorie. De nombreuses mesures ont déjà été prises. Le « Cœur bleu » de l’Afrique du WWF a réuni des gouvernements, le secteur privé et des experts en développement pour concevoir des initiatives d’adaptation à grande échelle. La préservation des marais de Lukanga en Zambie permet de garantir l’approvisionnement en eau pour l’agriculture, l’industrie, l’électricité, les populations et la nature. La protection des mangroves sur la côte du Kenya réduit le risque de catastrophe. Et la restauration des zones humides fait de Kigali une ville plus résiliente. Mais des plans bien conçus ne sont rien sans les fonds nécessaires. Le monde doit soutenir son ambition en consacrant des milliards de dollars supplémentaires à l’adaptation.

 

Il y a quelques bonnes nouvelles. Le financement public et privé en faveur du climat augmente, atteignant un montant estimé entre 608 et 622 milliards de dollars en 2019, selon la Climate Policy Initiative (CPI). Cependant, cela est loin d’être suffisant, et la majeure partie de ces fonds finance la réduction des émissions de gaz à effet de serre plutôt que l’adaptation au changement climatique. L’atténuation des effets du changement climatique est, bien entendu, d’une importance capitale, car plus la terre se réchauffe, plus l’humanité sera confrontée à des catastrophes de plus en plus dévastatrices et mortelles. Mais bien que le changement climatique nuise déjà à un grand nombre de communautés et de pays, la CPI a constaté que seulement 7 % du financement total consacré au climat était destiné à l’adaptation ou présentait des avantages sur le plan de l’adaptation.

 

La réponse est de mettre le financement de l’adaptation au changement climatique sur un pied d’égalité avec les fonds destinés à l’atténuation du changement climatique — et de les augmenter tous les deux. Le groupe de la Banque africaine de développement a déjà montré la voie. Il a plus que doublé ses financements en faveur de l’adaptation au climat, les portant à 55 % en 2019 comparativement à 2016. Il accueille également le bureau africain du Centre mondial pour l’adaptation. La Banque et le Centre ont lancé conjointement le Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique au début de l’année 2021. Ce programme est en train de mobiliser 25 milliards de dollars pour des initiatives d’adaptation au changement climatique.

 

Ce sont des investissements qui promettent des rendements exceptionnels. La Commission mondiale sur l’adaptation estime qu’un investissement de 1 800 milliards de dollars dans cinq domaines clés de la résilience climatique entre 2020 et 2030 générerait plus de 7 000 milliards de dollars de bénéfices.

 

Mais il ne s’agit pas simplement d’injecter plus d’argent dans l’adaptation au climat en Afrique. Nous ne construirons des économies et des écosystèmes plus résilients que si les nouveaux financements sont alloués aux bons projets dans les endroits qui en ont le plus besoin. Cela inclut des solutions fondées sur la nature qui améliorent la santé des écosystèmes d’eau douce. Le succès dépendra de la capacité des dirigeants politiques à se rallier de manière significative à la cause de l’adaptation climatique à grande échelle.

 

C’est le moment décisif pour l’Afrique. En augmentant dès maintenant les investissements dans des rivières, des zones humides et des lacs plus sains, nous pouvons construire des communautés, des économies et des pays plus résilients et favoriser le développement durable sur le long terme. L’Afrique, continent qui a le moins contribué au réchauffement de la planète, a été lésée par le changement climatique. Faisons en sorte qu’elle ne le soit pas non plus en matière de financement lié au climat.

 

Dr Akinwumi A. Adesina est président du Groupe de la Banque africaine de développement. Pavan Sukhdev est président du Fonds mondial pour la nature.

 

 

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