Sécurité précaire : Antoine Tombet expose les craintes liées à la sécurité des victimes en exclusivité.

Sécurité précaire : Antoine Tombet expose les craintes liées à la sécurité des victimes en exclusivité.

 

Monsieur Antoine Tombet
Monsieur Antoine Tombet

 

Bangui, 08 décembre 2023 (CNC) – Bienvenue dans la deuxième partie de l’interview exclusive avec Antoine Tombet (AT), un survivant des atrocités présumée commises par le tout puissant chef rebelle de la séléka Noureddine Adam en République centrafricaine. Antoine Tombet est également membre actif d’un collectif de victimes qui lutte pour la justice, la réparation et le devoir de mémoire.

Dans cet entretien, nous aborderons les préoccupations spécifiques soulevées par Antoine lors de sa rencontre avec le Procureur adjoint de la Cour pénale internationale (CPI), Monsieur Mame Niang.

Nous explorerons également les défis auxquels sont confrontées les victimes en matière d’information, de sensibilisation, de prise en charge médicale et psychologique, ainsi que la sécurité à Bangui.

Enfin, Antoine partagera ses attentes et espoirs concernant la recherche de justice et de réparation pour les victimes de Noureddine Adam grâce à l’intervention de la CPI.

Pour rappel, Noureddine Adam est l’ancien directeur général du Comité extraordinaire de défense des acquis démocratiques en abrégé (CEDAD), un service de renseignements du régime de la séléka aujourd’hui défunt. Le CEDAD servait de police politique personnelle de Noureddine Adam qui s’est livré à de nombreuses arrestations arbitraires, à des actes de torture et à des exécutions sommaires dans ces locaux. Aujourd’hui, il est recherché par la cour pénale internationale, mais il est toujours dans la captivité.

Cette interview offre un aperçu éclairant de la persévérance et de la détermination des victimes à faire entendre leur voix et à prévenir de futurs actes de violence. Nous vous invitons à suivre cet entretien captivant avec Antoine Tombet.

 

CNC :  lors de votre rencontre avec le Procureur adjoint de la CPI, quelles sont les préoccupations spécifiques que vous avez soulevées au nom de votre collectif?

 

Antoine TOMBET (AT): lors de mes échanges avec le Procureur adjoint de la CPI Monsieur Mame Niang, je lui ai expliqué que notre Avocat Maître Isabelle KESSEL nous représente à la CPI dans l’affaire Noureddine Adam et que nous ne voulions pas que l’on nous impose un avocat de l OPCV que nous ne connaissons pas, qui ne parle pas Sango, n’a jamais mis les pieds en République centrafricaine, qui ne maîtrise pas le contexte centrafricain, qui n’a pas vécu la crise avec nous en 2013 sur le territoire centrafricain. Notre Conseil Maître KESSEL s’exprime couramment en Sango et maîtrise parfaitement les tenants et les aboutissants de l’affaire Noureddine Adam. Par ailleurs au titre du respect du principe de procès équitable nous, les victimes, avons le droit de choisir librement notre Avocat au même titre que l’accusé. J’ai donc demandé au Procureur adjoint de la CPI que le droit des victimes à choisir librement leur avocat soit respecté par la CPI.

Ensuite, la question du manque d’informations sur l’affaire Noureddine Adam. Aucune sensibilisation n’est faite par le service des victimes (VPRS) du bureau de la CPI à Bangui. Ils ont pourtant des véhicules robustes pour sillonner le terrain mais ces gens préfèrent rester dans leurs bureaux climatisés, pour y faire quoi au juste ? Je me le demande. Au final, nous ne voyons jamais les personnels du service des victimes de la CPI sur le terrain et nous les victimes sommes maintenus dans le flou artistique.

 

CNC : vous soulignez le fait que le bureau de la CPI à Bangui ne réalise pas de travail de sensibilisation sur le terrain. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cela est important pour les victimes et quelles actions vous aimeriez voir entreprises à cet égard ?

 

AT: le bureau de la CPI doit maintenir un dialogue constant avec les victimes dont la vie a été touchée par les conflits, les atrocités et informer les communautés affectées, les élèves, les femmes, les personnes vulnérables, les familles des victimes.

Les victimes ont le droit de comprendre et de s’approprier le processus judiciaire. Avec le bureau de la CPI de Bangui il n’en est rien, hélas !

Notre collectif aspire à aller directement rencontrer les personnels de la CPI à la Haye aux Pays Bas, rencontrer le service de protection des témoins visiter la CPI et en comprendre les mécanismes. Ces gens de la CPI vivent à 7000 km de Bangui comment peuvent ils comprendre les réalités que nous vivons et les difficultés que nous éprouvons avec nos proches avec une si longue distance.

Je réitère mes propos le bureau de la CPI de Bangui et particulièrement la VPRS, ne fait aucun travail de sensibilisation sur le terrain pour informer les victimes. Résultat il y a beaucoup de désinformation et de mesinformation. Les activités de la VPRS CPI à Bangui sont inexistantes.

Je demande solennellement à la CPI d activement et publiquement contrer la désinformation sur ses activités en République centrafricaine, de déployer des agents compétents et empathiques sur le terrain, qui soient en mesure d’écouter nos peurs, nos revendications et les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Nous avons besoin d’informations fiables et précises de la CPI au fur et à mesure de la procédure. Au fin fond de nos quartiers, certaines victimes n’ont pas le courage d’aller au bureau de la CPI, pire beaucoup ne savent même pas où se situe la CPI.

En définitive, nous les victimes, nous nous sentons abandonnées. Heureusement notre Avocat Maître KESSEL est constamment sur le terrain avec les victimes, sillonne les quatre coins de la République centrafricaine à ses frais pour aller écouter avec moi de nombreuses victimes dans des zones reculées et difficiles d’accès, où la CPI n’a jamais mis les pieds. Les victimes sont en contact permanent avec notre Avocat. Maître KESSEL est une avocate chevronnée et dévouée et qui nous soutient moralement. Au nom des victimes de notre collectif, je tiens à lui rendre hommage. Nous avons pleinement confiance en notre avocat mais aucune confiance dans le bureau de la CPI de Bangui.

Il est fondamental que les victimes soient dûment informées et puissent présenter leurs observations par l’intermédiaire de leur avocat.

Concernant la sensibilisation des victimes et de notre situation judiciaire et humaine, je souhaite en tant que survivant faire des conférences dans le monde entier, dans les écoles, les lycées, les universités et demande officiellement aux Nations unies la construction d’un Mémorial à l’instar du Mémorial de la Shoah. Un mémorial avec les noms de mes codétenus exécutés et détenus à la prison de la Cedad. J’aspire à aller porter mon témoignage à la Tribune des Nations unies en tant qu’activiste pour le devoir de mémoire. En cela la CPI et la Minusca peuvent me soutenir pour aller aux Nations unies à New York et porter haut et fort la parole des victimes. Je le fais pour que tous les noms des victimes soient honorés à jamais.

Je demande à la CPI de reconnaître mon statut d’intermédiaire et l’allocation d’un budget spécifique pour poursuivre ma mission auprès des victimes.

Je demande à la CPI de mettre en place des programmes de sensibilisation variés et un devoir d’explication sans oublier une communication renforcée envers les victimes et les communautés affectées avec de vraies enquêtes sur le terrain et collectes de preuves solides et des témoignages accablants. C’est à ce prix que l’action de la justice pénale internationale  sera légitime et efficace aux yeux des victimes et de la population centrafricaine qui a tant souffert de toutes ces crises à répétition. La CPI est une Cour éloignée des victimes. C’est notre Avocat qui nous explique les démarches et les enjeux de l’affaire Noureddine Adam.

 

CNC : la question de la prise en charge médicale et psychologique des victimes depuis 2013, est une préoccupation majeure. Pourriez vous nous donner plus de détails sur cette situation et sur ce que vous attendez de la CPI à ce sujet?

 

AT: suite à l’affaire Bemba et Mokome, la CPI a été très critiquée à Bangui pire rejetée par les Centrafricains. Je voulais parler du Fonds au profit des victimes. Qui gère ce fonds ? Comment est il financé ? Autant de questions sans réponses. Nous n’avons jamais vu les gens qui travaillent dans ce fonds dans nos quartiers. Quel travail font ces gens dans ce fonds ? Mystère. On aurait aimé en tant que victimes de Noureddine Adam avoir une somme même modique pour démarrer des activités génératrices de revenus en attendant le procès Noureddine Adam. Nous sommes très inquiets.

Par ailleurs, la CPI ne nous a jamais rien proposé en termes de prise en charge médicale et psychologique. Nous demandons à la CPI des mesures pour nous aider, nous les survivants, à reconstruire nos vies, surmonter les traumatismes, retrouver espoir et dignité avec nos familles et les familles endeuillées.

Nous demandons une prise en charge médicale et un accompagnement psychologique individuel et une thérapie de groupe et pour certaines victimes l’accès à l’éducation et obtenir un soutien socio économique en termes d’activités génératrices de revenus.

 

CNC : vous avez également évoqué des inquiétudes concernant la sécurité des victimes à Bangui. Pouvez-vous expliquer en quoi cela est lié à votre travail et quelles mesures vous aimeriez voir prises pour garantir la sécurité des membres de votre collectif ?

 

AT: nous les survivants de la Cedad, nous avons peur au quotidien avec nos familles. Je témoigne à visage découvert pour que les atrocités commises par Noureddine Adam à la Cedad soient connues dans le monde entier et que les victimes de la Cedad ne soient pas oubliées. Il n’en reste pas moins que la famille de Noureddine Adam vit au quartier km5 à Bangui et que nous avons peur des représailles. Que Dieu nous protège avec nos familles.

 

CNC : enfin quelles sont vos attentes et vos espoirs concernant la recherche de justice et de réparation pour les victimes de Noureddine Adam grâce à l’intervention de la CPI même si cela ne peut pas ramener ceux qui sont décédés dans les geôles de la Cedad ?

 

AT : A la Cedad j’ai rencontré la Monstruosité et le Meilleur dans l’homme. En tant que survivant, j’ai promis à mes codétenus dans les geôles de la Cedad que si j’en sortais vivant de ne jamais me taire face à l’injustice et de faire tout mon possible pour que ne se reproduisent plus jamais en République centrafricaine ni partout ailleurs ces crimes contre l’humanité. La Cedad c’était l’enfer sur terre.

J’exhorte la CPI à poursuivre tous les chefs Seleka y compris tous les hommes politiques qui ont participé au gouvernement de Michel Djotodjia. Ils doivent répondre de leurs actes devant le Tribunal de l Histoire à la CPI. C’est fondamental pour que les victimes puissent se reconstruire.

Les victimes attendent de pied ferme le procès de Noureddine Adam à la CPI. Nous demandons réparation.

Je demande solennellement aux Nations unies, au Conseil de sécurité de l’ONU d’honorer les victimes de la Seleka par une Journée internationale dédiée.

La Seleka nous a plongés dans une dimension qui relève de l inracontable. Aujourd’hui j’ai 71 ans quand je ne serai plus là qui pourra témoigner ? Je demande la mise en place d’un programme d’éducation permanent et significatif devant aller au-delà de la commémoration.

Cela pourra servir d’antidote à ceux qui ont des velléités génocidaires en République centrafricaine, le devoir de mémoire est un excellent vaccin pour empêcher  le virus du génocide et du racisme de faire de futures victimes.

J’invite les fonctionnaires des Nations unies et des représentations diplomatiques accréditées à Bangui à venir rencontrer les survivants de la Cedad et leurs enfants, ce qui ajoutera une touche personnelle à leurs engagements publics et leur permettra de faire le point sur la situation dans laquelle vivent les survivants de la Cedad, conditions précaires je dois le dire

Je veux réveiller les consciences dans le monde entier en tant que victime et témoin des atrocités de Noureddine Adam et témoigner sur la capacité de l’être humain à faire le Mal mais aussi sur notre capacité à agir pour réparer le monde.

On doit apprendre à nos enfants à aimer avant que d’autres ne leur apprennent à haïr.

Je vous livre une déclaration du Rabbin Arthur Schneier à la Tribune des Nations unies qui fait écho à ma douloureuse expérience. Il explique ” nous sommes tous dans le même bateau. Alors que nous traversons des eaux tumultueuses en nous guidant avec les avirons de la justice, des droits de l’homme et de la liberté, nous devons nous tirer d’affaire tous ensemble ou bien couler.”

Quand je voyais mes codétenus dans les geôles de la Cedad mourir les uns après les autres, je me demandais à quand mon tour? Aujourd’hui j’espère être centenaire!

Je ne cesserai jamais de transmettre, de témoigner pour que l’horreur d’hier ne se reproduise pas demain.

Chaque naissance de mes petits enfants est une victoire contre ceux de la Seleka qui avaient voulu ma mort, celle de ma famille et celle de mon ethnie gbaya. Tout ce que nous avons vécu ne doit pas mourir dans les oubliettes de l’Histoire. C’est important.

Je suis un Passeur de mémoire.

 

CNC : Monsieur Antoine Tombet, je vous remercie.

 

Antoine Tombet : C’est à moi de vous remercier.

 

Propos recueillis par Anselme Mbata

 

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