RCA : qui est Joseph Akouissonne, journaliste et cinéaste centrafricai ?

Publié le 24 février 2019 , 5:17
Mis à jour le: 24 février 2019 5:17 pm
Joseph Akouissonne de Kitiki

 

 

JOSEPH AKOUISSONNE Cinéaste centrafricain 

 

Si l’on cherche dans la liste des cinéastes africains des noms centrafricains, on en trouve un premier : celui de Joseph AKOUISSONNE. Cependant, il n’est que peu ou pas connu de ses compatriotes, alors que la communauté cinématographique interafricaine lui reconnaît sa valeur et sa place.

 

L’auteur

 

Joseph AKOUISSONNE est né en 1943 à Bangassou. Il accomplit normalement sa scolarité primaire et secondaire au lycée Technique de Bangui. En 1965, il part en France pour préparer son BTS de mécanique et une formation d’ingénieur.

 

Il n’ira pas jusqu’au bout de cette vie, car il se passionne pour l’ethnologie dans son approche cinématographique. Il suit donc des cours du laboratoire audio-visuel de l’Ecole pratique des Hautes Etudes de Paris X et s’inscrit ensuite pour une thèse de troisième cycle sous la direction de Jean Rouch, Directeur de Recherches au CNRS qui a su donner, en France, toute sa valeur au film ethnographique. Dans ce but, Joseph AKOUISSONNE réalise un film, inachevé, sur un artisan potier de Sauveteur de Rouergue.

 

Il y a certainement beaucoup à apprendre d’un regard d’ethnologue africain sur le monde européen ; le fait se développe de plus en plus aujourd’hui et rendra possible ultérieurement une amélioration de cette discipline.

 

N’ayant plus de bourse, Joseph AKOUISSONNE est alors obligé de subvenir par lui-même à ses propres moyens. Il monte à la résidence universitaire de Nanterre un atelier de photo et de cinéma, puis il travaille en tant que technicien pour la télévision. Il réalise également des films sur les problèmes médicaux comme caméraman et acquiert une formation vidéo.

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L’oeuvre

 

Les films de Joseph AKOUISSONNE traduisent véritablement le souci de porter à l’écran des sujets liés à sa condition d’Africain et prouvent combien sa vie n’a pas entraîné un effacement de son identité culturelle au profit de l’Europe mais a provoqué, au contraire, une sensibilité accrue à sa culture d’origine.

 

1er film en 1974 : « Josépha », un court métrage couleur en 16 mm, d’une durée de 13 minutes. Joseph AKOUISSONE avait écrit une série de scénarii sur le thème : Femmes noires en milieu européen. « Josépha », qui a pu être réalisé avec une aide du Ministère de la Coopération, en constitue le premier volet. Josépha est une antillaise qui travaille à Paris comme esthéticienne. C’est l’occasion pour AKOUISSONNE de poser un certain nombre de problèmes d’identité culturelle aussi bien dans la vie quotidienne qu’à travers le métier de cette femme : est-ce par une esthéticienne à l’européenne, (un « masque blanc » comme dirait Franc Fanon), que la femme noire peut se définir dans l’environnement blanc ?

 

2ème film en 1977 : « Festival des arts et des cultures de Royan », un court métrage couleur en 16 mm d’une demi-heure. La ville de Royan organisait autrefois un festival annuel et ce fut plusieurs fois l’occasion des rencontres interculturelles. En 1977, plusieurs pays africains y participèrent et J. AKOUISSONNE réalisa à la demande du Ministère de la Coopération un documentaire sur les troupes des danseurs et de musiciens de la Haute-Volta (actuel Burkina-Faso), du Mali et de la Mauritanie, présents au festival cette année-là.

 

3ème film en 1977 : « Les deux noirs du stade » : Quatre courts métrages couleur en 16mm de 13 minutes chacun. Cette série a été réalisée pour le compte de la Télévision Française. Le sport est un domaine où beaucoup d’athlètes noirs s’imposent de manière incontestable et au plus haut niveau. Il convenait donc de réaliser une série de tableaux sur ces sportifs pour montrer au grand public qui ils sont. J. AKOUISSONNE s’est attaché à présenter trois footballeurs et un basketteur, jouant tous dans des équipes de première division.

              

Mais ce n’est pas un hasard si le film le plus important de J. AKOUISSONNE est aussi celui qui a été largement primé et consacré au Centrafrique. En 1982, il réalise « Zo Kwè Zo », moyen métrage couleur en 18 mm, d’une durée de 50 minutes. Au huitième festival du Fespaco tenu à Ouagadougou du 5 mai au 13 février 1983, ce film a reçu 3 prix :

  • le prix de la commission international TV Cinéma, attribué par l’UNESCO ;

 

  • le prix de la meilleure image (ce qui prouve la qualité technique du film) ;

 

  • le prix de la commune de  Ouagadougou (ce qui montre que non seulement un public de spécialistes mais aussi un grand public africain ont pu apprécier ce film).

 

De plus, en mai 1983, à Cannes, « ZO KWE ZO » a obtenu le prix Jean-René Debbrix.

 

« ZO KWE ZO », qui est la devise centrafricaine créée par B.BOGANDA lui-même, est un film consacré à l’histoire de la RCA. En utilisant des documents d’archives (photos, films …) et avec la participation de l’historien congolais Elikia MBOKOLO, le film retrace les grandes étapes de l’histoire de Centrafrique, depuis la création du poste de BANGUI par Dolisie en 1889 jusqu’à la fin de la colonisation, et de l’indépendance jusqu’à la fin de l’Empire.

 

Comme le dit lui-même J. AKOUISSONNE : « le moment est venu pour les Africains de se prendre en charge et d’écrire leur histoire pour conforter les idées»  

Ailleurs ce qu’il réalise au cinéma par image, Yarisse ZOCTIZOUM l’a fait par écrit dans son livre « Histoire de Centrafrique» 1879-1979  en 2 tomes, édité à Paris aux éditions de l’Harmattan en 1983.

On assiste donc dans les années présentes à cette reprise en main par les Centrafricains de leur passé propre ou exactement de la présentation et de la signification de ce passé. Et le travail de J. AKOUISSONNE en ce sens a été si bien apprécié qu’un commentateur a écrit au sujet de ce film : « c’est  un remarquable cours de vulgarisation politique et un des rares films africains d’archives qui soit une relecture lucide et engagée de l’histoire et non pas un film de propagande ».

 

Au demeurant, le projet global de Joseph AKOUISSONNE ne se limite pas à ce seul film car il ne constitue, selon lui, que la première étape d’un ensemble de films qui s’intitule : « l’Afrique n’a-t-elle que vingt ans ? » Il avait d’ailleurs déjà eu des propositions de la part des Sénégalais pour réaliser un film sur l’histoire de leur pays et de la part des Ivoiriens pour l’histoire de la RCI.

 

On devine, dans ces conditions, que l’auteur soit déconcentré par l’absence d’écho et de réaction de son pays, alors que des instances africaines et européennes y ont, au contraire, largement et favorablement répondu.

 

Parmi les objectifs de J. AKOUISSONNE figure le montage de plusieurs scénarii dont un qui s’inspire de la pièce « Deux poids, deux mesures » composée par l’Union Nationale des Etudiants Centrafricains  (UNEC) en France, pièce qui a d’ailleurs été jouée à Bangui. Cette pièce, et le scénario qui en est tiré, concernent la vie sous le régime de Bokassa.

 

Un autre scénario, intitulé « L’aube des Possédés », se propose de traiter de la période des indépendances à partir du référendum de 1958.

 

Qui oserait, après ce bref aperçu, soutenir que Joseph AKOUISSONNE n’est pas un authentique Centrafricain ?  Qui oserait affirmer qu’il est devenu anonyme au pays des blancs ou qu’il serait dépersonnalisé ? Toute son œuvre cinématographique est centrée sur la reconnaissance de son origine et sur le souci majeur de parler de son pays.

 

Loin de nous toutefois de faire croire qu’en Centrafrique aucun cinéaste n’existerait ou n’aurait aucune compétence. La plupart des techniciens de la RadioTélévision Centrafricaine (R.T.C.A.) sont bloqués par les problèmes financiers. On peut citer cependant Didier WENANGARE qui travaille à la RTCA à Bangui et qui s’est efforcé de poser le problème du cinéma centrafricain notamment dans une conférence publiée dans les Cahiers du Centre Protestant de la Jeunesse (C.P.J.). Actuellement Didier WENANGARE est en train de tourner « Le silence de la forêt », tiré du roman de l’écrivain centrafricain Etienne GOYEMIDE, du même titre, paru à Paris, aux Editions Hatier en 1984.

 

D’autre part, il y aurait à réunir tous les éléments d’information qui concernent le cinéma et le Centrafrique :

  • rappeler qu’un grand film comme « Les racines du ciel » a été tourné en RCA à la veille de l’indépendance.
  • mentionner que le film « L’état sauvage », bien que tourné en Guyane, est tiré du livre de Georges CONCHON écrit sur la RCA en 1964 et ayant obtenu le prix Goncourt – livre qui avait été interdit à l’époque en Centrafrique, non sans raison d’ailleurs.
  • inventorier les films ethnographiques réalisés sur le pays et parmi lesquels on citera : Anne Retel-Laurentin : La justice indigène ;

Pierre Vidal : L’initiation chez les Gbaya,

Hans Steinfurt qui a réalisé pour la Télévision Allemande et les films scientifiques de

son pays plus de vingt (20) films …

 

 

 

Tous les films réalisés sur le pays ou par des Centrafricains devraient être recensés et, si possible, conservés dans une cinémathèque. On s’apercevrait alors qu’il y en a beaucoup plus qu’on ne le croit. Mais on saisit bien qu’à côté de toutes ces productions étrangères, les réalisations des cinéastes centrafricains apportent une sensibilité et une vision d’une autre dimension.

  1. AKOUISSONNE est, de ce point de vue, le pionnier du cinéma centrafricain et il doit être salué pour son courage et pour sa compétence. Puisqu’il n’est plus à démontrer, il mérite d’être largement reconnu par ses compatriotes et d’être incité à poursuivre ses créations cinématographiques.

 

 

(Site : Solidarité Franco-africaine)

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