Mouji Mad Ngar » : De l’Art de la Flatterie des Dignitaires à l’Aliénation par Jean-Pierre Mara

Publié le 23 mai 2024 , 5:10
Mis à jour le: 23 mai 2024 10:28 am

Mouji Mad Ngar » : De l’Art de la Flatterie des Dignitaires à l’Aliénation par Jean-Pierre Mara

 

Portrait de Jean-Pierre Mara, ancien Député de la République Centrafricaine, en costume officiel avec des décorations.
Jean-Pierre Mara, ancien Député, photographié en costume officiel avec des décorations honorifiques.

 

 

Bangui, 24 mai 2024 (CNC) –

 Jean-Pierre Mara, ancien Député, nous présente une analyse profonde de l’impact du vocabulaire sur l’aliénation d’un peuple. Dans son texte, il examine comment certaines expressions linguistiques, particulièrement en pays Sara, peuvent influencer la perception et le comportement des citoyens vis-à-vis de leurs dirigeants. En prélude à ce débat, il se penche sur l’expression « Mouji Mad Ngar » (ou Moyimadngar), signifiant « Flatteur de dignitaires ».

Ci-dessus, voici l’intégralité du texte de Jean-Pierre Mara.

 

‘‘Mouji Mad Ngar’’  de l’art de la flatterie des dignitaires à l’aliénation

Par Jean-Pierre Mara, ancien Député

 

Est-ce que le vocabulaire d’une langue peut conduire à l’aliénation de tout un peuple.

Un débat linguistique et auquel j’aimerai tant associé les linguistes avs. En prélude au jeu linguiste, j’invite à un exercice de chanteur de sirène et me base sur l’existence d’une expression bien connue en pays Sara, culture à cheval sur la frontière entre le Tchad et la République centrafricaine. Dans cette partie frontalière, l’expression suivante est mon choix: Mouji Mad Ngar ( ou Moyimadngar). L’expression signifie ‘‘Flatteur de dignitaires’’

En 1984, dans son élan politique et sa volonté de faire du Sängö une langue nationale écrite pour être utilisée au même titre que le français, le président Kolingba met à contribution des journalistes, des linguistes et toutes autres personnes intéressées pour trouver les expressions permettant l’équivalent des termes désignant les hautes personnalités de l’Etat en commençant par le terme Président, Ministre d’Etat, Ministre et Secrétaire d’Etat.  Les communicants mis à contribution vont exploiter leur capacité de chanteur de sirène, les ‘‘Mouji Mad Ngar’’ pour proposer les expressions Gbîa, Gbëlêgbîa, Gbëyôngbîa, Gbëgôngbîa, Ngurugbîa, Wabâda Alezö, Kubu, Mokonzi Kubu, etc.

En cherchant à prendre la mesure du travail et le sens profond des expressions proposées, on arrive à ce qui suit :

Le mot Président a été traduit par Gbîa, expression voulant littéralement dire Dieu, Seigneur, Roi, Empereur

Le Ministre d’Etat est traduit par Gbëlêgbîa, soit l’amuseur de la cour qui est sous l’œil vigilent, sous le contrôle du Roi

Un Ministre est traduit par Gbëyôngbîa, celui qui travail au ramassage des biens au profit du Roi

Et le Secrétaire d’Etat Gbëgôngbîa, le Griot de la Cours qui chante les louanges tous les jours.

La fonction de Premier Ministre n’existait pas au moment de cette traduction mais de toute les façons, il suffit de mettre Kôzo  qui signifie premier comme préfixe à l’expression Gbëyôngbîa

Ces expressions traduisent-elles un état d’esprit qui a une conséquence sur le comportement de ceux qui gouvernent de tout temps ou plutôt l’esprit culturel d’une valeur que le commun des mortels ne comprendrait pas.

En dépit des contributions sociales pour éclairer la lanterne culturelle, le débat introduit n’est pas seulement linguistique mais neurolinguistique, car en désignant le chef d’un état républicain ”Gbîa”, on annihile par conséquent le statut du citoyen. Le citoyen devient sujet. D’où la prétention de ceux qui accèdent à la tête de l’état de se dire choisi par Dieu. Donc pas de compte à rendre à des bas-sujets.

Le problème de la non maîtrise de la langue ne se limite pas au manque de vocabulaire adapté. A travers l’exemple que nous venons de parcourir concernant l’utilisation du mot Gbîa, il se dégage une observation sociologique de la flatterie à travers les mots utilisés par une langue. Il est vrai que les flatteurs ont existé de tout temps et ont fait légende dans les cours des rois. Leur influence restait cependant banalisée car leur intervention se limitait à la thêatralisation de l’environnement passe temps des  notables et leurs entourages.

Dans l’antiquité, la poésie grecque,  à travers l’Odyssée ( Sirènes et Muses, quels dangers de Camille Semenzato p. 117-131) montre l’opposition entre l’image sombre, négative, dangereuse voire mortifère des Sirènes et celle claire, positive, désirable et utile des muses pour faire distinguer que les deux genres de divinités sirènes au chant envoûtant conduisaient à leur perte les hommes qui l’entendaient, tandis que les muses étaient de désirables et idylliques jeunes filles dont le chant était de grande utilité pour le monde humain. Cette poésie est une manière de démontrer comment tous les détenteurs de pouvoir peuvent, chacun à sa manière, exploiter les multiples faces inhérentes à la même vie. Elle montre que tout est finalement question de contexte et de mesure et il revient au dirigeant politique de choisir. Les griots avaient présenté des expressions, il revenait aux dirigeants politiques Centrafricains de l’époque, qui étaient à une phase d’expérimentation du processus de normalisation de la langue  sängö de faire la part des choses. Cela n’a pas été le cas. Aujourd’hui avec le recul, il revient aux contemporains de juger de l’influence néfaste de l’usage de cette traduction. Un président de la République est-il un Seigneur, un Dieu ou un Demi-Dieu. Il revient à la nouvelle génération de tirer la conclusion qui s’impose. Notre devoir critique est de faire remarquer que les mots qui désignent aujourd’hui les détenteurs de portefeuilles ministériels, ont été mal traduits.

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