L’intervention française en Centrafrique: éducation à la defense (Vidéo incluse )

Publié le 14 juillet 2014 , 3:07
Mis à jour le: 14 juillet 2014 3:10 am
  • 1959 – Barthélémy BOGANDA (1910-1959), père de l’indépendance centrafricaine et premier chef d’État centrafricain, meurt prématurément dans un accident d’avion. Lui succède son cousin David DACKO (1930-2003).
  • 1965 – Le neveu de BOGANDA, Jean-Bedel BOKASSA (1921-1996) renverse DACKO.
  • 1979 – Renversement de BOKASSA. Celui-ci, qui s’est auto-proclamé empereur en 1977, est dans un premier temps soutenu par la France. Mais celle-ci s’en détache progressivement, surtout après la répression sanglante des manifestations lycéennes en janvier ; une répression menée par le Général François BOZIZÉ (1946-). L’Armée française participe directement au renversement de BOKASSA : c’est l’opération Centrafrique-Bangui dite CABAN en septembre 1979. Conduite par des éléments du renseignement français, l’opération CABAN est immédiatement suivie d’une deuxième opération plus importante : l’opération Barracuda. Pour la France, qui réinstalle au pouvoir David DACKO, il s’agit à la fois de veiller à la stabilité intérieure de l’État centrafricain, de protéger la communauté française (3500 personnes), de dissuader toute tentative d’intervention libyenne et tchadienne par le nord.
  • 1981 – Ayant rétabli la République, DACKO, qui craint cependant une tentative de coup d’État, démissionne. Il est remplacé par le Général André KOLINGBA (1936-2010), qui instaure une dictature. Cette dernière évolue cependant vers une certaine libéralisation (multipartisme et organisation d’élections).
  • 1993 – Vainqueur à l’élection présidentielle d’août 1993, Ange-Félix PATASSÉ (1937-2011) prend le pouvoir. Sa présidence est marquée par une grande instabilité intérieure (mutineries et tentatives de putsch), et une hostilité populaire croissante. Cette situation finit par détacher la France d’un régime perçu comme non viable.
  • 2003 – De plus en plus coupé de son armée, et sous protection libyenne, PATASSÉ est finalement renversé par François BOZIZÉ. Ce dernier ne parvient, cependant pas, à consolider son pouvoir ni à normaliser la politique intérieure centrafricaine. La présidence de BOZIZÉ correspond à une situation de guerre civile plus ou moins larvée, qui va en s’accroissant.
  • 2012 – La contestation des élections présidentielle et législatives de 2011 about à la formation d’une coalition anti-BOZIZÉ : c’est la Séléka. Agrégat de plusieurs partis et mouvements d’opposition, la Séléka se double d’une opposition musulmane majoritaire dans ses rangs.
  • 2013 – La Séléka, devenue une véritable rébellion armée, investit plusieurs villes dont Bangui qui tombe en mars. Michel DJOTODIA (1949-), chef de l’Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR), l’une des composantes de la Séléka, chasse BOZIZÉ et s’auto-proclame président. DJOTODIA dissout la Séléka, mais celle-ci mute en milices incontrôlables, dont les “seigneurs de guerre” échappent au contrôle de DJOTODIA. Les exactions et la terreur que les ex-Séléka (à forte coloration musulmane) font subir à la population, mettent le pays au bord d’une guerre civile et confessionnelle. Ce contexte qualifié de “pré-génocidaire” par les États-unis et l’ONU, aboutit au vote de la résolution onusienne 2127, qui permet le déploiement d’une Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique (MISCA) avec l’appui des troupes françaises. C’est le début de l’opération Sangaris.
Carte RCA
Carte RCA

 

Présentation géographique de la Centrafrique

Pays d’Afrique centrale, plus grand que la France avec 623 000 km2 pour 5 000 000 d’habitants, la République centrafricaine (RCA) ou Centrafrique reste un pays enclavé sans ouverture maritime. Située plus au sud que le Mali, et moins étendu en latitude que celui-ci, on y trouve un climat équatorial qui se tropicalise au fur et à mesure que l’on va vers le nord. Le sud est le domaine de la forêt équatoriale, quant à l’extrême nord il atteint déjà les marges sahéliennes. Entre nous trouvons la steppe et la savane. Milieux de transition, ces dernières couvrent la plus grande partie d’un espace, où le rapport entre la superficie du territoire et le nombre d’habitants explique un peuplement disparate. Les hommes sont rares en Centrafrique.

Différence majeure avec le Mali, la population centrafricaine est à majorité chrétienne (80%, catholiques et protestants confondus). La minorité, elle, est animiste et musulmane. Ce peuplement multi-ethnique se concentre dans les villes dont Bangui, la capitale située sur la rive droite du fleuve Oubangui. Bangui dépasse aujourd’hui le seuil du million d’habitants. La géographie de ses quartiers, où l’on trouve une importante communauté tchadienne, reflètent nettement ces lignes de fracture ethniques et confessionnelles.

L’histoire récente

Colonie relevant de l’Afrique Équatoriale Française (AEF), le territoire de l’Oubangui-Chari devient la Centrafrique moderne le 13 août 1960. Le nouvel État a gardé le français comme l’une de ses deux langues officielles avec le sango. Le sous-sol centrafricain est riche (diamant, cuivre, or, uranium, fer et même pétrole au nord), et intéresse notamment la firme française AREVA. Le pays ne parvient cependant pas à exploiter ses richesses, et demeure un PMA avec une économie majoritairement agricole, et un réseau de transport particulièrement dégradé. C’est à Bangui que l’on trouve le seul aéroport d’importance (aéroport de Bangui M’Poko) ; une infrastructure stratégique que la force Sangaris s’est empressée de sécuriser dès les premières heures de son intervention.

C’est cependant la situation géopolitique post-indépendance qui a le plus entravé le développement économique de la République centrafricaine. De 1960 à aujourd’hui, l’histoire du pays se confond avec une succession de coups d’État oscillant entre velléités démocratiques et régimes autoritaires (cf. chronologie supra). Il en résulte un État particulièrement affaibli, incompétent, corrompu et, in fine, incapable de conduire les réformes politiques et économiques indispensables. Cette faiblesse originelle a exposé la Centrafrique, dont le territoire n’a jamais été maîtrisé, à la poussée expansionniste de la Libye du Colonel Mouammar KADHAFI (1942-2011) via le Tchad. Cet expansionnisme correspond aussi à des lignes de pénétration beaucoup plus anciennes, qui remontent au commerce d’esclaves antérieur à la colonisation française. Le contexte géopolitique de la Centrafrique s’inscrit, donc, dans une dimension régionale conflictuelle, dès son indépendance et alors que la Guerre froide agite les relations internationales.

L’action post-coloniale de la France

Nonobstant la décolonisation, la France ne quitte pas l’Afrique centrale où elle continue de maintenir des forces prépositionnées en RCA mais également dans les pays voisins. Elle dispose ainsi d’une connaissance approfondie des États de la région. Dès 1960, des accords militaires importants sont noués avec la RCA. L’objectif est de former les Forces Armées Centrafricaine (FACA), et de veiller également à l’intégrité du nouvel État. La stratégie vaut également pour le Tchad situé au nord et, au-delà, le Niger. Ces accords bilatéraux qui permettent une présence militaire effective, expliquent des tensions qui ont pu être vives avec l’État libyen (1).

De fait, la France intervient encore régulièrement dans ces pays, cinquante ans après la décolonisation. En RCA, la porosité des frontières favorise les flux et les trafics les plus néfastes. La forêt équatoriale offre un refuge aux groupes armés de tous genres au sud (2), alors qu’au nord ce sont des rébellions armées, hostiles à Bangui, qui se structurent depuis le début des années 2000, notamment dans la région dite des “trois frontières” (Tchad, Soudan et RCA). À ces “zones grises” qui échappent à tout contrôle de l’État, il faut ajouter la proximité de trois grandes zones de conflits, dont les effets sont transfrontaliers : l’Ituri au sud-est en République Démocratique du Congo, le Darfour au nord-est au Soudan, et le bassin pétrolier de Doba au nord-ouest au Tchad. La faiblesse structurelles des FACA en ajoute à ces menaces centrifuges. À la fin des années 1990, les opérations Furet puis Almandin protègent les ressortissants français et étrangers d’une mutinerie de celles-ci. Il faut par la même occasion sécuriser les institutions, divers centres et infrastructures névralgiques. Plus récemment, avec le renversement de PATASSÉ et l’accession de François BOZIZÉ au pouvoir, l’opération Boali est déclenchée (mars 2003) pour soutenir les FACA et la FOMUC (3) alors que la situation dans le nord du pays ne cesse de se dégrader.

C’est donc à une situation particulièrement difficile que la France est confrontée en cette fin d’année 2013. Au bord de la guerre civile avec une menace de partition du nord musulman, la RCA, privée, d’un État reconnu et capable, pourrait déclencher une conflagration régionale dont l’un des effets redoutés serait de sanctuariser des mouvements djihadistes en provenance du Nigeria, du Soudan ou d’ailleurs. Le tout avec un risque réel de génocide ethnique et religieux (cf. “La Séléka et ses composantes politiques” infra). C’est qu’entre-temps, la situation s’est encore aggravée.

L’opération Sangaris

Les événements commencent à s’accélérer à partir d’octobre 2006, date d’une première grande offensive rebelle nordiste en direction du sud du pays. Une deuxième offensive a lieu en mars 2007, à laquelle succède une troisième en décembre 2012 et une quatrième en mars 2013. En dépit de tentatives de médiation (accords de Libreville en janvier 2013), cette dernière offensive sera fatale au gouvernement BOZIZÉ qui se réfugie au Cameroun voisin. À chaque fois, les forces françaises soutiennent l’action des FACA par le renseignement, l’appui logistique, et l’appui-feu. Dans le cadre du dispositif Boali, les soldats français ont ainsi été amenés, à plusieurs reprises, à affronter les rebelles.

Lorsque, à la tête des milices de la Séléka, Michel DJOTODIA prend Bangui en mars 2013, la France qui jusqu’à présent agissait sans mandat onusien – mais dans un cadre bilatéral -, allège son dispositif, ainsi que la Mission de Consolidation de la Paix en Centrafrique (MICOPAX) qui, entre-temps, avait succédé à la la FOMUC. La MICOPAX dont le contingent sud-africain avait été durement étrillé le 27 mars (13 morts et près d’une trentaine de blessés) au cours d’un combat avec la Séléka. Ces événements montrent, par ailleurs, que les armées africaines (FACA incluses) n’ont jamais vraiment été opérationnelles ni efficaces, à l’exception notable du contingent tchadien. La “montée en puissance” des armées africaines a plus été décrite sur le papier qu’elle ne s’est réalisée dans les faits.

La situation ne s’améliore pas dans les mois qui suivent la victoire de DJOTODIA, et c’est l’anarchie et la terreur qui s’abattent sur le pays. Dissoute, la Séléka n’en poursuit pas moins ses nombreuses exactions s’aliénant les populations. La coloration musulmane des milices de l’ex-Séléka, ainsi que la présence de nombreux combattants soudanais et tchadiens dans leurs rangs, achèvent de donner un tour religieux à un conflit qui, jusqu’à présent, posait surtout la question de la légitimité du pouvoir en place. Devant la terreur des ex-Séléka, des milices anti-balaka (littéralement “anti-machettes”) se sont constituées pour affronter les ex-Séléka. Peu aguerris, mal équipés, mais rassemblant en nombre et rejoints par des combattants des ex-FACA, les anti-balaka lancent une contre-terreur dans les campagnes où leurs cibles sont essentiellement musulmanes. Le 5 décembre 2013, ils attaquent Bangui mais sont repoussés par les ex-Séléka. En représailles, ces derniers se livrent à des tueries (entre 600 et 1000 morts). Les affrontements inter-religieux entre Chrétiens et Musulmans laissent, désormais, planer un véritable risque génocidaire.

Ces faits se produisent au moment même où l’ONU adopte la résolution 2127, qui autorise le déploiement d’une Mission de Soutien à la Centrafrique sous Conduite Africaine (MISCA). La MISCA vient s’intégrer dans la FOMUC où elle remplace la MICOPAX, mais là encore la faiblesse structurelle des contingents africains vouent toute action à l’échec s’il n’y a un soutien occidental, plus particulièrement français. D’emblée, la résolution 2127 autorise le soutien militaire français à la MISCA. Ce soutien se déploie dès le vote obtenu. À partir du 5 décembre, et devant les massacres perpétrés par les ex-Séléka à Bangui, 1600 soldats français sont projetés en Centrafrique. C’est le début de l’opération Sangaris, où la France se trouve en situation d’interposition, plus proche de ce qu’elle a connu au Kosovo (désarmement, maintien de l’ordre, séparation des communautés), que des combats menés en Afghanistan et au Mali où les adversaires étaient nettement désignés.

(1) En septembre 1987, la Libye bombarde des troupes françaises à Abéché (Tchad), mais ces dernières abattent un Tupolev 22.
(2) Une partie de la guérilla ougandaise de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) de Joseph KONY s’est ainsi réfugiée en RCA, où elle commet de nombreuses exactions à l’encontre des popualtions locales.
(3) La Force Multinationale en Centrafrique (FOMUC) – on trouve aussi FOMAC pour Force Multinationale de l’Afrique Centrale – succède à la Mission des Nations Unies en République Centrafricaine (MINURCA) dont le mandat n’a duré que deux ans (1998-2000). Initiative africaine et régionale, émanation de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), la FOMUC – qui compte moins de 400 militaires – a pour mission de protéger le pouvoir central, de soutenir l’action des FACA, notamment sur la frontière septentrionale avec le Tchad. Organisée dans un premier temps au bénéfice du Président PATASSÉ, elle poursuit sa mission avec son successeur.

La Séléka et ses composantes politiques

La Séléka (mot sango signifiant “coalition”) désigne le rassemblement d’un ensemble de tribus du nord de la Centrafrique, mais aussi situées au nord de l’actuel État centrafricain. Agrégat ethno-religieux pouvant regrouper des tribus antagonistes (Gula et Runga par exemple), la Séléka n’a pas de véritable programme au sens politique du terme. Elle se présente même comme une coalition de rébellion aux intérêtsdivergenst et conflictuels. Le renversement du Président François BOZIZÉ est son seul ciment. Née à l’été 2012 de la greffe de plusieurs forces politiques (cf. infra), la Séléka développe une offensive rapide et victorieuse en direction de Bangui en mars 2013. Le spécialiste de l’Afrique, Bernard LUGAN, inscrit ces agressions venues du Nord dans une tradition plus lointaine de razzias sahélo-soudanienne antérieures à l’histoire coloniale.

Après la victoire de Michel DJOTODIA, et nonobstant leur dissolution, les milices de la Séléka (dont les combattants sont en grande majorité musulmans) poursuivent leurs exactions sur la population chrétienne. Composé de brigands et de “coupeurs de route”, de Soudanais et de Tchadiens incontrôlables, ce qui est désormais devenu un phénomène de bandes armées et de seigneurs de guerre, met la Centrafrique dans une situation d’anarchie et de quasi guerre civile, ce qui déclenche l’intervention militaire française Sangaris.

  1. La Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) de Noureddine ADAM (ethnie Runga).
  2. L’Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR) de Michel DJOTODIA (ethnie Gula).
  3. Le Front Démocratique du Peuple Centrafricain (FDPC) d’Abdoulaye MISKINE (ethnie N’Gama).
  4. La Convention Patriotique pour le Salut du Kodro (CPSK) de Mohamed-Moussa DHAFFANE (ethnie Gula).
  5. L’Alliance pour la Renaissance et la Refondation (A2R), qui reste un mouvement assez mal connu.

 

Logo Sangaris

SOLDATS FRANCAIS TOMBÉS EN CENTRAFRIQUE (2013-)

  1. Soldat de 1ère classe Antoine LE QUINIO, 22 ans, 8e RPIMa (Castres), tombé à Bangui le lundi 9 décembre 2013 – Combat.
  2. Soldat de 1ère classe Nicolas VOKAER, 23 ans, 8e RPIMa (Castres), tombé à Bangui le lundi 9 décembre 2013 – Combat.
  3. Caporal Damien DOLET, 26 ans, RICM (Poitiers), tombé à Bouar le dimanche 23 février 2014 – Accident.

Drapeau français

Par : Nghia NGUYEN (ENS-WEB)

Aucun article à afficher