CENTRAFRIQUE : LES GERMES DU TOTALITARISME EN GESTATION, NOTRE JEUNE DÉMOCRATIE EST-ELLE MENACÉE ?

Publié le 8 avril 2017 , 11:12
Mis à jour le: 8 avril 2017 11:12 pm

CENTRAFRIQUE : LES GERMES DU TOTALITARISME EN GESTATION, NOTRE JEUNE DÉMOCRATIE EST-ELLE MENACÉE ?

 

Monsieur Bernard Selembi Doudou
Monsieur Bernard Selembi Doudou

 

Bangui, le 9 avril 2017.

Par : Bernard Selemby-Doudou.

 

Après le retour à l’ordre constitutionnel, la République Centrafricaine s’était logiquement inscrite dans le concert des nations et la démocratie a repris ses droits. Le President de la République élu légitimement avait le devoir de respecter le serment prononcé lors de son investiture à la magistrature suprême de l’Etat. La sécurité, la paix, l’intégrité du territoire national, le respect du principe de légalité, le respect du principe de séparation de pouvoir, la garantie de la justice et des libertés fondamentales devraient être les leviers des actions prioritaires.

L’état des lieux du cinquième de la mandature fait ressortir une déviation de trajectoire nonobstant la volonté de mieux s’appliquer. Cette dérive ouvre une voie royale aux attributs d’un régime totalitaire. Le totalitarisme par définition est un système politique qui appartient à une époque dans lequel l’Etat établit son emprise sur la totalité des activités politiques, économiques, sociales etc…ce système a tendance à anéantir, à museler l’opposition et à occuper au maximum l’espace médiatique. Le Bras de fer entre le President de la République et le President de l’assemblée nationale est né de la tentative d’annexion ou de contrôle du parlement par l’exécutif. Mais pourquoi le President de la République veut absolument avoir un droit de regard sur le parlement en plaçant ces hommes de confiance dans le dit bureau ? Ce mystère est mis à nu par les pratiques et réalités du moment. Des dépenses d’anniversaire en étroite contradiction au contexte socio-économique du pays, l’effigie du President de la République est partout et sur différents supports comme si le pays était en perpétuelle campagne électorale, des célébrations fêtes avec des majorettes qui nous rappelle l’ex empire…bref. Mais qu’est-ce qui justifie cette crise institutionnelle au sommet de l’Etat ? Quelle est l’institution habilitée à les concilier ?

Après avoir relevé le défi de l’organisation des élections couplées sur un territoire militairement occupé, la Centrafrique a innové en matière de démocratie en infligeant des sanctions multiformes aux représentants du peuple c’est à dire le parlement : non versement des indemnités parlementaires, suspension déguisée du budget de fonctionnement, arrestation et audition d’un parlementaire à la Section de Recherche et Investigations ( SRI ) en violation des immunités et inviolabilités parlementaires, annulation ou report répété des rencontres hebdomadaires pour échanger sur la situation du pays, refus d’un ministre de répondre aux convocations des parlementaires etc… s’agit-il d’une tentative de museler l’assemblée nationale par des manoeuvres de basse classe ? Sommes-nous dans quel modèle d’Etat ? Faut-il un séminaire ou un atelier de formation pour expliquer et clarifier le rôle combien important du parlement dans un État de droit ?

Faut-il nommer un spécialiste du droit constitutionnel à la présidence de la République pour aiguiller leur décision ? À notre avis, le gouvernement regorge déjà des juristes chevronnés capables d’expliquer la célèbre théorie de Montesquieu. A titre de rappel, il faut noter qu’en dehors de son rôle essentiel d’élaboration de la loi, le parlement a une autre fonction de contrôler politiquement le gouvernement. Il s’agit d’abord d’un contrôle pour l’information des parlementaires qui se manifeste par des questions écrites ou orales et par des commissions d’enquête. Sachant que ce contrôle est prévu par les textes, pourquoi les membres du gouvernement refusent de se soumettre à ce jeu démocratique ? Ensuite, dans des cas extrêmes, le parlement peut faire un contrôle sanction qui se matérialise par la question de confiance ou par la motion de censure. Quand l’exercice du pouvoir politique ne respecte pas ou plus les parlementaires qui sont l’émanation du peuple, ce pouvoir est autoritaire. Il s’agit en de termes simples de la dictature démocratique ou de la dictature constitutionnelle. A contrario, dans un État dit démocratique, l’exécutif ne se croit pas tout permis ou invulnérable. Il doit respecter les normes juridiques établies, qui sont organisées de façon hiérarchisée et surtout de veiller au respect des libertés publiques reconnues au citoyen. Dans la pratique, on assiste à l’anéantissement de l’opposition. Cette dernière est inexistante sur l’échiquier politique centrafricain à l’exception de l’URCA qui a réagi dernièrement à l’autosatisfaction du pouvoir sur son bilan d’un an de mandature. Sur la trentaine de candidats aux dernières présidentielles, le pouvoir a réussi à absorber la majorité pour émietter l’opposition. L’opposition est ainsi réduite à l’URCA et son allié le RDC. Au passage, le citoyen lambda se pose la question de savoir où est passé le RDC ? Ce grand parti regrette t-il son soutien à l’URCA lors du second tour des présidentielles ? Est-il à son tour tacitement absorbé par le pouvoir central ? Numériquement, l’opposition est écrasée, muselée car à chaque sortie médiatique de l’opposition représentée par le seul URCA, on assiste à une riposte, une bataille médiatique rangée des sbires du pouvoir. Le pouvoir ne veut plus entendre parler de l’opposition qui a un rôle majeur à jouer dans la sphère politique. Amusons-nous un peu à récapituler : le pouvoir déclare la guerre au parlement, il tire à balles réelles sur l’opposition, les leaders de la société civile font l’objet d’arrestation et de poursuites devant les juridictions, le syndicat est inexistant, les journalistes sont arrêtés et auditionnés, on se satisfait soit même de son bilan, on impose aux centrafricains un régime matrimonial inédit au sommet de l’Etat avec deux premières dames entretenues aux frais du contribuable ( fondation, actions caritatives et/ou humanitaires), on statue actuellement sur la relecture du code électoral. Ne soyons pas surpris qu’on assiste dans les jours, mois et années à venir à une révision constitutionnelle ou carrément une nouvelle constitution taillée sur mesure et pourquoi pas la révision du code minier. Ainsi, les détournements, les corruptions, les pillages des ressources naturelles, l’impunité et les injustices sociales deviendront la règle. Que reste-t-il de ce régime pour être un régime totalitaire ? Les indicateurs politiques actuels tendent à confirmer que les germes et ingrédients d’un système totalitaire sont réunis. Le régime a tendance à se replier sur lui même, sans contact avec son entourage et loin des préoccupations socio-économiques de ses administrés. Ces pratiques qui contribuent à l’auto-destruction, à l’auto-effondrement du système ne font qu’aggraver la frustration de la population, accentue la crise de légitimité et au final ouvre la voie au rejet et à la contestation du système. Nous dénonçons in fine la tendance totalitaire du régime et invitons les autorités à la raison. Mais attention, ne le dites à personne, si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

 

Paris le 08 avril 2017

 

Bernard SELEMBY DOUDOU

Juriste, Administrateur des Elections.                                                                             Tel : 0666830062.

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