Centrafrique: «Le temps de la guerre est fini», selon le Premier ministre RFI

Publié le 30 juin 2014 , 10:54
Mis à jour le: 1 juillet 2014 1:46 am

De passage en France, le Premier ministre centrafricain, André Nzapayéké, a accordé un entretien à RFI dans lequel il passe en revue plusieurs dossiers importants : début du ramadan, situation dans le nord-est du pays, réconciliation. Au même moment, les chefs d’Etat de la CEAC réfléchissaient à Malabo aux moyens de relancer la transition.

Les musulmans de toute la planète entrent dans le mois sacré de ramadan, quel message souhaitez-vous adresser, à cette occasion, aux musulmans centrafricains dont beaucoup ont dû fuir le pays ?

Je voudrais souhaiter bonne fête de ramadan à tous les musulmans. Les valeurs du ramadan sont des valeurs de paix, de fraternité, d’amour. Ce mois de juin est un mois béni pour nous. Nous avons eu un long week-end de Pentecôte qui s’est déroulé sans accroc, sans coup de feu, sans tuerie. Cette fête chrétienne a été respectée par tout le monde et c’était extraordinaire. Ensuite, la Coupe du Monde est venue. J’ai demandé à tout le monde de se rassembler autour d’un seul roi pendant cette fête-là, c’est le roi football. Qu’on laisse la jeunesse centrafricaine admirer ses vedettes. Nous allons tout faire pour arriver réellement à un cessez-le-feu pendant cette période de ramadan. Le dialogue va être accentué pour que les valeurs du ramadan nous permettent de consolider les fondements de la paix.

Beaucoup des musulmans centrafricains ont fui le pays, ils sont au Cameroun ou au Tchad. Est-ce que vous leur dites qu’un retour est possible ?

Un retour est possible et c’est une obligation du gouvernement. Cela fait partie des obligations de la feuille de route : tout faire pour que les déplacés internes retournent chez eux et que les réfugiés qui sont à l’extérieur reviennent. Vous savez, la communauté musulmane joue un rôle extrêmement important dans l’économie nationale. Nous sommes devenus un des premiers pays d’élevage d’Afrique et celui-ci est tenu à 98% par des Peuls qui sont en grande majorité musulmans.

Aujourd’hui, avec ce qui s’est passé, le départ d’une grande partie des membres de cette communauté, la destruction de beaucoup de commerces, les ressources de l’Etat, l’emploi en Centrafrique ont été fortement impactés. Beaucoup de jeunes se retrouvent sans activité. Avant, ils travaillaient dans le commerce du diamant, dans le commerce traditionnel… La communauté musulmane était au centre de ces activités assurant une partie importante du développement économique de la République centrafricaine. Ceux qui s’attaquent à cette communauté ne pensent pas aux conséquences pour l’Etat. Et si les Seleka ont commis des exactions en Centrafrique, il est absolument aberrant de confondre Seleka et musulmans.

L’économie centrafricaine s’appuie aussi fortement sur la fonction publique avec l’argent que les fonctionnaires réinjectent dans le circuit. Où en est-on du paiement des salaires ? Il y a des engagements qui ont été pris par la communauté internationale, est-ce que cela vous permet d’y voir plus clair sur le paiement de ces salaires ?

Quand le gouvernement a été mis en place fin février, ce sont d’abord les pays de la CEEAC, nos voisins immédiats, qui ont volé à notre secours. Le premier pays à avoir apporté une contribution était la République du Congo. Le président Sassou-Nguesso a donné immédiatement des instructions pour que sans tarder on nous verse la contribution congolaise de la CEEAC, avec comme souhait de mettre à la disposition de la république Centrafricaine 100 millions de dollars, dont la moitié irait directement dans les caisses de l’Etat pour le paiement des salaires. Le président du Congo a été le premier pour faire le geste, immédiatement suivi de l’Angola, du Gabon et des autres pays.

Ça nous a permis de payer les salaires jusqu’ici, y compris les bourses, les pensions, les retraites… Depuis février, il n’y a eu aucun mois d’interruption. Sur les ressources que nous recevons de l’extérieur, nous n’avons pas été en mesure de payer le mois de novembre, décembre et janvier. Et donc, nous avons prévu de les payer sur nos ressources propres au fur et à mesure que nous serons en mesure de mobiliser des ressources. A partir du mois de mai, la Banque mondiale va prendre en charge les salaires des fonctionnaires civils jusqu’en août. Pendant quatre mois. Les Nations unies prendront en charge les salaires des policiers et des gendarmes et les salaires des militaires (donc des FACA) seront versés sur nos ressources propres.

Nous avons, pour ce qui est des salaires, de la visibilité jusqu’au mois d’août 2014 mais nous avons déjà des discussions encourageantes avec d’autres partenaires pour la suite. Nous mettons aussi en place une stratégie de réformes de la gestion de nos finances publiques et évidemment, à long terme, il faudrait que nous soyons en mesure de générer nos propres ressources. Nous ne pouvons pas continuer à dépendre éternellement des ressources extérieures.

Que se passe-t-il à Birao dans l’extrême nord-est du pays, pourquoi les FACA, les Forces armées centrafricaines ont-elles dû quitter la localité ?

Quitter la localité, c’est trop dire. Comme vous le savez, je suis allé au Soudan récemment. Il était question de revoir un peu la stratégie de la tripartite…

La force tripartite dans laquelle on avait le Tchad, le Soudan et la République centrafricaine…

Exactement, pour la protection de ce triangle Tchad, Soudan, Centrafrique. Vous savez que le Tchad s’est retiré de la tripartite et nous l’avons beaucoup regretté. Compte tenu des difficultés que rencontre notre pays, nous avons eu également quelques difficultés à pouvoir maintenir l’opérationnalité de nos troupes. Donc, un des objectifs de la mission au Soudan était de voir ce qu’on pouvait faire ensemble, comment le Soudan pouvait nous aider à renforcer la tripartite en attendant le retour du Tchad. Parce que nous sommes convaincus que nous sommes quand même des pays frères. Nous n’avons pas de problème particulier ni avec les autorités tchadiennes, ni avec la population tchadienne. Les individualités originaires du Tchad qui font quelques exactions en Centrafrique ne représentent en rien l’Etat tchadien ou la nation tchadienne.

Donc le but était de voir avec le Soudan, qui a une armée beaucoup plus forte que la notre, ce qu’il pouvait faire pour nous aider, notamment pour maintenir une certaine capacité de cette tripartite à protéger les frontières. Il est d’abord question de procéder à la relève des soldats centrafricains qui sont là-bas. Le Soudan va nous aider avec des moyens aériens à faire la relève des troupes qui étaient de la tripartite, les ramener à Bangui et ramener de nouvelles troupes. Ces troupes passeront nécessairement par Nyala [dans le Darfour, au Soudan, ndlr] pour pouvoir être transportées sur Bangui, parce que les gros porteurs qui doivent transporter ces troupes ne peuvent pas atterrir à Birao. Les troupes ne sont pas en train de se « retirer » comme on le dit, ni de quitter Birao mais c’est vraiment dans le cadre de cette stratégie qu’il y a ce mouvement de troupes.

Est-ce que vous avez eu connaissance d’un ultimatum qui aurait été envoyé aux FACA pour qu’ils quittent Birao ?

Je ne suis pas au courant d’un ultimatum spécifique. Ça ne changerait rien. Les FACA continueront leur travail.

Est-ce que vous êtes inquiet des mouvements qui se font dans cette partie du pays, la Vakaga, à Birao même, avec la volonté de certains de jouer un rôle déstabilisateur ?

Nous sommes inquiets et le Soudan est inquiet aussi, ainsi que le Tchad. Vous savez, c’est une zone presque de non-droit dans ce triangle. Le président Omar el-Béchir nous a parlé des quelques difficultés qu’il rencontre déjà au Darfour et souhaite nous aider justement à juguler toutes ces questions-là. Il y a beaucoup de trafic d’armes, de drogue, d’ivoire, d’or, de diamants. Et ce sont justement ces trafiquants qui tiennent absolument à continuer à semer le trouble dans cette zone pour affaiblir l’Etat et continuer à faire ce qu’ils font.

Qui joue un rôle déstabilisateur à l’heure actuelle dans cette partie nord-est de la Centrafrique ?

Ce sont les mêmes qui ont semé la zizanie déjà quand les Seleka étaient au pouvoir à Bangui, qui ont causé beaucoup de crimes, qui ont pillé les biens de l’Etat, mis la main sur les régies financières et qui aujourd’hui ont peur de perdre tout cela. Ils se replient sur la zone nord-est et tentent justement de créer une situation de fait pour parler de sécession, négocier avec le gouvernement et garder leur emprise sur les richesses du Nord-Est.

Ce n’est même plus une aile de la Seleka, parce qu’aujourd’hui la Seleka que nous connaissons a mis en place une coordination politique. Certains membres de cette coordination sont au gouvernement. Je parle par exemple du coordonnateur général lui-même, le général Abdoulaye Hissène. Il est ministre conseiller auprès de Mme la présidente de la République. Un des porte-paroles les plus connus, Néris Massi, est un haut cadre de l’Etat, du ministère de l’Aviation civile. Un des très hauts cadres, Sabone, est directeur général de l’Agence de régulation des télécommunications (ART). Ce sont quand même des postes de confiance que nous avons donnés à ces personnes parce que nous ne les considérons pas comme des adversaires. Nous sommes un gouvernement dont l’objectif est de ramener les Centrafricains autour d’une même table. Nous n’avons pas d’adversaire.

Bien sûr, il y a des extrémistes qui souhaitent continuer la guerre, qui continuent à parler de sécession… Qui sont-ils ? Une infime minorité de gens qui ont laissé vraiment un souvenir macabre en Centrafrique et ce sont les mêmes qui veulent maintenant continuer à perpétuer leurs exactions dans la partie nord-est du pays.

Au moment du congrès de Ndélé, le gouvernement avait fait part de ses craintes sur une tentative de sécession de la Seleka. Aujourd’hui, avec notamment les actes qui ont été posés par la Seleka « officielle », vous sentez-vous rassuré ?

Tant que tout le processus n’est pas bouclé, on ne peut pas parler de satisfaction. Je n’ai pas encore de raison d’être rassuré. Ce sont des intentions qui ont été annoncées. Nous les avons écoutées. Nous regardons. Nous essayons aussi de faire de notre côté un effort pour faciliter cette évolution positive – manifeste – de la Seleka.

Qu’attendez-vous aujourd’hui concrètement de la Seleka. Quel geste, quelle action ?

D’abord, nous attendons de la Seleka qu’elle démontre aux Centrafricains clairement sa volonté d’aller vers la paix. Parce qu’au quotidien, quand une personne sort de sa maison, cette personne a besoin de tranquillité. Vous assistez à ce qui se passe dans la région de Bambari, il faut que la Seleka tienne ses troupes. Il n’y a pas de raison qu’il y ait aujourd’hui continuellement au sein de la Seleka des gens en rupture de ban qui font ce qu’ils veulent, qui assassinent et qui tuent. Il faut que ça cesse. La même chose est valable pour les anti-balaka qui doivent cesser ces exactions. C’est absolument aberrant et ridicule de continuer ce qui se passe aujourd’hui. Le temps de la guerre est fini. Tous les Centrafricains aspirent vraiment à la paix. Ils doivent le comprendre.

Vous évoquiez l’armée tchadienne et vous sembliez dire que vous seriez favorable à son retour au sein de la Misca et des forces tripartites…

Je souhaite absolument le retour des forces tchadiennes. Le Tchad a toujours volé à notre secours, que ce soit sur le plan de la sécurité ou sur le plan économique. Donc, pour moi nous ne pouvons pas nous passer de renforcer nos relations avec le Tchad. La survie de la République centrafricaine dépend de la qualité de nos relations avec le Tchad.

On parle d’un remaniement ministériel depuis plusieurs semaines. Est-il pour bientôt ?

Il arrivera et ce sera pour bientôt. C’est moi-même qui l’avais annoncé et malheureusement, nous avons eus après mon annonce, quelques désistements pour justement se préserver une possibilité pour se présenter à l’élection présidentielle. Mais ça nous a mis en difficulté pour choisir à nouveau, parce que nous avions adopté une stratégie qui consistait à faire représenter quasiment toutes les régions du pays. Et cette stratégie qui n’était pas facile à mettre en place a été perturbée par ces désistements.

Suite à cela, on a dû revoir un peu notre copie. Pour que cette nouvelle copie soit acceptée par tout le monde, nous avons la présidente et moi choisi également d’ouvrir le dialogue là-dessus avec ceux qui nous aident, surtout nos amis de la sous-région. Et c’est ce que nous sommes en train de faire. Je crois que nous sommes quasiment au bout du processus maintenant. C’était simplement une question de calendrier et je pense que le gouvernement ne va pas trop tarder.

Par Laurent Correau pour RFI

 

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