CENTRAFRIQUE : A DÉFAUT DE MODIFIER LA CONSTITUTION PAR VOIE LÉGALE, LA COUR CONSTITUTIONNELLE PROROGE DE FAIT LE MANDAT DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.

Monsieur Bernard Selembi Doudou, l'auteur de l'article. Photo de courtoisie.
Monsieur Bernard Selembi Doudou, l’auteur de l’article. Photo de courtoisie.

 

Bangui, République centrafricaine, 20 juin 2020 (Corbeaunews-Centrafrique) – Devant la difficulté notoire et apparente de l’Autorité Nationale des Élections (ANE) d’organiser les élections fiables dans les délais constitutionnels, l’avis de la Cour constitutionnelle n*015/CC/20 du 05 juin 2020 relatif à la modification de certaines dispositions de la constitution du 30 mars 2016 sonne comme l’ultime recours pour éviter l’implosion du pays par des violences multiformes.

 

De prime abord, il est important de rappeler que le « fait » caractérise une situation effective, réelle même si elle est anormale ou illégale. Dans le cas de l’espèce et devant l’évidence de la primauté du « fait » sur le « droit », les forces vives de la nation seront convoquées dans un bref délai par le pouvoir selon un chronogramme raisonnable de baliser le devenir du processus électoral en cas de défaillance technique et logistique de l’Autorité Nationale des Élections de tenir le calendrier électoral initial. Cette concertation citoyenne privilégiée par la Cour constitutionnelle qui protègera nos acquis démocratiques au détriment de la transition politique est un moindre mal pour sauver notre démocratie.

Ces raounds de négociations et de pourparlers qui se profilent doivent définir le cadre fondamental d’une émergence démocratique participative et prospère. Les enjeux et les défis de cette concertation citoyenne sont énormes et exigent une minutie et de la hauteur pour aboutir à un protocole consensuel, unanime qui n’a comme dénominateur commun que l’intérêt supérieur de la nation.

Habité par le souci de réussite de cette rencontre républicaine, le citoyen lambda s’interroge :

Quelles seront les formes, les conditions, la durée et les différents acteurs de cette discussion

nationale ? La classe politique centrafricaine décrédibilisée aux yeux de la jeunesse sera t-elle unanime pour garder l’actuel président de la république à la tête du pays au delà de son mandat ?

En outre et à l’issue de cette période transitoire, le président de la république sortant serait-il candidat à sa propre succession puisque la constitution la lui autorise ? Pourquoi la Cour constitutionnelle, en proposant la concertation politique n’a pas tranché sur cette question ? A qui reviendra de droit le poste de premier ministre, chef du gouvernement ? Allons-nous assister à une énième cohabitation politique comme par le passé ? Comment se feront la redistribution des ministères régaliens ? Peut-on à ce stade parler d’un gouvernement d’union nationale ou de large ouverture ?

A l’image du fiasco des accords de paix de Khartoum, quels seront les rôles et la place des groupes armés dans ce processus de concertation ? Quels seront les rôles et influences des congrégations religieuses dans ces échanges ?

Enfin, les conclusions de cette concertation seront-elles approuvées et validées par le conseil de sécurité de l’ONU ?

Au delà de ces multiples questionnements, on constate que le « droit » n’est que la légitimation des « faits » mais nous souhaitons mettre en garde les différents acteurs de la vie politique centrafricaine contre le risque de la jurisprudence du président Kabila en République démocratique du Congo.

En effet, le président congolais avait profité de cette période transitoire (glissement du calendrier électoral) pour verrouiller tout le dispositif en remettant le pouvoir à un candidat de son gré au détriment de l’expression de la volonté souveraine du peuple. Ce dernier avait également confisqué le pouvoir législatif en désignant majoritairement ses députés à l’assemblée nationale rendant ainsi le jeu démocratique en sa faveur…Kabila est parti mais son influent système demeure rendant la tâche difficile au nouveau président pour réaliser ses promesses de campagne.

Pour finir, le pouvoir de Bangui dispose encore d’un ultime moyen d’éviter, d’économiser le risque d’échec de ce processus de concertation…organisé les élections groupées dans les délais constitutionnels.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Paris le 19 juin 2020.

Bernard SELEMBY DOUDOU.

Juriste, Administrateur des élections.

Tel :

0666830062.