CENTRAFRIQUE : UN ÉTAT FANTÔME ?

Publié le 3 novembre 2017 , 7:51
Mis à jour le: 3 novembre 2017 7:51 pm

CENTRAFRIQUE : UN ÉTAT FANTÔME ?

 

 

 

Le Président Touadéra et le Sécrétaire Général de l’ONU. Credit photo : Éric Ngaba, copyrightCNC.

 

Bangui, le 4 novembre 2017.

Par : Joseph Akouissonne, CNC.

 

UN PAYS MARTYRE DEPUIS LA COLONISATION

          Après le départ du Secrétaire Général de l’ONU, la République Centrafricaine va-t-elle retomber dans l’oubli ? Dans l’indifférence générale ? Dans cet état insupportable de non-existence clamé par ceux qui se disent spécialistes de la RCA ?

          Non, Messieurs les experts ! La République Centrafricaine n’est pas morte, elle existe bel et bien et n’est pas près de disparaître. L’uranium de Bakouma, qui a permis de mettre au point la première bombe H française, de même que les bois précieux, les diamants, l’or et toutes les autres matières premières dont regorge le sous-sol, ce ne sont pas des fictions ! Il s’agit bien de réalités, qui justifient les nombreuses interventions françaises, destinées à protéger les intérêts de l’ancienne puissance coloniale.

          Il est indéniable que la colonisation, avec les sociétés concessionnaires, a saigné à blanc le pays et ses habitants. Les colons ont méprisé et infantilisé le Noir, en propageant une vision raciste et négative de l’Oubanguien. Le passé colonial de la République Centrafricaine foisonne de récits insupportables : travail forcé, chicotte, Noirs paresseux et fainéants. Mensonges ! Pendant que les Blancs alcooliques passaient leur temps à flemmarder, les Noirs, sous les coups de trique, trimaient dans les champs de coton, de café, de sisal pour en enrichir les propriétaires.

          Leur personnalité et l’existence même leur pays étaient niées par les ceux qui étaient venus les coloniser. Pour ceux-ci, l’Oubangui-Chari – la République Centrafricaine d’aujourd’hui – n’existait même pas ! C’était juste une terre vierge au cœur de l’Afrique, peuplée de Noirs abrutis et, selon eux, incapables de réfléchir.

          Cette manière ignominieuse de voir a façonné une image négative des Centrafricains, qui sont restés prisonniers d’un complexe d’infériorité par rapport aux Blancs. Nier cette part injurieuse et négative du passé aboutirait à une analyse tronquée. Il faut, bien sûr, faire la part de l’incompétence des dirigeants et de leur absence de patriotisme. Mais le plus important, c’est la destruction de l’honneur des Centrafricains, provoquée par les dérives et les crimes coloniaux.

 

UNE TERRE QUI RESTE DAMNÉE

          C’est une partie des paramètres qui expliquent l’oubli et l’indifférence de la communauté internationale à l’égard de cette ex-colonie française. Il faut rappeler que la France n’a pas fait grand-chose pour cet ex-territoire d’Outre-Mer. L’Oubangui-Chari était, en fait, un comptoir colonial de troc et de tous les excès racistes. A un moment donné d’ailleurs, la France avait même pensé le céder à l’Allemagne (voir le livre de Jean-Pierre Tuquoi : OUBANGUI-CHARI, LE PAYS QUI N’EXISTAIT PAS.)

          Au passage, on ne saurait trop recommander la lecture de cet ouvrage, remarquablement documenté, quoique truffé de quelques romances peu vraisemblables. Certains pourront être choqués par la crudité du récit, le caractère inhumain des colons, l’impassibilité ou la soumission des Noirs qui, d’après l’auteur, ne se révoltèrent pratiquement pas.

          On sait, pourtant, qu’il y eut beaucoup de révoltes des Oubanguiens. Mais elles furent écrasées dans des bains de sang par l’administration coloniale. Les populations étaient terrorisées.

          C’est une terre qui semble condamnée à rester pauvre, dépendant encore lourdement de l’ex-puissance coloniale, alors que son sous-sol regorge de matières premières qui feraient pâlir de jalousie certains pays émergents.

 

ANTONIO GUETERRES…ET APRÈS ?

          Tous les espoirs de paix (SIRIRI) et de réconciliation nationale étaient permis avec le voyage du Secrétaire Général des Nations-Unies. Il est, cependant, regrettable que le peuple ait été tenu à l’écart. En fait, on n’a assisté à aucune vraie rencontre entre Antonio Guterres et les populations – hormis un malingre bain de foule à Bangassou.

          L’absence de communication du gouvernement à propos de ce voyage est affligeante. Il faudra absolument que les citoyens soient informés des résultats que le pays peut attendre du voyage d’Antonio Guterres.

          A-t-il rencontré les rebelles séditieux ? Si oui, les a-t-il convaincus d’abandonner leurs outils de morts et de s’assoir à la table des négociations ? Leur a-t-il rappelé leurs responsabilités dans le chaos et les crimes contre l’humanité perpétrés en Centrafrique ? Leur a-t-il confirmé qu’il n’y aura pas d’amnistie ou d’impunité zéro pour les chefs rebelles convaincus d’assassinats ? A-t-il donné des instructions claires à la MINUSCA pour qu’elle utilise au mieux son arsenal de combat contre les rebelles ? A-t-il établi une feuille de route pour parvenir à la paix et à la réconciliation nationale ?

          Après ce voyage, qui a suscité tant d’espoir, une sortie des ténèbres et la fin des souffrances des Centrafricains sont-elles possibles ? On l’espère, et avec force. Mais, compte tenu du fait que le voyage du Pape en personne n’a pas entraîné, en son temps, une diminution des hostilités, il est permis d’en douter.

          Il faut remarquer, toutefois, que les choses bougent : le gouvernement s’est, enfin, rendu sur le terrain, auprès des populations en souffrance. Après la visite de Marie-Noëlle Koyara, la ministre de la Défense, à Gamboula près de Berberati, c’est au tour du président de la République, Faustin-Archange Touadera, de se rendre à Birao, à plus de 1.500 kms de Bangui. En effet, c’est dans cette région délaissée qu’avait surgi la Séléka, avec son chef, Michel Djotodia.

          En temps de guerre, un gouvernement doit être présent sur tout le territoire pour assurer la continuité de celui-ci et la présence physique de l’Administration. Nous l’avons souvent suggéré ici : se calfeutrer à Bangui, c’est, en quelque sorte, acter que le pouvoir central n’a pas autorité sur tout  le pays. C’est conforter les séparatistes dans leur folle et sinistre ambition de créer des califats.

          Pessimiste, le tableau ? Certes, mais, quoi qu’il en soit, rien ne pourra, à terme, entraver le surgissement de la paix et de la réconciliation nationale en République Centrafricaine.

                                                                                                                                                               JOSEPH AKOUISSONNE

 (4 novembre 2017)

 

Monsieur Joseph Akouissonne, l’auteur de l’article.

 

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