ECLAIRAGE SIMPLIFIE A L’INTENTION DE MES CHERS COMPATRIOTES.
Il ne s’agit pas pour moi d’écrire ici un article scientifique pour publication dans une revue juridique. Je veux tout simplement, en de termes accessibles à tous, énumérer sans trop de développements, les arguments plaidant en faveur de l’annulation pure et simple du Décret N° 22.248 du 26 août 2022 portant création d’un comité chargé de rédiger le projet d’une nouvelle constitution.
II – SUR LA FORME :
- Sur la compétence et sur la recevabilité :
Aux termes de l’article 95 tiret 9, la Cour constitutionnelle est chargée de donner son avis sur les projets ou proposition de révisions constitutionnelle et la procédure référendaire.
La Cour Constitutionnelle est compétente sur le fondement de l’article 95 tiret 1 de la Constitution du 30 mars 2016 : « La Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est chargée de :
- Juger de la constitutionnalité des lois organiques et ordinaires, déjà promulguées ou simplement votées, des règlements ainsi que des Règlements Intérieurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat … ».
Le Décret susmentionné est un acte réglementaire et peut donc être soumis au contrôle de constitutionnalité.
La théorie des actes de gouvernement avancée par certains pour justifier l’insusceptibilité du recours du décret susmentionné est ici inopérante.
La Cour Constitutionnelle est donc COMPETENTE AU REGARD DU DROIT POSITIF ET DE SA PROPRE JURISPRUDENCE par laquelle elle s’était déclarée compétente et avait annulé le Décret portant création de la Délégation des Grands Travaux, sur saisine de Joseph BENDOUNGA, Président du MDREC.
Sur les vices de forme :
- L’intitulé du décret susmentionné pose problème car il met en place un comité chargé de rédiger « le projet de la constitution de la République Centrafricaine ».
Cet intitulé ignore royalement l’esprit et la lettre de la Constitution en vigueur de notre pays ; l’intitulé du Décret en question voudrait signifier que la République Centrafricaine ne disposerait pas d’une Constitution à l’heure actuelle et qu’il s’agirait d’une toute première Constitution pour la République Centrafricaine. Alors que, ce n’est point le cas ; la République Centrafricaine est actuellement régie par la Constitution du 30 mars 2016.
- Par ailleurs, parmi les Visas du décret litigieux, il y a la première référence faite à la Constitution du 30 mars 2016. De ce fait, le Président de la République reconnaît clairement l’actuelle constitution en vigueur. Ainsi, il ne peut pas à la fois reconnaître l’existence d’une constitution en vigueur, poser des actes au sommet de l’Etat sur le fondement de cette constitution et demander en même temps la mise en place d’une nouvelle constitution. Plus grave, si la République Centrafricaine n’a plus de constitution, cela signifierait également que toutes les institutions qui sont issues de la constitution du 30 mars 2016, n’existeraient plus y compris lui-même le Président de la République, Chef de l’État, l’Assemblée Nationale, le Gouvernement, la Cour Constitutionnelle et toutes les autres institutions républicaines.
Le Président mesure-t-il la gravité de son acte ? Soit-il que par ce décret litigieux signé par ses soins, il instaure de facto une transition politique dans notre pays ? En clair, il a scié la branche sur laquelle il était assis depuis le 30 mars 2016 et s’est assis de nouveau le 30 mars 2021 ? Voilà ce dans quoi votre entourage vous a mis et heureusement pour vous, Monsieur le Président, que vos opposants ne veulent pas d’une transition que vous venez de leur offrir sur un plateau mais sont seulement préoccupés par le respect de notre Loi Fondamentale qui impose que vous accomplissiez votre second mandat jusqu’à son terme et que vous passiez la main en douceur à un compatriote en 2026. Vos opposants ne sont pas si diaboliques comme vos fervents « défenseurs » et certains incompétents dans votre clan veulent le faire croire à l’opinion. Au passage, j’espère que vous en serez reconnaissant à vos opposants.
III/ SUR LE FOND :
- Des moyens tirés de l’Impossibilité de faire usage d’un pouvoir constituant originaire dans le contexte socio-politique actuel pour aller à une nouvelle constitution :
D’un point de vue juridique, il existe en Droit Constitutionnel un principe général : rédiger une Constitution, c’est faire usage du « POUVOIR CONSTITUANT ORIGINAIRE ». Plus précisément, l’expression « pouvoir constituant originaire », qui est remplacée, le cas échéant, par celles de « pouvoir constituant initial », de « pouvoir constituant stricto sensu » désigne l’organe qui établit une Constitution là où il n’y en avait pas ou en rupture par rapport à une Constitution précédente ;
Or, la République Centrafricaine dispose depuis 2016 d’une constitution : la Constitution du 30 mars 2016, laquelle a été paradoxalement visée dans le Décret susmentionné.
Quand bien même certaines de ses dispositions poseraient problème, cela ne pourrait servir de prétexte ou de fondement à l’établissement d’une nouvelle constitution. Les dispositions imparfaites pourraient, tout au plus, faire l’objet de révision, malheureusement les conditions d’une révision ou de mise en œuvre du « POUVOIR CONSTITUANT DERIVE », par voie parlementaire ou référendaire, ne sont pas non plus réunies à ce jour. Le pouvoir constituant est dit « originaire » que lorsqu’il intervient ex nihilo, c’est-à-dire pour établir une Constitution strictement dans deux cas :
- soit à l’occasion de la naissance d’un État ;
- soit dans une hypothèse de rupture avec l’ordre juridique ancien provenant d’une révolution ou d’un coup d’État.
Or, le contexte socio-politique actuel de la République Centrafricaine n’est absolument pas constitué de l’un ou l’autre évènement. Il est clairement établi qu’il n’y a pas à ce jour en République Centrafricaine, un évènement politique majeur (nouvel État ou coup d’État militaire ou révolution) pouvant justifier l’établissement d’une nouvelle constitution dans le pays.
La Cour Constitutionnelle déjà saisie ne peut que déclarer déclarer contraire à la constitution le Décret litigieux, car d’un point de vue juridique, à ce jour, on ne saurait parler de mise en œuvre d’un quelconque « pouvoir constituant originaire » en République Centrafricaine, laquelle dispose d’une constitution en vigueur.
- Des moyens tirés de l’impossibilité d’office d’organiser un référendum constitutionnel sur le fondement de l’article 152 :
Le foisonnement des groupes armés écumant le territoire national et la présence des forces onusiennes et bilatérales rwandaises et russes prouvent que le contexte est celui d’une « atteinte à l’unité et à l’intégrité du territoire », d’une absence de sécurité et donc une situation de guerre potentielle.
Or, l’article 152 interdit toute révision de la Constitution, et a fortiori le référendum constitutionnel dans ces conditions.
- Des moyens tirés de la logique institutionnelle dans le temps :
Il faut tenir compte du caractère très récent de Constitution du 30 mars 2016 qui est toujours en vigueur ; on ne change pas une constitution seulement 5 ans après son existence au risque de créer l’instabilité institutionnelle dans le pays.
Au nom de la logique institutionnelle, on doit d’abord mettre en place toutes les institutions prévues dans l’actuelle constitution du 30 mars 2016 et les laisser fonctionner, raisonnablement sur au moins une décennie afin de procéder à une évaluation pour savoir s’il faut réviser ou changer de constitution.
- Des moyens tirés du préalable d’une effectivité totale et entière de la constitution du 30 mars 2016 :
Avant de songer à une nouvelle constitution, on doit d’abord pratiquer et appliquer la constitution en vigueur dans sa totalité et son entièreté. Le préalable avant le changement de constitution, c’est de lui donner toute l’effectivité requise. Or, ce n’est pas encore le cas s’agissant de la Constitution du 30 mars 2016.
Dans le cas actuel de notre pays, on attend toujours la mise en place des institutions municipales, régionales et sénatoriales par le Président Faustin Archange TOUADERA. C’est un impératif constitutionnel au sens de la constitution en vigueur (article 155 de la Constitution du 30 mars 2016). Elle nous impose donc de mettre toutes les institutions issues d’elle.
A ce jour donc, il reste les Conseils municipaux, régionaux et le Sénat. Trois institutions prévues par la Constitution du 30 mars 2016 manquent donc à l’appel ;
Le Président de la République doit non seulement les mettre en place mais il doit aussi laisser écouler un certain temps à titre expérimental pour voir le fonctionnement global de toutes les institutions avant de dresser un bilan sur la base duquel on pourrait songer soit à une quelconque révision ou à un quelconque changement de constitution.
- Des moyens tirés de l’’interdiction d’office inhérente à l’esprit de la Constitution du 30 mars 2016 :
Chaque constitution a sa lettre ; mais elle a aussi et surtout son esprit, fruit de la volonté des centrafricains ; et cet esprit doit prévaloir sur une certaine durée avant d’évoluer ou de changer dans le temps.
Il faut rappeler que la Constitution du 30 mars 2016 est un COMPROMIS ENTRE LES FORCES VIVES DE LA NATION, la traduction concrète de la volonté des centrafricains représentés au Forum de Bangui du 04 au 11 mai 2015 et préalablement consultés sur toute l’étendue du territoire (consultations populaires à la base initiées et conduites par Catherine SAMBA-PANZA).
Aujourd’hui, penser à une nouvelle constitution, c’est en réalité aller à l’encontre de la volonté des centrafricains qui se sont exprimés il y a seulement quelques années.
Ce serait donc une atteinte à la souveraineté nationale d’ignorer aujourd’hui les aspirations profondes du peuple centrafricain qui s’est exprimé en 2015 et a souverainement établi la Constitution du 30 mars 2016. Le peuple centrafricain de 2022 est bel et bien celui qui avait voulu et établi la Constitution du 30 mars 2016.
La démarche visant au changement de constitution en 2022 n’est pas respectueuse vis-à-vis du peuple centrafricain qui avait voté par référendum le 15 décembre 2015 l’actuelle constitution, après les traumatismes subis du fait des évènements dramatiques liés au coup d’Etat du 24 mars 2013.
- Des moyens tirés de l’obligation constitutionnelle d’organisation préalable des élections municipales, régionales et sénatoriales
Organiser un référendum constitutionnel aujourd’hui uniquement pour une nouvelle constitution serait constitutif d’une haute trahison d’autant plus que le Président de la République Monsieur Faustin Archange TOUADERA n’a pas encore exécuté l’obligation constitutionnelle qui pèse sur lui depuis 2016 et qui consiste à organiser des élections pour la mise en place des trois institutions restantes (Conseils Municipaux, Conseils Régionaux et le Sénat), conformément à l’article 155 de la Constitution du 30 mars 2016. Comment ne pas organiser ces élections qui sont obligatoires d’un point de vue constitutionnel et institutionnel et procéder à l’organisation d’un référendum dans le but unique de changer de constitution ?
- Des moyens tirés de l’incompatibilité du Décret litigieux avec le serment du Président de la République:
Aux termes de l’article 38 de la Constitution du 30 mars 2016, lors de son entrée en fonction, debout, découvert, la main gauche posée sur la Constitution et la main droite levée, le Président de la République prête le serment ci-après, en Sângô, puis en Français, devant la Cour Constitutionnelle siégeant en audience solennelle :
« MOI., .JE JURE DEVANT DIEU ET DEVANT LA NATION D’OBSERVER SCRUPULEUSEMENT LA CONSTITUTION, DE GARANTIR L’INDÉPENDANCE ET LA PERENNITE DE LA RÉPUBLIQUE, DE SAUVEGARDER L’INTÉGRITÉ DU TERRITOIRE, DE PRÉSERVER LA PAIX, DE CONSOLIDER L’UNITE NATIONALE, D’ASSURER LE BIEN ÊTRE DU PEUPLE CENTRAFRICAINE. DE REMPLIR CONSCIENCIEUSEMENT LES DEVOIRS DE MA CHARGE SANS AUCUNE CONSIDERANTION D’ORDRE ETHNIQUE, REGIONAL OU CONFESSIONNEL, DE NE. JAMAIS EXERCER LES POUVOIR QUI ME DEVOLUS PAR LA CONSTITUTION A DES FINS PERSONNELLES NI DE RÉVISER LE NOMBRE DE MON MANDAT ET LA DURÉE DE MON MANDAT ET DE N’ÊTRE GUIDE EN TOUT QUE PAR L’INTÉRÊT NATIONAL ET LA DIGNITÉ DU PEUPLE CENTRAFRICAIN ».
Le Décret N° 22.248 du 26 août 2022, pris par le Président de la République, Chef de l’Etat, Pr Faustin Archange TOUADERA, instituant un comité chargé de rédiger le projet d’une nouvelle constitution en République Centrafricain, est incompatible avec ses obligations découlant de son serment présidentiel.
- Des moyens tirés de l’impossibilité d’ordre financier en ce qui concerne l’organisation du référendum constitutionnel :
Le pays fait face à de grosses difficultés de trésorerie depuis la suspension des aides budgétaires et de décaissements de la part des institutions de Bretton Woods. Il n’y a pas d’argent pour organiser le référendum. Et si argent, il y a, la priorité constitutionnelle et politique devrait être celle d’organiser plutôt les élections pour la mise en place complète des institutions prévues par la constitution en vigueur.
Pour cette raison aussi, la Cour Constitutionnelle devrait, sur le projet référendaire, n’émettre qu’un avis négatif, et rappeler au Président de la République, Chef de l’Etat l’obligation constitutionnelle d’organisation préalable des élections municipales, régionales et sénatoriales.
Des moyens tirés de la mise en place unilatérale et au forceps d’une « assemblée constituante » :
La constitution n’est pas à confondre avec un acte administratif unilatéral tel qu’un décret ou un arrêté dont l’adoption se fait uniquement par les autorités de l’exécutif.
Au nom de la démocratie, l’établissement d’une nouvelle constitution relève toujours d’un CONSENSUALISME POLITIQUE. Toute la nation doit être consultée avant d’aller vers un projet, comme l’avait compris et fait la Présidente Catherine Samba PANZA en 2015. Les forces vives de la nation doivent ainsi exprimer préalablement leurs accords, s’engager dans les travaux préparatoires visant à la mise en place de la Constituante, ensuite participer aux travaux d’élaboration du projet constitutionnel.
Le pouvoir du Président Faustin Archange TOUADERA veut aujourd’hui changer la Constitution du 30 mars 2016, celle voulue et établie par le peuple centrafricain il y a seulement six (6) ans, sans avoir reçu l’onction démocratique c’est-à-dire l’adhésion de l’opposition démocratique, des forces vives de la nation, de la société civile et de l’Eglise.
Une constituante ne se décrète pas unilatéralement. Une constitution ne s’impose pas au peule ; elle est voulue et établie par le peuple et pour le peuple. C’est la chose du peuple, la chose de tous les centrafricains. Elle ne doit pas être établie sans les centrafricains mais par les centrafricains, pas contre les centrafricains mais pour les centrafricains. La constitution est donc le fruit de la volonté du peuple souverain et non pas des gouvernants.
Le projet constitutionnel porté et mal mené dès le début par le régime du Président Faustin Archange TOUADERA est antidémocratique et vise en réalité à créer les conditions pour un troisième mandat pourtant interdit par l’actuelle constitution du 30 mars 2016 et à établir une présidence à vie. Il est contraire à la Charte Africaine de la Démocratie, des élections et de la gouvernance du 15 février 2012.
En considération de tout ce qui précède, la Cour Constitutionnelle ne pourra que déclarer inconstitutionnel le Décret N° 22.248 du 26 août 2022 portant mise en place d’un comité chargé de rédiger la nouvelle constitution de la République Centrafricaine.
Le 14 septembre 2022
Dr Dominique Désiré ERENON,
Docteur en Droit Public de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
Constitutionnaliste,
Maître-Assistant à la Faculté des Sciences Juridique et Politique de l’Université de Bangui.
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