Les témoins de la défense de la CPI torturés par les Wagner à Bangui : Entretien exclusif avec maître Philippe Larochelle

Les témoins de la défense de la CPI torturés par les Wagner à Bangui : Entretien exclusif avec maître Philippe Larochelle

 

Maître Larochelle Philippe, avocat à la cour pénale internationale
Maître Larochelle Philippe, avocat de monsieur Maxime Mokome devant la cour pénale internationale (CPI). Photo courtoisie.

 

 

Bangui, 07  décembre 2023 (CNC) – L’affaire Maxime Mokome continue de soulever des questions géopolitiques et des enjeux internationaux. Dans cet entretien exclusif avec Philippe Larochelle, nous plongeons dans les motivations des autorités de Bangui et du Procureur de la CPI. Maître Larochelle pointe du doigt la complicité présumée de la CPI avec le régime de la RCA et évoque les conséquences potentielles pour la justice internationale si les témoins de la défense continuent d’être persécutés de cette manière.

 

Corbeaunews-Centrafrique  (CNC) : Monsieur Larochelle, merci de revenir pour cette deuxième interview. Pour nos auditeurs qui pourraient ne pas être familiers avec l’affaire Maxime Mokome, pourriez-vous brièvement rappeler le contexte et les événements clés de cette affaire ?

 

Philippe Larochelle : Mokom a été détenu pendant 19 mois par la CPI sur la base d’un dossier fabriqué de toute pièce par des témoins opportunistes.  Le procureur a abandonné les charges, mais il n’ose pas révéler que le dossier a été monté de toute pièce et il préfère plutôt signer des accords de coopération avec les autorités de la RCA. On est en droit de penser que ces accords de coopération ne visent rien d’autre qu’à faciliter et légitimer l’extradition de Mokom qui est demandée par les autorités de la RCA, en tentant de donner un peu de lustre à ces autorités, dont la corruption est avérée. Au final, le Procureur et la CPI sont complices des autorités de la RCA afin de faciliter les efforts de ces dernières pour éliminer toute forme d’opposition politique.

 

CNC : Lors de notre précédente interview, nous avons abordé les charges abandonnées contre Maxime Mokom par le Procureur de la CPI. Pourriez-vous nous donner une mise à jour sur ce qui s’est passé depuis lors en ce qui concerne la situation de Mokom ?

 

Philippe Larochelle : La Chambre de première instance a ordonné la libération de M. Mokom. La mise en oeuvre de cette ordonnance entraîne évidemment des défis.  De nombreux acteurs sont impliqués, dont l’État-hôte, les Pays-Bas. Il est évident que cette situation n’est que temporaire, et M. Mokom, avec l’assistance de la Cour, explore les options relatives à son transfert.  La RCA quant à elle, à l’aide d’un jugement clandestin truqué, tente d’obtenir l’extradition de Mokom vers la RCA.  Il semble bien que le Procureur de la CPI ne voit aucun problème à agir en complément des juridictions notoirement corrompues de la  RCA, et même à la limite, du groupe Wagner. Les indices confirmant que Mokom est en fait une cible des autorités de la RCA et de ses acolytes ne cessent de s’accumuler.

Compte tenu de tout ce que sait la Cour, ordonner son extradition en RCA serait criminel. Il ne serait pas extradé mais kidnappé, avec l’aide active de la CPI.

 

CNC : Comment décririez-vous la situation actuelle à Bangui en ce qui concerne les témoins de la défense de Maxime Mokome ? Quels sont les développements les plus récents que vous pouvez partager avec nous ?

 

Philippe Larochelle : Olivier Féissona, qui a récemment été arrêté et torturé pour inventer de la preuve contre Mokom, EST un témoin de la défense de Mokom.  Nous faisons l’impossible pour tenter d’en savoir plus.  Le traitement réservé à Féissona permet très facilement d’imaginer quel genre de procès se tient à Bangui. Des procès clandestins et truqués contre des opposants politiques à l’aide de preuves émanant de témoins torturés ou corrompus. Donc évidemment que c’est très dangereux d’être témoin de la défense et de dévoiler cela, d’autant plus que certains indices laissent croire que ce sont des miliciens du groupe Wagner qui ont torturé Féissona, en lien avec Mokom.

 

CNC : Quelles sont les préoccupations majeures concernant la sécurité des témoins de la défense à Bangui, en particulier à la lumière des récents incidents d’arrestations et de tortures ? Avant de plonger plus en profondeur dans cette situation préoccupante, pourriez-vous nous expliquer pourquoi il est crucial de protéger les témoins de la défense dans le cadre de procès internationaux comme celui de la CPI ?

 

Philippe Larochelle : Il est crucial de protéger tous les témoins.  Les témoins, en théorie, n’appartiennent à personne. Le but ultime doit être la découverte de la vérité judiciaire, peu importe d’où viennent les témoins, et comment ils sont protégés.  Imaginez l’effet dévastateur d’un incident de torture sur un témoin de la défense à l’égard d’autres, potentiels témoins de la défense. La prohibition de la torture est une norme absolue en droit international. Que la pratique de la torture soit aussi répandue  sur le territoire de la RCA, et surtout SUSCITE AUSSI PEU DE RÉACTION DE LA PART DE LA COUR est particulièrement inquiétant.

 

 CNC : En tant qu’avocat de la défense, comment réagissez-vous à ces actes de torture envers les témoins de votre client ? Quelles mesures avez-vous prises pour aider ces témoins et garantir leur sécurité ?

 

Philippe Larochelle : Je suis révolté de ce qui arrive à Féissona, et je ne suis pas moins révolté parce qu’il est le seul parmi nos quelques témoins, à avoir été torturé. Nous avons saisi à plusieurs reprises le Procureur, le Greffier et la Chambre, et nous faisons nous-même des efforts pour assurer sa sécurité.  Nous avons personnellement écrit à la rapporteuse spéciale contre la torture pour lui dénoncer ce cas. Nous ne ménageons aucun effort pour tenter d’assurer la sécurité de Féissona.

 

CNC : Pourquoi pensez-vous que le régime de Bangui cherche à arrêter et à torturer les témoins de la défense de Maxime Mokome, même après que ce dernier ait été condamné à Bangui ? 

 

Philippe Larochelle : Les informations que nous avons reçues sont effectivement à l’effet que Féissona a été torturé et que des questions lui ont été posées sur Mokom.  Comme Féissona est toujours détenu, nous attendons simplement de le rencontrer dans un endroit sécuritaire pour obtenir sa version des faits alors qu’il est en toute sécurité, lui et sa famille.  Il est évident que les autorités de la RCA veulent lancer un message violent très fort à tous ceux qui oseraient prendre la défense de M. Mokom. Le fait qu’il semble que M. Féissona ait été torturé également par des membres de la milice Wagner suscite également de nombreux questionnements non seulement sur le rôle précis de Wagner mais aussi sur son intérêt à cibler des témoins de la défense de Mokom.  Donc pour lancer un message fort d’abord.  Ensuite pour tenter de créer de la fausse preuve pour faire condamner Mokom de n’importe quel crime, par Féissona ou d’autres témoins. Ces épisodes de torture visent peut-être aussi à obtenir de la fausse preuve pour supporter les jugements rendus en l’absence de Bozize, Mokom.

 

 CNC : Existe-t-il des facteurs géopolitiques ou des enjeux internationaux qui pourraient expliquer le comportement du régime de Bangui envers les témoins de la défense ?

 

Philippe Larochelle : Ce qui m’intéresse ce ne sont pas tant les motivations des autorités de Bangui, qui sont très claires, mais plutôt celles du Procureur de la CPI, qui le sont beaucoup moins.  Le délai entre la fin de l’audition de confirmation des charges et le moment où il a abandonné les charges contre Mokom laisse planer un doute sur le rôle précis joué par le Procureur de la CPI concernant le jugement clandestin truqué obtenu par les autorités de la RCA.  Le dossier dormait depuis des lustres, et soudainement, au mois de septembre 2023, quelques jours après l’audition de confirmation des charges, et avant que le Procureur abandonne ces charges cette procédure a été ressuscitée par Bangui, dans la plus grande clandestinité.  Il est significatif que les autorités de la RCA refusent jusqu’à aujourd’hui de communiquer la moindre information à la CPI relativement à ce jugement, ce qui en confirme le caractère politique, improvisé, clandestin et fabriqué. Une autre indication claire que ce jugement est fabriqué est que l’un des condamnés, Mahamat Al-Khatim, négocie présentement directement une amnistie avec les autorités centrafricaines.  Le jugement est donc un levier purement politique utilisé entre autres pour négocier avec les membres de groupes rebelles.

 

CNC : Comment ces actions du régime de Bangui pourraient-elles affecter la crédibilité de la CPI et sa capacité à garantir un procès équitable pour les accusés et à protéger les témoins ?

 

Philippe Larochelle : Le fait que le Procureur de la CPI signe des accords de coopération avec la clique au pouvoir à Bangui est révélateur de sa faillite morale.  Par exemple, le Procureur a demandé secrètement que Mokom soit témoin dans le dossier de Yekatom et Ngaïssone, sans même lui en parler au préalable pour lui demander s’il avait besoin de mesures de protection. Aujourd’hui, ce même Procureur ne tente même pas de s’opposer à la demande de son extradition par Bangui, alors qu’il sait très bien qu’il risque d’être torturé là-bas. Le Procureur est donc en définitive dans le même lit que le groupe Wagner en RCA, ce qui est de très mauvais augure pour les victimes de ce groupe criminel.

 

CNC : Quelles sont les implications pour la justice internationale si les témoins de la défense continuent d’être persécutés de cette manière à Bangui ?

 

Philippe Larochelle : Si elle continue de se montrer aussi peu crédible, et si elle est incapable d’assurer la protection des témoins, elle ne pourra faire autrement que de cesser d’opérer, tout simplement.

 

CNC : Merci Monsieur Philippe Larochelle .

 

Philippe Larochelle : C’est moi qui vous remercie.

 

Propos recueillis par Alain Nzilo,

Directeur de publications

 

 

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