SENEGAL : Affaire Hissène Habré, que le Gouvernement éclaire donc notre lanterne à propos de faux présumé !

Publié le 31 août 2014 , 11:34
Mis à jour le: 31 août 2014 11:36 pm

Publié par: Corbeau News Centrafrique.

Hissen Habré du Tchad

C’est trop vite, sans doute, qu’a été close— de manière provisoire, on l’espère — la polémique relative au dossier de la signature de l’accord sur les Chambres africaines extraordinaires chargées de juger l’ancien président tchadien, M. Hissène Habré. Cet accord qui lie le gouvernement du Sénégal et l’Union africaine donne mandat au premier de juger le prédécesseur de M. Idriss Déby Itno. En même temps, il fixe les modalités d’organisation du procès. Lors d’une conférence de presse tenue la semaine dernière, les avocats de M. Habré avaient menacé de porter plainte pour faux contre l’ancien Premier ministre, Mme Aminata Touré. Et ce au motif qu’elle n’avait pas pouvoir pour signer un accord international engageant le Sénégal puisque l’article 95 de notre Constitution accorde ce pouvoir au seul président de la République. Lequel peut cependant déléguer ce pouvoir — pour un objet précis, limité dans le temps — à son ministre des Affaires étrangères. Les avocats s’étaient interrogés à bon droit de savoir pourquoi est-ce que cet accord a été signé par Mme Aminata Touré, ministre de la Justice au moment des faits, alors que le jour de la signature du fameux encore, dont la cérémonie s’est tenue dans les locaux du ministère des Affaires étrangères qui plus est, M. Alioune Badara Cissé, le MAE de l’époque, était bel et bien présent à Dakar et en bonne santé aussi. Il est curieux par conséquent qu’il ait délégué ses pouvoirs à sa collègue de la Justice surtout que, au moment où se tenait la cérémonie de signature, il se trouvait dans son bureau, à quelques mètres de la salle où Mme Aminata Touré et Robert Dossou, l’avocat béninois chargé par l’Union africaine de signer en son nom, apposaient leurs griffes au bas de ce document. Curieux, en effet, que M. Cissé n’ait même pas fait un tour dans la salle…

Au lendemain de la conférence de presse du collectif des avocats de l’ancien président tchadien, qui l’avaient interpelé publiquement, l’ancien ministre des Affaires étrangères s’était fendu d’un communiqué pour dire en substance qu’il n’avait mandaté personne pour signer un quelconque accord en son nom. Eh bien, la réplique cinglante de Mme Aminata Touré ne s’était pas fait attendre puisque, après cette sortie de Me Alioune Badara Cissé, sa cellule de communication avait sorti un communiqué pour confirmer que l’ancienne ministre de la Justice avait bel et bien reçu délégation du chef de la diplomatie sénégalaise de l’époque pour signer ledit accord. Mieux, ils ont joint à leur communiqué un fac similé du document par lequel M. Cissé aurait délégué ses pouvoirs à Mme Touré pour signer un accord avec l’Union Africaine. Ce pour le compte de l’Etat du Sénégal. La cause était donc entendue à travers ce communiqué de presse d’autant plus que, selon la plupart des confrères, l’ancien Premier ministre a cloué le bec à l’ex-ministre des Affaires étrangères en montrant même en scanner la signature de M. Cissé au bas du document. Imparable !

Sauf que, justement, nous, cette délégation de pouvoirs nous laisse sur notre faim. Admettons que le document produit par Mme Aminata Touré est authentique — ce dont doutent en tout cas les avocats de M. Habré —, il est en effet permis de se demander la valeur d’une telle délégation quand on sait que le ministre des Affaires étrangères lui-même n’est que délégataire de pouvoirs du président de la République pour signer des accords internationaux au nom du Sénégal. Un délégataire de pouvoirs peut-il lui-même déléguer les pouvoirs qui lui ont été délégués ? Les spécialistes de doit administratif ou constitutionnel nous édifieront. Ensuite, sur le document produit, non seulement on ne voit apparaître nullement les armoiries de l’Etat du Sénégal, ce qui est quand même le moins pour un document officiel, mais ensuite le ministre lui-même ne se réfère à aucune loi, aucun décret, aucun arrêté, rien, pour déléguer ses pouvoirs à Mme Aminata Touré. Plus que bizarre ! Il s’y ajoute, last but not least que, encore une fois, M. Alioune Badara Cissé était présent au ministère des Affaires étrangères le jour de la signature de ce fameux accord le 12 août 2012. Curieusement, d’ailleurs, la délégation de pouvoirs exhibée par Mme Touré est datée du même jour, de même, d’ailleurs, que celle produite par M. Dossou et censée provenir de l’Union africaine ! Naturellement, l’accord aussi est daté du même jour. Comme c’est curieux, tout cela !

Bien évidemment, le gouvernement a le devoir d’éclairer la lanterne des Sénégalais sur ces graves accusations portées contre l’ancien Premier ministre de la République, Mme Aminata Touré. Car l’affaire apparaît gravissime : a-t-on emprisonné depuis plus d’un an, et sur la base d’un faux, un ancien chef d’Etat africain réfugié au Sénégal depuis 1990 et qui plus est a des enfants de nationalité sénégalaise ? Nos compatriotes, mais aussi l’opinion internationale, doivent savoir. En tout cas, cela fait plus d’un an que cette injustice dure, que le président Hissène Habré croupit en prison après avoir été inculpé pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». Il est accusé d’avoir tué (à lui seul !) 140.000 Tchadiens. Le problème c’est qu’à l’époque des faits incriminés, l’actuel président tchadien, M. Idriss Déby Itno, était le chef de toutes les forces de sécurité du pays. A ce titre, il avait la haute main sur les commissariats de police et les brigades de gendarmerie où étaient censés avoir été commis ces crimes. Curieusement, le brave homme n’a été ni inculpé, ni seulement entendu, encore moins, évidemment, interpellé. Normal quand on sait que c’est lui qui, à hauteur de deux milliards de francs cfa (du moins officiellement) a financé toutes les dépenses relatives au financementdu procès de M. Habré. Un criminel qui finance le procès de son complice présumé ? Du jamais vu sauf au Sénégal !

Il y a plus grave : à l’issue de leurs investigations au Tchad, les magistrats sénégalais des Chambres africaines extraordinaires (pour être extraordinaires, elles le sont vraiment) avaient identifié quelques lampistes accusés d’avoir été les complices de M. Habré dans l’accomplissement de sa besogne meurtrière. Ils avaient dit à cor et à cris que ces individus au nombre de quatre, dont les deux incarcérés à Ndjaména (les autres étant présentés comme étant en fuite !) seraient transférés à Dakar pour les besoins du procès. Eh bien, cela fait plusieurs mois qu’aucun d’eux n’a foulé le sol de notre capitale. Après avoir annoncé leur intention de les envoyer à Dakar, les autorités tchadiennes ont rétropédalé depuis. En réalité, elles ont décidé de ne transférer personne à Dakar, un point c’est tout. La position officieuse des autorités de Ndjaména c’est : « nous vous avons donné deux milliards pour juger Habré, débrouillez-vous pour le faire comparaître seul ». Le problème c’est que l’affaire est tellement grosse que même le procureur spécial de ces CAE,—un homme dont tout le monde sait pourtant qu’il ne peut rien refuser à M. Déby et à son régime —, M. Ndongo Fall, c’est son nom, a déclaré récemment à Dakar que sans la présence des complices présumés de M. Habré, le procès ne peut pas se tenir. Or, Le Témoin a eu récemment cette confidence d’un homme très impliqué dans ce dossier. Un interlocuteur qui s’est entendu dire ceci par une haute autorité judiciaire tchadienne : « Le Président nous a dit qu’il n’est pas question de transférer nos compatriotes à Dakar. D’après lui, les enquêteurs sénégalais sont très malins et une fois les El Djonto (un des détenus, Ndlr) là-bas, ils peuvent leur tirer les vers du nez et incriminer des gens haut placés chez nous. C’est pourquoi il a décidé qu’aucun Tchadien ne sera transféré chez vous ». Voilà ce qu’aurait dit cette haute autorité judiciaire tchadienne à notre interlocuteur.

En attendant, un brave homme, ancien président de la République, un honnête père de famille, un grand patriote africain, est détenu en prison depuis plus d’un an au Sénégal. Injustement et parce que tel est le bon plaisir du chef de l’Etat tchadien, le dictateur Idriss Déby Itno, qui a payé deux milliards de francs pour cela…

 

Par: Mamadou Oumar NDIAYE

Journal le temoin au sénégal

Article paru dans « Le Témoin N° 1176 » –Hebdomadaire Sénégalais ( SEPTEMBRE 2014)

 

 

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