RCA : tripatouillage de la constitution, Adrien Poussou répond à monsieur Alexis N’DUI-YABELA.

adrien georges poussou
L’ancien ministre adrien georges poussou. CopyrightDR

 

 

Ma réponse à notre compatriote Alexis N’DUI-YABELA

 

J’ai pris un grand plaisir à lire l’article du compatriote Alexis N’dui-Yabela, maître de conférences à l’Université de Bangui et ancien directeur général de l’École nationale d’Administration et de Magistrature (ÉNAM), intitulé « doit-on confondre vacance du pouvoir et vacuité des pouvoirs publics en droit constitutionnel ? »

 

En dépit, dois-je le préciser, de la longueur du texte qui pourrait constituer un motif de renoncement pour certains lecteurs susceptibles de paresse et de certaines tournures alambiquées de l‘auteur. Pour autant, la longueur du papier se situe dans le droit fil du pêché originel de la plupart des universitaires auxquels on a souvent reproché une inaptitude à la concision et une volonté toute relative de démocratisation de leurs sciences. Cependant, dans les circonstances actuelles, où la patrie joue son destin, avait-il le choix ? Pouvait – il se permettre de faire l’économie de l’ensemble des références qui sous-tendent sa démonstration ?  D’ailleurs, je ne crois pas trop m’avancer en affirmant que l’article n’a pas été rédigé à l’intention des joueurs de « kissoro », souvent rassemblés pour une partie sous l’arbre de Bagaza à Fouh mais plutôt destinés à ses pairs, spécialistes du droit constitutionnel et aux décideurs Centrafricains. La tradition n’attribue – t – elle pas à Platon le fait d’avoir gravé à l’entrée de l’Académie, l’école qu’il avait fondée à Athènes, cette célèbre formule : « nul n’entre s’il n’est géomètre » ? Préalable indispensable et véritable ode à l’excellence qui est loin d’être une fin en soi.

 

Au-delà du bonheur personnel, ce n’est pas sans fierté que j’ai dévoré les concepts qui y sont discutés ainsi que les arguments développés par l’auteur. Non pas parce qu’il a cité, pour les réfutés, plusieurs extraits de mes observations au sujet de l’article de l’un de ses « jeunes collègues » ou parce qu’il a reconnu, finalement, que l’interrogation que j’ai soulevée, notamment celle de savoir si la non-organisation de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel peut être considérée comme un « empêchement définitif » et ouvrir ainsi la vacance du pouvoir, conservait toute sa pertinence. Mais parce que N’dui-Yabela s’est inscrit dans une grande tradition intellectuelle qui existe ailleurs et qui avait pourtant cours dans notre pays avec les illustres aînés comme Alphonse Blagué, François Peoua, Abel Goumba ou encore Gaston Nguerekata pour ne citer que ces noms. Aujourd’hui, en raison de la médiocrité ambiante dans le pays, la génération « 1980-2000 » dont parle l’auteur de l’article et à laquelle j’appartiens, ne mesure pas pleinement la chance que l’on avait d’avoir les Timothée Malendoma ou encore les Nestor Kombo Naguemo parmi nos compatriotes.

 

Cette génération, qui se targue parfois de posséder tous les diplômes de la planète est souvent, malheureusement, réfractaire à l’idée même du débat contradictoire et veut régler ses contradictions à coup de « balaka ». Il y’a en son sein, ceux qui font commerce de délation, prompts à soupçonner les uns d’avoir reçu « une enveloppe bien garnie » de la part des tenants du pouvoir simplement parce que ceux-ci expriment publiquement leurs idées et les autres, à qui on exige de se taire, au motif qu’ils auraient participé à la gestion de l’État par le passé. Comme dirait Albert Camus, à juste titre d’ailleurs, « le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications »[1]. La vérité, c’est qu’en Centrafrique, pour paraphraser le Général de Gaulle, les échanges contradictoires épousent souvent les courbes intransigeantes d’une querelle religieuse.

 

Or, Jean-Paul Sartre que j’apprécie énormément, sans pour autant rejeter Albert Camus dont les idées sont plus proches des miennes – comme quoi la réalité est parfois beaucoup plus nuancée qu’elle ne paraît – définit l’intellectuel « comme quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. C’est celui à qui, selon la formule de Diderot empruntée à Térence, rien de ce qui est humain n’est étranger, qui prend conscience de sa responsabilité individuelle dans une situation donnée, et qui, refusant d’être complice, par son silence, des injustices ou des atrocités qui se perpètrent, dans son pays même ou ailleurs dans le monde ». Pas besoin d’être un « doctrinaire » ou un « haut juriste » pour pouvoir s’exprimer sur les sujets brûlants de l’heure.

 

Il est vrai que le réflexe du « vrai » centrafricain qui s’accommode mal de la contradiction et qui assimile la critique, même objective, à une attaque personnelle, m’aurait plutôt incité à détester N’dui-Yabela ou à le considérer comme un ennemi intime, puisqu’il pointe les limites supposées de mon raisonnement sur un sujet donné. Telle n’est nullement ma conception de l’esprit républicain. Chez-moi, la réussite d’un compatriote ou son intelligence exquise est un motif de fierté.

 

Raison pour laquelle je n’ai toujours pas compris, comme on me l’a rapporté, que mes observations relatives à la démonstration de son « jeune collègue » m’ont valu de la part de ce dernier, le qualificatif peu valeureux de « prétentieux » n’ayant aucunement sa place dans un débat juridique parce que non doctrinaire et affirmant au passage que je n’avais jamais « mis les pieds » dans une classe de droit. Ce qui est complètement faux. Pire, comme si le débat entourant la Constitution est l’apanage des seuls juristes et que de ce fait, il ne doit intéresser ni les sociologues, ni les anthropologues, encore moins les politologues ou de simples citoyens. Or, il aurait fallu que notre héraut publia son article dans une revue réservée aux seuls « doctrinaires » pour que nous fûmes incapables d’y accéder ou de le commenter. Malheureusement ou fort heureusement, l’article fut mis à la disposition du public par les canaux traditionnels, de sorte que nous pûmes le lire et le critiquer. D’ailleurs, même certains passages de la Sainte Bible qui est censée être un livre sacré, n’échappe que rarement à l’exercice du contradictoire.

 

Plus sérieusement, je me suis déjà abondamment exprimé sur le sujet de l’impossibilité de la modification de la Constitution du 30 mars 2016 afin de permettre la prorogation du mandat du président de la République en cas de glissement du calendrier électoral comme tentent, maladroitement, de le faire certains députés de la majorité présidentielle, je ne souhaite donc plus y revenir. Par contre, je voudrais répondre au compatriote N’dui-Yabela sur deux problématiques soulevées par lui et qui me concernent personnellement.  Du reste, je retiens que lui et moi sommes parvenus à la même conclusion, notamment au sujet du consensus que le chef de l’État devra rechercher autour de cette épineuse question en engageant un dialogue sincère avec l’ensemble des forces vives du pays. C’est le plus important.

 

A – De la vacance prévue par la Charte constitutionnelle de Transition. 

 

Je tiens à rassurer notre compatriote que même si je porte des lunettes de vue, je ne suis pas encore « frappé de cécité » comme il l’a affirmé. Mieux, j’ai une acuité visuelle qui ferait pâlir de jalousie les chauffeurs de taxi de Bangui, réputés pour leur coup d’œil. Alexis N’dui-Yabela qui, soit dit en passant, a le même prénom que mon paternel, ne doit pas s’inquiéter outre mesure. Il n’aura pas besoin de me faire conduire par l’un de ses étudiants de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Bangui.

 

Néanmoins, je reconnais que certains propos contenus dans ces observations et qui sont réfutés par N’dui-Yabela pouvaient prêter à confusion, puisque j’avais mal formulé les passages incriminés et que j’ai pu laisser croire que la Charte constitutionnelle de Transition méconnaitrait la vacance du pouvoir au lieu de dire qu’elle était restée silencieuse sur les conditions d’éligibilité à la fonction de président de la Transition en cas de vacance. Les rédacteurs de la Charte constitutionnelle de la Transition « s’étaient bien gardés, au nom d’un loyalisme méprisable à l’égard du puissant du moment, d’y inclure des dispositions relatives à la vacance du pouvoir. De sorte que l’on s’était retrouvé devant un vide juridique lorsqu’il a été question de procéder à l’élection d’un nouveau chef d’État de transition après la démission de Michel Djotodia. La Charte de la transition n’ayant rien prévu en la matière », avais-je écrit.  Or, les rédacteurs de la Charte constitutionnelle de transition ne s’étaient point gardés « d’y inclure des dispositions relatives à la vacance du pouvoir ».

 

En revanche, j’avais simplement voulu faire remarquer qu’il n’y figurait aucun critère sur les conditions d’éligibilité à la fonction de président de la transition. Certes, les articles 23 et 50, disposent chacun en ce qui le concerne que : « Le Chef de l’État de la Transition est élu par le Conseil National de Transition pour la durée de la Transition » ; « En cas de décès, de démission ou d’incapacité définitive médicalement constatée du Chef de l’État de la Transition, le Président du Conseil National de Transition assure la vacance », mais rien n’avait été prévu sur les critères de candidature à l’élection du nouveau président après le délai de suppléance, limité dans le temps. Ce que N’dui-Yabela ne dit pas, c’est que le président du Conseil National de Transition ne devrait assurer l’intérim qu’un temps pas « toute la durée de la transition ». Il s’ensuit qu’après la démission inattendue de Michel Djotodia à N’Djamena, il avait fallu mettre en place une commission spéciale chargée d’édicter les critères d’éligibilité des candidats. Ce qui avait ouvert la porte à toute sorte de dérives, puisque ces critères se rallongeaient au gré des désidérata de la communauté internationale de Bangui. Or, il aurait été plus simple de prévoir ces critères dans la lettre de la Charte constitutionnelle de transition et de s’y conformer au moment opportun.

Par conséquent, avec le recul, rien n’empêche aujourd’hui « ces constitutionnalistes de haut niveau » qui « ne peuvent et ne sauraient laisser avancer qu’il y avait un vide juridique en la matière », de faire amende honorable et de reconnaitre qu’il subsistait réellement un vide dans le sens des conditions à remplir pour être candidat à la présidence de la Transition.

B – Du malentendu sur la qualité de juriste émérite attribuée à un compatriote. 

 

Il convient de dire d’emblée que les « constitutionnalistes de haut niveau » qui ne « sauraient laisser » l’auteur de ces lignes « qualifier abusivement » l’un de leur « jeune collègue » d’« éminent juriste », ici utilisé dans son acception qui signifie quelqu’un « qui est au-dessus du niveau commun » et non dans le sens « honoraire » comme on dirait « professeur émérite » (ce à quoi fait allusion N’dui-Yabela) devraient faire preuve d’indulgence à son égard et se dire qu’il a pu se tromper de bonne foi, parce que, inaccessible aux méandres et aux subtilités des « dispositions particulières applicables aux cadres de l’enseignement supérieur ». Nous vivons sur la terre des hommes.

 

Même s’il est vrai que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, il n’y pas à s’étonner lorsqu’un individu qui est supposé n’avoir « jamais mis les pieds dans un amphithéâtre de droit » soit réduit à reprendre à son compte les grades et les qualités dont s’est targué leur « jeune collègue » nouvellement intégré comme « Maître assistant » à l’Université de Bangui alors qu’il se présente lui-même, entre autres, comme étant un « enseignant-chercheur » de la même Université. L’auteur de ces lignes pouvait-il savoir que le « jeune collègue » en question poursuit encore un stage probatoire d’une durée d’un an au sein de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques si celui-ci ne l’annonce pas lui-même ? D’autant que l’auteur de ces lignes ne pourrait pas se targuer d’être un « doctrinaire » comme l’autre. Au final, un « enseignant-chercheur » est bien quelqu’un « qui est au-dessus du niveau commun » dans une discipline donnée.

 

J’ai dit.

 

Fait, le 21 avril 2020

 

Georges Adrien Poussou

 

 

[1] L’homme révolté.