RCA : la déchéance du Député Abdou Karim Meckassoua : Réflexion sur la décision de la Cour Constitutionnelle par Me Nicolas TIANGAYE

Publié le 30 septembre 2021 , 7:28
Mis à jour le: 30 septembre 2021 11:13 pm
Maître Nicolas Tiangaye Président de la Convention républicaine pour le progrès social CRPS et porte-parole de la COD-2020
Maître Nicolas Tiangaye, Président de la Convention républicaine pour le progrès social (CRPS) et porte-parole de la COD-2020, ci, le 03 août 2020 lors du point de presse de la synergie des forces vives de la nation à Bangui. . Photo CNC / Jefferson Cyrille Yapendé

 

 

Introduction :

 

Sur saisine de Monsieur Ibrahim Al Hissen ALGONI et par sa décision numéro 116/CC/21 du 12 août 2021, la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine a prononcé la déchéance du député élu de la 2ème circonscription du 3ème arrondissement de Bangui, Monsieur Abdou Karim MECKASSOUA.

Cette décision inédite a suscité incompréhension, colère et indignation.

Au-delà du déchainement des passions qui entourent cette affaire, les juristes sont appelés à passer au crible de leur critique la décision de la Cour Constitutionnelle afin d’en extraire les insuffisances et les errements dans l’optique d’une réhabilitation éthique et d’une réappropriation de cette juridiction.

La transversalité et la pluridisciplinarité de notre approche mettront en perspective plusieurs branches du droit positif centrafricain et du droit comparé pour une meilleure compréhension de la problématique envisagée.

Les publicistes, notamment les constitutionnalistes, ajouteront éventuellement leur éclairage à cette réflexion afin de susciter une profonde réforme législative de la Cour Constitutionnelle et de consolider ainsi la primauté du droit en République Centrafricaine.

La question sera envisagée d’abord sous l’angle du droit processuel (I) et ensuite, sur le fond c’est-à-dire sur un examen de la décision en droit substantiel (II)

I – RECEVABILITE DU RECOURS EN DECHEANCE: APPROCHE EN DROIT PROCESSUEL

Plus qu’une branche du Droit, le droit processuel est une science comparative fondée sur le rapprochement des procédures et l’étude des thèmes communs à tous les procès.

Dans une conception classique (cf. travaux de l’italien Giuseppe CHIOVENDA en 1912, des français Henri VIZIOZ en 1927 et Henri MOTULSKY en 1973), le droit processuel est consacré à la comparaison des différentes procédures et à l’étude des problèmes généraux qui les concerne toutes (théories de l’action, de la juridiction et de l’instance).

Dans une conception contemporaine plus moderne (Lionel MINIATO, le principe du contradictoire en droit processuel Paris : LGDJ 2008 ; Emmanuel JEULAND, Droit processuel : une science de la reconstruction des liens de droit Paris : LGDJ 2007 ; Marie- Emma BOURSIER, le principe de loyauté en droit processuel, Paris : Dalloz 2003), le droit processuel désigne les droits fondamentaux du procès qui composent un droit commun né des normes internationales (respect des droits de la défense, droit à un tribunal impartial et indépendant, à un procès équitable, à des garanties d’impartialité et du contradictoire , à la publicité des débats, à l’exercice des voies de recours etc.).

Au sens large, il a pour objet de fixer les règles d’organisation judiciaire, de compétence, d’instruction du procès et d’exécution des décisions de justice.

Au sens étroit, c’est l’ensemble des formalités substantielles qui doivent être suivies pour parvenir à une solution juridictionnelle adéquate quelle que soit la nature de l’instance.

Le droit processuel se définit donc comme le corpus de règles procédurales applicables devant les juridictions civiles, pénales, sociales, commerciales, administratives, disciplinaires, arbitrales, constitutionnelles, internationales…

Envisagé sous cet angle, les décisions de la Cour Constitutionnelle centrafricaine doivent se conformer aux normes impératives du droit processuel par ce que la forme dans notre justice est à la fois la garantie des libertés et la suprême élégance, tant il est vrai que la forme et le fond sont inséparables et que la forme n’est pas l’illusion du droit, mais sa garantie et son fondement.

A- AMBIGUÏTE SUR LA QUALIFICATION DU RECOURS DE MONSIEUR ALGONI

Recours en destitution ou recours en déchéance ? Clarification procédurale

Monsieur ALGONI n’avait pas sollicité la déchéance de Monsieur Karim MECKASSOUA. Il avait introduit un recours en destitution contre ce dernier. La Cour Constitutionnelle a procédé à une requalification de l’instance en retenant proprio motu c’est à dire de son propre chef, un recours en déchéance.

En réalité, la Cour Constitutionnelle était incompétente pour prononcer la destitution d’un député, celle-ci, au regard de la loi organique n° 17.0011 du 14 mars 2017 portant Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale, ne peut être mise en œuvre que par cette Institution exclusivement contre son Président en exercice et non contre les autres députés.

Pour contourner cet obstacle dirimant, la Cour Constitutionnelle avait requalifié le recours. En avait-elle le droit ?

La requalification est « l’opération par laquelle le juge restitue à un acte ou à un fait son exacte qualification sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, élément de son office ». (Vocabulaire juridique. Association Henri CAPITANT. Gérard CORNU, PUF, 2e édition, p.713.)

« Requalifier consiste pour le juge à substituer sa propre qualification à celle des parties, par exemple, pour un fait, à juger que l’erreur est en réalité une violence, que le licenciement individuel est un licenciement économique, ou, pour un acte à considérer que le contrat de vente recouvre un contrat de prêt, que le contrat en cause n’est pas un contrat d’entreprise mais un contrat de mandat ». (Lexique des termes juridiques 2014, Dalloz, 21e édition, p.817)

Un arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation du 21 décembre 2007 pose le principe que le juge est obligé de donner ou de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Le devoir ou le pouvoir de requalification postule que la requalification s’appuie sur les faits du débat et n’opère pas modification de l’objet des prétentions ; il suppose aussi, le respect du principe du contradictoire.

Au regard de la position unanime de la doctrine et d’une jurisprudence solidement établie en la matière, on peut admettre que la Cour Constitutionnelle n’avait pas enfreint les règles du droit processuel en procédant à la requalification du recours de Monsieur ALGONI.

B- CONCEPT DE DECHEANCE

1° En doctrine:

Inconnue du Droit romain, mais fort utilisée dans l’Ancien Droit, notamment par POTHIER, la notion de déchéance apparaît de nos jours, comme une notion assez floue, ce qui, d’ailleurs, a conduit certains auteurs à affirmer qu’elle ne constitue point une véritable notion juridique (BAUDRY-LACANTINERIE et TISSIER (de la prescription ; 4ème édition, 1924 ; tome 28, p33).

Cependant, le terme « déchéance » est fréquemment utilisé, tant en législation qu’en doctrine, ce qui rend d’autant plus regrettable l’incertitude qui règne quant à sa signification exacte.

La déchéance apparaît tout d’abord comme la perte d’un droit ou d’une prérogative. Sur ce point, l’accord paraît unanime. Il n’est pas contesté que l’origine de cette perte peut être légale ou conventionnelle.

Mais la déchéance n’est pas seulement la perte pure et simple d’un droit ou d’une faculté ; c’est, en effet, la perte de ce droit ou de cette faculté à titre de sanction d’une faute commise par le titulaire. Et c’est cet aspect répressif qui donne à la déchéance ses caractères propres.

La déchéance est donc « la perte d’un droit, d’une fonction, d’une qualité ou d’un bénéfice, encourue à titre de sanction pour cause d’indignité, d’incapacité, de fraude, d’incurie, etc. ». (Vocabulaire juridique. Association Henri CAPITANT-Gérard CORNU, op.cit., p. 234)

2° En droit positif centrafricain :

Deux textes régissent la matière:

  1. Le premier est l’article 68 alinéa 3 de la Constitution qui dispose : « Le mandat du Député ne peut être écourté que par la dissolution de l’Assemblée Nationale, la démission, la radiation ou la déchéance dudit Député ».
  2. Le second texte est l’article 141 du Code électoral: “Si un candidat se trouve dans un cas d’inéligibilité postérieurement à la publication de la liste définitive des candidatures, en raison d’une condamnation devenue définitive prononcée à son encontre ou pour tout autre motif, la Cour Constitutionnelle, saisie par l’ANE ou toute partie intéressée, décide de sa déchéance comme candidat ou élu “.

Ces deux textes combinés ont le mérite de prescrire la nature des faits donnant ouverture à déchéance, les titulaires du droit d’exercice du recours, la procédure applicable et la juridiction compétente pour la prononcer.

Toutefois, si la disposition constitutionnelle pose le principe de la déchéance d’un député, la norme législative découlant de l’article 141 du code électoral soulève une difficulté majeure.

Si c’est la décision de proclamation des résultats définitifs des élections par la Cour Constitutionnelle qui confère au vainqueur le statut de député, comment concilier l’article 141 du code électoral avec l’article 97 dudit code qui dispose:

 

« Les décisions de la Cour Constitutionnelle en matière de candidature et d’éligibilité sont immédiatement exécutoires et ne sont susceptibles d’aucun recours » ?

Par Décision No 006/CC/19 du 05 juin 2019, la Cour Constitutionnelle avait procédé à l’examen de conformité de la loi portant code électoral de la République Centrafricaine. On peut légitimement s’interroger sur la conformité de l’article 141du code électoral avec l’article 106 alinéa 1er de la Constitution qui stipule que: « Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toute personne physique ou morale ».

C- AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE ET RECEVABILITE DU RECOURS EN DECHEANCE

1° Notion de l’autorité de la chose jugée

L’autorité de la chose jugée repose selon la doctrine classique sur une présomption légale de vérité : « res judicata pro veritate habetur ».

C’est l’autorité attachée à un acte juridictionnel qui en interdit la remise en cause en dehors des voies de recours légalement ouvertes. L’autorité de la chose jugée crée une présomption de vérité légale au profit du jugement et sert de fondement à l’exécution forcée du droit judiciairement établi.

Le jugement a non seulement autorité de la chose jugée, mais aussi force de chose jugée lorsqu’une voie de recours suspensive de l’exécution (opposition, appel, pourvoi dans les rares cas où il est suspensif) ne peut pas ou plus être exercée contre lui, soit parce que le jugement a été rendu en dernier ressort, soit parce que le délai pour agir est expiré ou encore parce que les voies de recours ont déjà été exercées ; en outre, le jugement est dit irrévocable, lorsque les voies de recours extraordinaires ont été utilisées ou ne peuvent plus l’être.

En dehors des hypothèses, définies très strictement (révision, rétractation), où il peut être demandé à une juridiction qu’elle revienne sur une décision qu’elle a elle-même rendue, un jugement ne peut être retiré par son auteur : l’autorité de la chose jugée n’est pas l’autorité de la chose décidée (une décision politique ou administrative peut être retirée ou abrogée). Un jugement peut seulement, dans le cadre des voies de recours prévues par les textes, être réformé ou annulé, mais par une autre juridiction. Quand les voies de recours sont épuisées, et que le jugement est définitif, on ne parlera pas d’autorité mais de force de chose jugée.

2° Etude comparative en législation: Désacralisation et démystification de la Cour Constitutionnelle

Selon une opinion largement répandue même parmi les juristes et dans la communauté internationale, la Cour Constitutionnelle est considérée à tort sous l’angle de la verticalité de sa compétence, comme la plus haute de toutes les juridictions centrafricaines, au point que ses décisions sont entourées d’un mythe qui les hisse au rang de véritables dogmes religieux dont personne ne doit contester la validité discursive.

Mais la réalité juridique est plus nuancée. Elle permet de mettre en perspective la déconstruction d’un mythe, la vacuité et l’inanité d’une légende malicieusement entretenue et colportée par des braconniers du droit.

En effet, la Constitution a placé au sommet de l’Etat trois juridictions qui, sous l’angle de l’horizontalité de leur impérium prétorien possèdent les mêmes pouvoirs, chacune dans le domaine de sa compétence d’attribution :

-La Cour Constitutionnelle,

-La Cour de Cassation,

-Le Conseil d’Etat.

Elles partagent une double identité :

  • Elles sont les plus hautes juridictions de l’Etat, respectivement en matière constitutionnelle, judiciaire et administrative ;
  • Leurs décisions ne sont susceptibles d’aucun recours.

Toutefois la loi a prévu des voies de recours extraordinaires (révision) ou des recours en rétractation ou en rectification d’erreur matérielle concernant les arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, ce qui n’est pas le cas de la Cour Constitutionnelle qui ne peut ni réviser, ni rétracter ses décisions.

Un examen succinct et comparatif des dispositions de la Constitution, des lois organiques régissant ces trois juridictions et du code électoral, permet de fournir des éléments d’intelligibilité afin d’appréhender la pertinence de la démarche dans une approche dynamique.

  1. a) COUR CONSTITUTIONNELLE
  • Constitution :

Article 95 alinéa 1er :

« La Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle ».

Article 106 alinéa 1er :

« Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toute personne physique ou morale ».

Article 106 in fine :

« Une loi organique détermine les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle

  • Code électoral :

Article 97 :

Les décisions de la Cour Constitutionnelle en matière de candidature et d’éligibilité sont immédiatement exécutoires et ne sont susceptible d’aucun recours ».

  1. b) COUR DE CASSATION
  • Constitution

Article 111 :

« La Cour de Cassation est la plus haute Juridiction de l’Etat de l’ordre judiciaire ». Article 113 :

« Les décisions de la Cour de Cassation ne sont susceptibles d’aucun recours ».

Article 114 in fine :

« Une loi organique détermine les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour de Cassation ».

  • Loi organique n°95.0011 du 23 décembre 1995 portant organisation et fonctionnement de la Cour de Cassation :

Article 47 :

« Les arrêts de la Cour de Cassation ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf dans les cas ci-après :

  • un recours en rétractation peut être exercé :
  • contre les décisions qui ont été rendues sur pièces fausses ;
  • si la partie a été condamnée faute de représenter une pièce décisive retenue par son adversaire ;
  • si la décision est intervenue sans qu’en aient été observées les dispositions relatives à la formation de jugement, à la lecture de l’arrêt en audience publique et aux énonciations de l’arrêt ;
  • un recours en rectification peut être exercé contre les décisions entachées d’une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire ».

Article 82 : (du recours en révision)

« La révision peut être demandée en matière criminelle ou correctionnelle, quelle que soit la juridiction qui a statué et la peine qui a été prononcée :

  • Lorsque, après une condamnation pour homicide, des pièces seront présentées, propres à faire naître de suffisants indices sur l’existence de la prétendue victime de l’homicide.
  • Lorsque, après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou jugement aura condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et que, les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction sera la preuve de l’innocence de l’un ou de l’autre condamné.
  • Lorsqu’un des témoins entendu aura été, postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l’accusé ou le prévenu ; le témoin ainsi condamné ne pourra pas être entendu dans les nouveaux débats.
  • Lorsque, après une condamnation, un fait venait à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats étaient représentées, de nature à établir l’innocence du condamné ».

On peut noter que la loi organique sur la Cour de Cassation a prévu et rigoureusement encadré les voies de recours contre les arrêts définitifs en matière judiciaire.

  1. CONSEIL D’ETAT :
  • Constitution :

Article 115 :

« Le Conseil d’Etat est la plus haute juridiction de l’Etat de l’ordre administratif ».

Article 116 :

« Les décisions rendues par le Conseil d’Etat ne sont susceptibles d’aucun recours ».

Article 117 alinéa 4 :

« Une loi organique détermine les règles d’organisation et de fonctionnement du Conseil d’Etat ».

  • Loi organique n° 95.0012 du 23 décembre 1995 portant organisation et fonctionnement du Conseil d’Etat :

Article 41

« Les arrêts du Conseil d’Etat ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf le recours en révision ou en rectification ».

Article 42 :

« Les recours en révision contre un arrêt du Conseil d’Etat n’est admis que dans deux cas : -si l’arrêt a été rendu sur pièces fausses ;

-si une partie a été condamnée faute de présenter une pièce décisive retenue par son adversaire ;

Le recours en révision doit être présenté dans les deux mois qui suivent la découverte du fait donnant ouverture à révision.

Lorsqu’il a été statué une première fois sur un recours en révision, un second recours contre la même décision est irrecevable ».

Article 43 :(recours en rectification d’erreur matérielle)

« Lorsqu’une décision du Conseil d’Etat est entachée d’une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire, le Conseil d’Etat y remédie d’office s’il s’en aperçoit ou à la demande de la partie intéressée ».

Tout comme en matière judiciaire, la loi a prévu dans l’ordre administratif une voie de recours extraordinaire (révision) ou un recours en rectification d’erreur matérielle contre les décisions du Conseil d’Etat passées en force de chose jugée.

 

L’examen de la loi n°17.004 du 15 Février 2017 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ne fait apparaître aucune disposition relative à l’exercice d’une voie de recours extraordinaire (révision) ou de recours en rétractation contre les décisions irrévocables de cette juridiction.

On peut valablement conclure que la Cour Constitutionnelle n’est pas légalement fondée à déclarer recevable le recours en déchéance introduit par Monsieur ALGONI et qui remet en cause l’irrévocabilité et l’autorité de la chose jugée, ses décisions insusceptibles de recours s’imposant à toutes les juridictions, c’est-à-dire à la Cour Constitutionnelle elle-même.

Mieux encore, cette décision est contraire à sa propre jurisprudence.

3° Position de la jurisprudence constitutionnelle

La Cour Constitutionnelle de Transition se fondant sur l’article 106 de la Constitution du 30 mars 2016 reprise par l’article 11 de la loi n° 13.002 du 14 août portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle de Transition, avait toujours déclaré irrecevables tous les recours en rétractation ou en révision de ses décisions devenues irrévocables, excipant à bon droit de la fin de non-recevoir tirée de l’exception de la chose jugée.

  • Décision n° 180/16/CCT du 10 juin 2016 – Rapporteur Jean Pierre WABOE – (Affaire FONGAN Silas contre MOSKIT Guy) – Requête en rétractation de la décision n°128/16/CCT du 23 avril 2016 concernant l’annulation des résultats du second tour des élections législatives du 31 mars 2016 dans la 3ème circonscription de Mbaïki.
  • Décision n° 181 /16/CCT du 10 juin 2016 – Rapporteur Jean Pierre WABOE-

(Affaire KENAM ARADONA José Martial contre GOUMBA Anne Marie) – Requête en rétractation de la Décision n° 103/16/CCT du 23 avril 2016 en annulation des résultats du second tour des élections du 31 mars 2016 dans la 1ère circonscription du 5ème arrondissement de Bangui.

  • Décision n°182/16/CCT du 10 juin 2016 – Rapporteur Jean Pierre WABOE – (Affaire PERAH Jean-Claude contre ZIBAYA Joël) – Requête en rétractation de la Décision n°123/16/CCT du 23 avril 2016 en annulation des résultats du second tour des élections législatives du 31 mars 2016 dans la circonscription de Ngaoundaye 3.
  • Décision n° 183/16/CCT du 10 juin 2016 – Rapporteur Jean Pierre WABOE – (Affaire BOUNGUINZA Jean Marius contre BEA Bertin) – Requête en rectification pour cause d’omission de la décision n° 138/16/CCT du 23 avril 2016 en annulation des résultats du second tour des élections législatives du 31 mars 2016 dans la circonscription de Boali.
  • Décision n° 184/16/CCT du 10 juin 2016 – Rapporteur Jean Pierre WABOE – (Affaire MAÏDOU Blaise contre Collectif des électeurs de la 2ème circonscription du 5ème Arrondissement de la Ville de Bangui) – Requête en rectification d’erreur matérielle de la Décision n° 101 du 23 avril 2016 en annulation des résultats du second tour des élections législatives du 31 mars 2016 dans la 2eme circonscription du 5eme arrondissement de Bangui.
  • Décision n° 185/16/CCT/ du 10 juin 2016 – Rapporteur Jean Pierre WABOE – (Affaire BENINGA DE NGAKOUTOU Gerville contre DIMANCHE Frédéric) – Requête en rétractation d’erreur matérielle de la décision n°125/16/CCT du 23 avril 2016 en annulation des résultats du second tour des élections législatives du 31 mars 2016 dans la circonscription de Bocaranga 2.
  • Décision n° 195/16/CCT du 21 octobre 2016 – Rapporteur Jean Pierre WABOE – (Affaire Mouvement pour la Démocratie et le Développement (MDD) et IZOUNGOU Annie épouse MOLOMADON contre MANDABA Jean de Dieu) – Recours en rectification d’erreurs matérielles ayant entaché la décision n° 116/16/CCT du 23 avril 2016 en annulation des résultats du 2ème tour des élections législatives du 31 mars 2016 dans la circonscription de Bimbo

Toutes ces décisions étaient invariablement fondées sur la même motivation suivante :

« Considérant qu’aux termes des articles 106 de la Constitution du 30 mars 2016 et 11 de la loi n° 13.002 du 14 août 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle de Transition, ‘’les décisions de la Cour Constitutionnelle de Transition ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative et juridictionnelle et à toute personne physique ou morale” ;…Qu’il y a lieu pour la Cour de la déclarer (requête) irrecevable ».

Des lors, on peut affirmer que la décision de la Cour Constitutionnelle présidée par Monsieur Jean Pierre WABOE et déclarant recevable la requête de Monsieur AlGONI est manifestement contraire à sa propre jurisprudence constante la plus récente.

II -VALIDTTE INTRINSEQUE DES ELEMENTS PROBATOIRES: APPROCHE EN DROIT SUBSTANTIEL

Le recours de Monsieur ALGONI n’avait pas à faire l’objet par la Cour Constitutionnelle d’un examen au fond tout simplement parce que la procédure engagée était irrecevable en tant qu’elle portait atteinte à l’autorité d’une décision passée en force de chose jugée.

La Cour Constitutionnelle, passant outre, avait fondé sa conviction sur deux éléments de preuve excipés par Monsieur ALGONI : le Rapport des Experts du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 25 juin 2021 (A) et l’avis de poursuite judiciaire établi par le Juge d’instruction spécialisé du Tribunal de Grande Instance de Bangui (B).

A- LE RAPPORT DES EXPERTS DE L’ONU

Dans ce rapport selon la Cour Constitutionnelle, « il est fait état de ce que Abdou Karim MECKASSOUA avait poussé les groupes armés et l’entourage de François BOZIZE à lancer une offensive militaire pour destituer le Président TOUADERA, que l’objectif recherché était de mettre en place un gouvernement de transition dirigé par Abdou Karim MECKASSOUA ».

Ce rapport fermement contesté par les autorités centrafricaines également mises en cause a fort curieusement été validé par la Cour Constitutionnelle.

Un juge doit fonder sa décision sur des preuves judiciairement admissibles et non sur de simples allégations émanant de personnes non assermentées, allégations dénuées de toute force probante et portant gravement atteinte au principe cardinal de la présomption d’innocence inscrit dans la Constitution et les instruments juridiques internationaux des droits de l’homme ratifiés par la République Centrafricaine.

B- L’AVIS DE POURSUITE JUDICIAIRE DU CABINET D’INSTRUCTION N°1

Cet avis porte selon la Cour Constitutionnelle « sur des faits de complicité d’atteinte à la sûreté intérieure, complicité d’association de malfaiteurs, complot, complicité de vol à mains armées, crimes prévus et punis par les dispositions des articles 11,12,285,288,411,412,163 et 167 du code pénal centrafricain ».

Force est de noter que Monsieur Abdou Karim MECKASSOUA ne fait actuellement l’objet d’aucune poursuite judiciaire.

En effet, en date du 02 avril 2021, le 1er Juge d’instruction spécialisé au Tribunal de Grande Instance de Bangui Monsieur Narcisse Ted ISSA BEDENGBA adressait « par voie hiérarchique » à Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale une demande de levée de l’immunité parlementaire des députés Abdou Karim MECKASSOUA, Anicet Georges DOLOGUELE, Martin ZIGUELE et Simplice Aurélien ZINGAS en vue de leur déposition dans une poursuite judiciaire.

Il avait joint à sa demande:

1/ le réquisitoire introductif du Procureur de la République en date du 08 janvier 2021 mettant en mouvement l’action publique contre Monsieur Thierry Savonarole MALEYOMBO des chefs de:

-Atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat;

-Complot;

Association de malfaiteurs;

-Participation ou adhésion à des mouvements de désordre ou de rébellion contre l’autorité de l’Etat.

Or, aux termes de l’article 51 alinéa 1er du code de procédure pénale, « le Juge d’instruction ne peut informer qu’après avoir été saisi par un réquisitoire du Procureur de la République contre personne dénommée ou non dénommée ou par une plainte avec constitution de partie civile dans les conditions prévues aux articles 56 et suivants du présent code ».

Force est de constater que le Juge d’instruction n’était pas saisi des infractions susvisées à l’encontre de Monsieur Abdou Karim MECKASSOUA et des 3 autres députés, leurs noms ne figurant pas dans le réquisitoire introductif du Procureur de la République.

2/ le réquisitoire supplétif du Procureur de la République en date du 20 janvier 2021 contre Monsieur François BOZIZE YANGOUVONDA et 20 autres personnes nommément désignées.

Une fois de plus, les noms de Monsieur Abdou Karim MECKASSOUA et de ses 3 autres collègues n’étaient pas mentionnés dans le réquisitoire supplétif alors que l’article 51 alinéa 4 du code de procédure pénale stipule que « lorsque des faits non visés au réquisitoire sont portés à la connaissance du Juge d’instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au Procureur de la République les plaintes ou procès-verbaux qui les constatent en vue de son réquisitoire supplétif ».

Le nom de Monsieur Abdou Karim MECKASSOUA ne figure ni dans le réquisitoire introductif, ni dans le réquisitoire supplétif du Procureur de la République qui sont les seuls actes de saisine du Juge d’instruction. Ce dernier n’avait jamais convoqué Monsieur MECKASSOUA aux fins de procéder à son interrogatoire de première comparution et éventuellement de l’inculper. Il n’avait décerné contre lui aucun mandat de justice (mandat de comparution, mandat d’amener, mandat de dépôt, mandat d’arrêt, mandat de perquisition).

« L’avis de poursuite judiciaire » ne figure pas parmi les actes qui peuvent être accomplis par un juge d’instruction.

Aucune disposition du Code de Procédure Pénale n’a prévu ni institué « un avis de poursuite judiciaire ».

« L’avis de poursuite judiciaire » émis contre Monsieur MECKASSOUA est manifestement un faux en écriture publique sciemment établi par un Magistrat du siège en violation de son serment, pour nuire à un innocent.

« Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice » avait écrit MONTESQUIEU (Esprit des lois).

Le célèbre avocat et révolutionnaire français Camille DESMOULINS avait raison de dire que « ce sont les despotes maladroits qui se servent des baïonnettes; l’art de la tyrannie est de faire la même chose avec des juges ».

Le faux en écriture publique commis par Monsieur Narcisse Ted ISSA BEDENGBA est un crime prévu et puni par l’article 351 du code pénal:

« Sera puni des travaux forcés à temps, tout fonctionnaire ou officier public qui, en rédigeant des actes de son ministère, en aura frauduleusement dénaturé la substance ou les circonstances, soit en écrivant des conventions autres que celles qui auraient été tracées ou dictées par les parties, soit en constatant comme vrais des faits faux, ou comme avoués des faits qui ne l’étaient pas ».

Nul n’est censé ignorer la loi : « nemo censetur ignorare legem ».

Les juges constitutionnels, ayant tous plus de 10 ans d’expérience ne peuvent prétendre ignorer l’existence de ce faux en écriture publique. Ils ne peuvent, sans se couvrir d’ignominie, affirmer qu’ils n’ont pas de connaissance en procédure pénale, la majorité d’entre eux étant des praticiens du droit judiciaire.

C’est donc en connaissance de cause qu’ils ont fondé la motivation de leur décision sur un faux en écriture publique frappé du sceau de l’infamie, pour prononcer la déchéance d’un élu de la Nation.

Ils ont simplement appliqué à Monsieur Abdou Karim MECKASSOUA le principe du lit de Procuste: ce tyran légendaire de la mythologie coupait les pieds de ses prisonniers pour qu’ils soient à la taille du lit.

En agissant ainsi, ils consacrent par leur forfaiture, la faillite morale d’une juridiction qui ne peut s’exonérer de ses responsabilités dans le naufrage de la justice centrafricaine.

CONCLUSION

C’est un grand intellectuel africain, Saint-Augustin, philosophe et chrétien de l’Antiquité tardive (354-430 ap. J.C.) qui avait écrit que la seule différence entre un bandit et un roi était la question de justice.

Monsieur Abdou Karim MECKASSOUA a été victime d’une double injustice :

-victime d’un procès en sorcellerie au Cabinet d’instruction n° 1 du Tribunal de Grande Instance de Bangui,

-victime d’un procès en barbarie devant la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine.

La Cour Constitutionnelle, en se déjugeant au regard de sa propre jurisprudence solidement établie et en remettant en cause l’irrévocabilité absolue de la chose jugée, a donc ouvert la boîte de Pandore. Elle ne peut que se résigner désormais à boire le calice du déshonneur jusqu’à la lie.

Les juges constitutionnels centrafricains doivent, pour le repos de leur conscience, méditer ces propos de Périclès s’adressant aux guerriers athéniens après la guerre du Péloponnèse : « il y’a des lois non écrites qui n’ont pour seule sanction que la honte ».

Me Nicolas TIANGAYE

Avocat à la Cour

Doyen des Avocats du Barreau de Centrafrique Ancien Bâtonnier de l’Ordre

Ancien Avocat au Tribunal Pénal International pour le Rwanda d’Arusha (TANZANIE)

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