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RCA : Des dizaines de personnes soupçonnées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité sont toujours en liberté, selon AMNESTY INTERNATIONAL

 

    1. Un seul des 25 mandats d’arrêt décernés par la Cour pénale spéciale a été exécuté. La libération d’un responsable gouvernemental est un nouvel exemple des entraves flagrantes au travail de la Cour pénale spéciale.
    2. Aucune session criminelle n’a eu lieu dans le pays depuis près de 20 mois.
Le chef rebelle Ali Drassa, à droite sur la photo, et son ex-conseiller Hassan Bouba, à gauche, à Gbokologbo, dans la préfecture de la Ouaka. Photo CNC.
Le chef rebelle Ali Drassa, à droite sur la photo, et son ex-conseiller Hassan Bouba, à gauche, à Gbokologbo, dans la préfecture de la Ouaka. Photo CNC.

 

Des dizaines de personnes soupçonnées d’être responsables de crimes relevant du droit international, dont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, sont toujours en liberté en République centrafricaine, a déclaré Amnesty International dans un briefing paru mercredi 8 décembre 2021.

De même, pas un seul suspect ne se trouve en détention provisoire en application d’un mandat d’arrêt décerné par la Cour pénale spéciale (CPS) plus de trois ans après sa mise en place. La CPS est un tribunal hybride qui a compétence pour juger les crimes de droit international et les graves violations des droits humains perpétrés pendant une série de conflits depuis 2003.

Le briefing One Step Forward, Two Steps Backwards: Justice in the Central African Republic révèle que, bien que la CPS ait commencé ses travaux en 2018, très peu de personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de tels actes ont été arrêtées, poursuivies ou jugées. Les procédures judiciaires en cours sont loin d’être suffisantes pour répondre aux besoins de justice, de vérité et de réparations. Sur les 25 mandats d’arrêt décernés jusqu’à présent par la Cour, un seul a été exécuté, aboutissant à l’arrestation, en novembre 2021, du ministre Hassan Bouba Ali, ancien dirigeant d’un groupe armé soupçonné par d’autres ONG d’être lié au massacre, en 2018, de plus de 70 civil·e·s, dont des enfants, à Alindao. Cet homme a cependant été libéré quelques jours plus tard par les autorités centrafricaines, en dehors de toute décision judiciaire.

« Plus de six ans après sa création, et trois ans après sa mise en place effective, la CPS a du mal à traduire en justice les personnes soupçonnées d’être responsables de crimes de droit international, notamment parce que les mandats d’arrêt qu’elle a décernés ne sont pas exécutés. La libération de Hassan Bouba Ali n’est qu’un nouvel exemple du manque de soutien des autorités politiques pour la mission de la Cour », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

« Amnesty International appelle les autorités centrafricaines et la MINUSCA [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine] à prendre toutes les mesures possibles pour garantir l’exécution des mandats d’arrêt de la CPS et pour faire en sorte que tous les responsables présumés de crimes de droit international et d’autres atteintes aux droits humains perpétrés depuis 2003 par l’ensemble des parties au conflit soient soumis à de véritables enquêtes et jugés dans le cadre de procès équitables. »

La grande majorité des victimes attend toujours justice, vérité et réparations.

Une membre de la société civile a déclaré à Amnesty International :

« On [a besoin] de voir les vrais bourreaux être jugés, ceux qui ont peut-être été à la tête de l’État ou des institutions étatiques, les chefs des groupes rebelles. »

La CPS a été créée pour combler les besoins en matière de justice, en complément de la Cour pénale internationale (CPI) et des tribunaux pénaux ordinaires centrafricains. Vingt-deux personnes se trouvent actuellement en détention provisoire pour le compte de la CPS, mais elles n’ont pas été arrêtées en exécution des mandats d’arrêt délivrés par celle-ci. On ignore quelles sont les charges qui pèsent contre elles et leur identité n’a pas été révélée – sauf celle d’Eugène Ngaïkosset, un suspect arrêté en septembre 2021.

Le briefing d’Amnesty International dénonce aussi le manque de transparence dans le fonctionnement de la CPS. Alors que les premiers procès devant cette Cour doivent s’ouvrir en décembre 2021 ou début 2022, aucune information n’est disponible sur les affaires ou les suspects concernés. Amnesty International a constaté qu’il restait très difficile, voire impossible, de trouver des informations sur l’état d’avancement des procédures en cours. Aucune décision judiciaire n’a été rendue publique.

Aucun procès pénal dans le pays depuis 20 mois

Le rapport constate également que les tribunaux ordinaires centrafricains n’ont pas tenu de session criminelle depuis le 7 février 2020. Cela signifie qu’aucun procès pénal concernant des crimes n’a eu lieu depuis 20 mois dans un pays qui, en vertu de sa législation, devrait organiser au moins six sessions criminelles par an.

Bien que la pandémie de COVID-19 et la situation politique et sécuritaire dans le pays en décembre 2020 et durant le premier semestre 2021 aient sans aucun doute provoqué des retards dans le fonctionnement de la justice, ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls l’état de léthargie dans lequel se trouve le secteur judiciaire.

Les nouveaux tribunaux militaires ne doivent pas juger des crimes commis contre des civil·e·s

Amnesty International appelle aussi les autorités centrafricaines à veiller à ce que les crimes commis contre des personnes civiles ne soient pas jugés par les tribunaux militaires nouvellement créés, qui ont tenu leurs premières sessions cette année. La compétence des tribunaux militaires en matière pénale doit se limiter aux procès concernant des militaires qui ont enfreint les règles de discipline, et ne doit en aucun cas s’étendre aux violations des droits humains ni aux crimes de droit international.

En septembre 2021, la cour martiale de Bangui a examiné une première série d’affaires, parmi lesquelles des cas de meurtres de civil·e·s. Ces cas devraient relever de la compétence des tribunaux ordinaires.

« Les chercheur·euse·s ont constaté que rien n’était fait pour modifier la législation nationale afin que la compétence des tribunaux militaires se limite bien aux affaires disciplinaires de l’armée. Ils ont remarqué, au contraire, que la tenue de ces sessions avait été présentée comme un succès dans la lutte contre l’impunité au sein des forces armées », a déclaré Samira Daoud.

Complément d’information

Des chercheur·euse·s d’Amnesty International se sont rendus en République centrafricaine en octobre 2021 et ont eu 35 entretiens avec 44 personnes – 33 hommes et 11 femmes – issues du gouvernement, de la société civile, du système judiciaire, dont la Cour pénale spéciale et les tribunaux ordinaires, et de la Cour pénale internationale.

 

Pour en savoir plus, veuillez consulter le rapport publié en octobre 2020 par Amnesty International : République Centrafricaine. « Au procès, ces chefs de guerre ont baissé la tête ». La difficile quête de justice.

 

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