Live From The Field

Le point sur la situation au Soudan : coup d’Etat militaire, arrestation de ministres et appels à la désobéissance civile

Bangui ( République centrafricaine ) – Après des semaines de tensions entre militaires et civils qui se partagent le pouvoir au Soudan depuis la destitution de l’autocrate Omar Al-Bachir en 2019, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, qui était à la tête du conseil de souveraineté, l’autorité de transition soudanaise, a annoncé lundi 25 octobre que l’armée avait arrêté la quasi-totalité des dirigeants civils.

Le point sur ce coup d’Etat, qui compromet grandement la transition amorcée après trente années de dictature dans ce pays d’Afrique de l’Est.Lundi matin, le général Al-Bourhane a dissous les autorités de transition. Abdallah Hamdok, le premier ministre, nombre de ses ministres, leurs épouses, et tous les membres civils du conseil de souveraineté, la plus haute autorité de la transition ont été arrêtés par des militaires.M. Hamdok, dont la communauté internationale réclame la libération, se « trouve chez moi », a déclaré mardi M. Al-Bourhane. « Oui, on a arrêté des ministres et des politiciens, mais pas tous », a encore lancé le général dans une longue conférence de presse où il a justifié l’ensemble de son action. M. Hamdok, ancien économiste de l’Organisation des Nations unies (ONU), est « en bonne santé » et « rentrera chez lui quand la crise sera finie ».Dans la foulée de cette conférence de presse, le bureau du premier ministre a appelé « les putschistes » à libérer « immédiatement » toutes les personnes arrêtées, dans un communiqué diffusé par le ministère de l’information.Depuis 2019 et la chute d’Al-Bachir, le pouvoir était partagé entre le gouvernement civil dirigé par M. Hamdok et le conseil de souveraineté chargé de mener la transition, mais le coup de force intervient dans un contexte de tensions exacerbées entre civils et militaires.La direction du conseil de souveraineté devait être transmise à une personnalité civile dans les prochains mois et les militaires avaient jusqu’ici affirmé leur volonté de respecter le processus de transition, mais la date exacte de cette passation des pouvoirs n’était cependant pas encore connue précisément. De plus, les autorités de transition peinaient à s’entendre sur le fait de remettre Al-Bachir à la Cour pénale internationale.Le 16 octobre, des partisans de l’armée ont planté leurs tentes devant le palais présidentiel, où siègent les autorités de transition. En réponse, le 21 octobre, les partisans du pouvoir civil sont descendus par dizaines de milliers dans les rues du pays pour « sauver » leur « révolution ». Il y a deux jours, le camp civil avait mis en garde contre un « coup d’Etat rampant », lors d’une conférence de presse qu’une petite foule avait cherché à empêcher. • La communauté internationale inquiète, trois ambassadeurs annoncent leur défectionMardi, trois ambassadeurs soudanais en Europe ont annoncé leur défection, condamnant le coup d’Etat militaire de la veille et proclamant leurs ambassades comme celles du « peuple soudanais », a annoncé sur Facebook le ministère de l’information. « Nous nous alignons totalement avec l’opposition héroïque suivie par le monde entier et proclamons les ambassades du Soudan en France, en Belgique et en Suisse ambassades du peuple soudanais et de sa révolution », ont écrit Omar Béchir Maniss, Abderrahim Ahmed Khalil et Ali Ibn Abi Taleb Abderrahman Al-Gendi.La communauté internationale a également exprimé son inquiétude. Pour la troïka à la manœuvre sur le dossier soudanais depuis des années, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Norvège, « les actions des militaires trahissent la révolution et la transition » post-dictature après la chute en 2019 de l’autocrate Omar Al-Bachir. Par ailleurs, Washington a « suspendu » une aide de 700 millions de dollars au Soudan dans la mesure où la perspective des premières élections libres semble de plus en plus compromise.Pour sa part, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a demandé une libération immédiate des ministres, déplorant par ailleurs la « multiplication » de coups d’Etat cette année dans le monde. Les « divisions géopolitiques importantes » qui empêchent « le Conseil de sécurité de prendre des mesures fortes », la pandémie, les difficultés économiques et sociales font que « des chefs militaires considèrent qu’ils ont une totale impunité, qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent car rien ne leur arrivera », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. « J’appelle les grandes puissances à se retrouver pour une unité du Conseil de sécurité afin de s’assurer qu’il y ait une dissuasion effective à propos de cette épidémie de coups d’Etat » à laquelle le monde assiste en Asie ou en Afrique, a poursuivi Antonio Guterres.Les 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU doivent se réunir en urgence à huis clos sur le Soudan à partir de 22 heures (heure de Paris), à la demande du Royaume-Uni, de l’Irlande, de la Norvège, des Etats-Unis, de l’Estonie et de la France. Le Mexique, le Kenya, le Niger, la Tunisie et Saint-Vincent-et les-Grenadines, membres non permanents du Conseil, ont apporté leur appui à cette convocation. Selon des diplomates, l’adoption d’une déclaration est depuis lundi en négociation mais il n’était pas certain que la Russie et la Chine, notamment, entérinent son approbation.Dans les rues de Khartoum, où quasiment tous les magasins – à l’exception de ceux vendant de la nourriture – sont fermés, des manifestants appellent à la « désobéissance civile ». La « grève générale » avait gagné la capitale mardi, entre employés incapables de rejoindre leurs bureaux par les routes coupées et manifestants décidés à bloquer le pays. « Non au pouvoir militaire », « la révolution continue », scandent toujours les manifestants sous une nuée de drapeaux soudanais, répondant à l’appel de syndicats fers de lance de la révolte de 2019.Depuis lundi, au moins quatre manifestants ont été tués par des balles « tirées par les forces armées » selon un syndicat de médecins prodémocratie, et plus de quatre-vingts autres blessés, à Khartoum, où les forces de sécurité sont déployées avec leurs blindés sur les ponts et les grands axes.Abdel Fattah Al-BourhaneNé en 1960, Abdel Fattah Al-Bourhane est un pur produit de l’armée soudanaise. Après des études à l’académie militaire, poursuivies à l’étranger (notamment en Egypte), il a gravi les échelons jusqu’à commander l’armée de terre, un rôle clef lorsqu’en 2015, le Soudan a rejoint la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis dans la guerre au Yemen. Lors des manifestations contre le pouvoir d’Omar Al-Bachir en 2019, l’ex-dictateur soudanais, le général Al-Bourhane a fait figure de solution pour prendre la tête de la transition civilo-militaire, n’ayant pas été marqué comme « islamiste », et dirigeait le Conseil de souveraineté, jusqu’à la dissolution, lundi, de toutes les autorités en place.Le Monde avec AFP

Avec AFP

{CAPTION}
{CAPTION}