“Le problème centrafricain, c’est un problème d’Etat” (Antoinette Montaigne)

L'ex-ministre Antoinette Montaigne. CopyrightDR
L’ex-ministre Antoinette Montaigne. CopyrightDR

 

 

Bangui (République centrafricaine) – L’avant-projet de loi sur la création de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR) a été remis fin janvier au président, Faustin Archange Touadera. Elle sera examinée et adoptée par l’Assemblée nationale. Antoinette Montaigne, ministre de la Réconciliation, au moment de la création de la commission estime que celle-ci est la seule solution pour « sauver la Centrafrique ».

 

DW : Madame Antoinette Montaigne, vous êtes ancienne ministre de la Communication et de la Réconciliation en Centrafrique et ancienne porte-parole de la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza. En ce moment, en Centrafrique, il est question de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation. Le décret est maintenant soumis à l’appréciation du président. Qu’est-ce que vous en pensez ?

 

Antoinette Montaigne : La Commission vérité et réconciliation fait partie des mécanismes de construction de la paix que moi en tant que ministre de la Communication et de la Réconciliation de la République centrafricaine, j’ai mis dans la stratégie. Il s’agit des trois phrases-clés de la construction populaire de la paix : la première, ce sont les consultations populaires à la base. La deuxième, c’est le Forum national de Bangui et la troisième, c’est la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation. La Commission est le seul chemin, la seule porte pour sauver la République centrafricaine et sa population qui souffre.

C’est quoi, cette commission? C’est le droit de la population dans la troisième phase de la construction populaire de la paix d’obtenir une analyse ensemble. Avec la philosophie qu’il ne faut pas forcément punir les gens. L’objectif étant de savoir pourquoi les fondations de l’Etat centrafricain sont aujourd’hui rongées par les termites. Si les fondations sont rongées par les termites, on ne pourra pas bâtir une société qui tienne debout. Ce mur porteur qui est érodé par les termites va s’effondrer !

Le problème centrafricain, c’est un problème d’Etat, et ce n’est pas un hasard que l’Etat est réduit à 30% du territoire aujourd’hui. Donc c’est la question de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation. Les groupes armés sont un des aspects de la Commission vérité. Mais il y a la pauvreté qui est importante. Il y a les injustices créées par le conflit. Il y a beaucoup de Centrafricains qui sont au Cameroun, au Tchad, en RDC, en République du Congo, etc.

 

DW : Mais soyons concrets : où en êtes-vous avec la paix en Centrafrique ?

 

Antoinette Montaigne : La paix en Centrafrique est articulée essentiellement autour de l’accord de Khartoum. L’accord de Khartoum, c’est l’accord entre l’Etat et les groupes armés. Mais le reste de la population ne participe pas. Alors que le reste de la population, tous les Centrafricains, sont victimes. Ceux qui sont maintenant à l’étranger, qui ont fini leurs études, qui ne peuvent pas rentrer – ce sont des victimes parce qu’ils craignent pour leur sécurité. Ceux qui ont fui, qui sont au Tchad, en RDC, au Cameroun, au Soudan ou ailleurs – ce sont des victimes. Ceux-là même qui ont perdu tout leur bétail, les éleveurs centrafricains, ce secteur qui s’est effondré – ce sont des victimes. Et donc le rôle de la Commission vérité est vraiment de pacifier cela. Et de demander à chacun de dire : qu’est-ce que vous avez subi en tant que citoyen dans votre pays et qu’est-ce que vous voulez que l’Etat fasse pour vous? Et c’est avec ça que tout le monde sera mis d’accord.

 

DW : Et comment cela va se passer ? C’est comme les tribunaux traditionnels “gacaca” au Rwanda? Comme la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud? Comment ce sera très concrètement ?

 

Antoinette Montaigne : Je pense qu’il faut ouvrir dans chaque quartier des listes de citoyens qui ont besoin de s’exprimer à la Commission vérité. Il faut ouvrir dans les ambassades et les consulats de Centrafrique à l’étranger des listes pour que les personnes qui veulent s’exprimer, s’expriment. Il faut ouvrir dans les pays étrangers, où il y a des réfugiés centrafricains, les listes de personnes qui veulent s’exprimer à la Commission Vérité. Comme ça, on fera un ensemble de questions qui se rapportent au même sujet et on va permettre maintenant à cette instance qu’est la Commission vérité de pouvoir appeler des personnes qui souhaitent s’exprimer, en mettant la liste de ces personnes-là. Même s’il n’y a pas tout le monde, que ces personnes se regroupent d’une manière ou d’une autre. On a maintenant les réseaux sociaux pour permettre de faire des conférences par villes, par pays, etc. Et que ces éléments-là puissent rentrer aussi dans la mémoire nationale pour permettre aux historiens d’écrire l’histoire de cette page sombre. Cette passerelle doit se faire pour que les populations retrouvent confiance dans leur pays et retrouvent confiance en l’Etat.

 

DW : En quoi cette commission sera différente de la Cour pénale spéciale qui existe déjà ?

 

Antoinette Montaigne : La Cour pénale spéciale va parler des questions d’enquête qui sont assez difficiles dans un pays chaotique. Une grande partie des victimes n’est pas au pays : au Cameroun, il y a plus de 250.000 Centrafricains, au Tchad, il y en a des dizaines de milliers. Partout dans le voisinage, nos voisins sont obligés de porter leurs frères en détresse. Donc vous voyez que là, si on doit faire des procédures de justice, tous les Centrafricains qui sont aujourd’hui en vie, seront morts. Dans 100 ans, on n’aura pas fini. Donc la Commission vérité, c’est un moment qu’il faut ouvrir. Après, il faut agir par priorité mais il ne faut pas la fermer tant que les gens n’ont pas fini de parler.

 

DW : Si je peux essayer de formuler ça autrement : la Cour pénale spéciale, c’est pour les gros poissons, donc les groupes armés. Et la Commission serait vraiment pour le citoyen lambda à qui on a fait du tort pendant la crise ?

 

Antoinette Montaigne : Vous avez tout compris : c’est le citoyen lambda. Mais il est aussi important que le peuple sache dans quel Etat on vit. Autrefois, on avait un Etat en République centrafricaine ! Il y avait la sécurité, il y avait la cordialité, il y avait la solidarité. Les Tchadiens venaient en Centrafrique, les Soudanais venaient, tout le monde venaient et on allait les voir, nos frères et sœurs, il n’y avait pas de problème. Aujourd’hui, on a une crise où l’Etat fonctionne moins bien. Ce n’est pas pour rien que l’Etat est réduit à 30% du territoire.

Donc la commission vérité, c’est la question de l’Etat en Centrafrique. Pourquoi l’Etat n’existe plus en province ? Pourquoi l’Etat est devenu tellement faible que les groupes armés font la loi ? Pourquoi l’Etat n’est plus capable de protéger les citoyens? Pourquoi les citoyens qui sont partis ne peuvent pas revenir chez eux ? Pourquoi les secteurs aussi importants que les transports en commun ont disparus? Pourquoi l’élevage, qui est un secteur très important, a été décimé ? Pourquoi il n’y a-t-il pas de route pour aller secourir les gens sur le plan humanitaire? Pourquoi et pourquoi et pourquoi… Donc ce sont ces pourquoi-là qui doivent nous mobiliser. Ce n’est pas la question de personnes. Je pense évidemment que les présidents des Assemblées nationales doivent venir témoigner. Les anciens Premiers ministres doivent venir témoigner, c’est eux qui ont été les chefs de gouvernement. Les gens simples doivent aussi témoigner pour dire pourquoi l’Etat est réduit à la portion congrue. Et je répète que ce n’est pas la peine de penser à sanctionner les gens. On veut une pédagogie de l’Etat dans les rapports entre l’Etat et les citoyens.

 

DW : Merci beaucoup madame la ministre

 

Antoinette Montaigne : C’est moi qui vous remercie.

 

L’accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine a été signé le 6 février 2019, donc demain, il y a un an, à Bangui par le gouvernement centrafricain et 14 groupes armés. C’était à la suite de pourparlers menés à Khartoum, capitale du Soudan, sous les auspices de l’Union africaine (UA) et avec l’appui des Nations unies.

 

Interview réalisée par DW français.