La plus grande usine de Centrafrique relance sa production, malgré la peur

Publié le 14 juin 2014 , 3:34
Mis à jour le: 15 juin 2014 4:47 am

(AFP 06/06/14)

Après avoir été pillée et occupée par des rebelles de la Séléka pendant plus d’un an, la plus grosse usine de Centrafrique, la sucrerie de Ngakobo, dans l’est du pays, vient de relancer sa production.

“On avait plus de boulot, plus d’argent, on s’ennuyait, on est content de reprendre”, dit Solange Ngortene secrétaire technique de 30 ans.

Dans un champ de cannes devant l’usine, des “manoeuvres coupeurs” en combinaison marron découpent la canne à sucre à la machette. En combinaison grise, les “ramasseurs” passent derrière pour jeter les fagots dans des grandes charrettes, déchargées ensuite dans l’usine.

Sous un soleil de plomb, au milieu d’un paysage vallonné d’un vert éclatant, 150 personnes s’affairent sur ces quatre hectares de champs. Deux cents tonnes de cannes seront coupées aujourd’hui, qui donneront vingt tonnes de sucre. Soit 20.000 euros de marchandise.

Au milieu du champ, Solange Ngortene s’assure que la logistique suit bien.

“J’ai été au chômage technique pendant plus d’un an. Je touchais 10 ou 30% de mon salaire brut, ce n’était pas facile avec la charge familiale. Et puis on s’est trop reposé, on s’ennuyait, on est content de reprendre le travail”, raconte-t-elle dans un large sourire.

Comme beaucoup d’ouvriers de la Sucaf, le deuxième employeur du pays après l’Etat, Solange a tout abandonné pour se réfugier avec sa famille à Bangui quand les Séléka ont pris la région.

C’était le 30 décembre 2012. Alors que sa production atteint 11.000 tonnes de sucre à l’année, la sucrerie est pillée par les Séléka, ces rebelles à dominante musulmane qui parviendront à prendre le pouvoir à Bangui trois mois plus tard. Les rebelles volent les voitures, terrorisent les ouvriers et s’installent dans l’usine.

Quinze mois plus tard, les Séléka ont été chassés du pouvoir à Bangui, laissant l’économie du pays – déjà mal point après des décennies d’incurie et de corruption – en ruine, malgré son potentiel agricole et minier.

Mais ils contrôlent toujours la région de Ngakobo. Pour parvenir à relancer l’usine, trente soldats de la force africaine en Centrafrique (Misca) sont déployés sur le site et 60 gardes privés embauchés. Fin avril, l’usine était prête à repartir.

– Combattants et peuls armés –

“L’usine tourne bien”, se félicite Sylvestre Serelgue, en bleu de travail devant l’atelier mécanique où il travaille. “Nos frères de la Misca assurent la sécurité. Dans l’usine nous sommes à l’aise”.

Le problème, c’est dans les villages. “Les peuls nous em… beaucoup. Ils agressent le personnel dans les quartiers. Ils sont 15 ou 20 et nous prennent notre argent”.

Des officiers gabonais de la Misca expliquent que la quinzaine de Séléka qui contrôle Ngakobo ont réussi à embrigader des peuls – des éleveurs nomades musulmans – qu’ils ont armés et qui volent les quelques milliers d’habitants vivant dans la région.

“Beaucoup d’employés qui se sont réfugiés à Bangui pour fuir les Séléka sont revenus ici quand c’est devenu encore plus dangereux à Bangui”, explique Akroma Ehvitchi, le directeur ivoirien du site.

“Ils sont revenus seuls, sans famille, car il n’y a pas de transport et il y a encore des problèmes de sécurité”.

Les employés envoient de l’argent à Bangui, via l’avion de la société.

“Mais le salaire ce n’est pas assez”, se plaint Prosper, devant sa cuve à vapeur poisseuse. Journalier de 42 ans, Prosper gagne 1.100 francs CFA par jour (1,6 euro), à peine de quoi se payer un kilo de sucre.

“Ce n’est pas beaucoup”, reconnaît le directeur général de Sucaf, Thomas Reynaud. “Mais dans certaines familles, vous avez 5 ou 6 personnes qui travaillent ici”, se rassure le jeune Français.

“Le but c’est de redémarrer la production pour sauver le site”, explique M. Reynaud à l’occasion d’une visite d’une délégation de diplomates et militaires venus de Bangui.

“Là on travaille à l’artisanal, mais on va racheter des voitures, des camions, des machines”. Si la situation sécuritaire le permet.

Sur un des pick-up de la sucrerie, en quittant l’usine, le directeur du site préfère ironiser sur le casse-tête militaro-politique régnant en Centrafrique, où certaines régions sont contrôlées par des Séléka, d’autres par des anti-balaka, des milices à dominante chrétienne, sur fond d’une délinquance crapuleuse bien installée.

“Dans une situation pareille si tu comprends ce qui se passe, c’est qu’on te l’as pas bien expliqué”, lance en riant Akroma Ehvitchi.

 

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