Ex-ministre des Sports de François sozizé. Patrice–Édouard Ngaïssona est devenu le coordinateur général du mouvement. Son objectif: le transformer en un parti politique respectable pour participer aux élections prévues début 2015.
Créée en réaction aux exactions commises par l’ex-Séléka, qui a pris le pouvoir en mars 2013, la milice anti balaka (majoritairement chrétienne) cherche à asseoir sa légitimité en tant que parti politique, en vue des élections prévues pour février 2015. Mais les dissensions internes et le manque de structures ralentissent le processus, sur fond de ressentiment ethnique. En parallèle, à Bangui, les exactions commises par ses membres ont fait perdre à la milice la popularité dont elle a pu jouir au début du conflit. Cela n’empêche pas certains politiciens de se réclamer du mouvement anti-balaka et de rechercher ses faveurs. Preuve que le « label» n’est pas encore éculé.
BOMBARDÉ. A l’entrée de sa maison, juchée sur une colline du quartier deBoye-Rabe, dans le nord de Bangui, deshommes en armes fouillent les sacs etles poches des visiteurs. Traversant lacour, Patrice-Édouard Ngaïssona, 42 ans,coordinateur général des anti-balaka, est accueilli par des saluts militaires.
Quelques minutes plus tard, bien calédans son fauteuil, il se dit serein. Il necraint pas la « justice des hommes ». Araison, semble-t-il. Il a déjà été poursuivipour détournement de fonds du tempsde François Bozizé, qui l’avait bombardéministre de la Jeunesse et des Sportsdans le gouvernement d’union nationale,en février 2013. Fin mai 2013, il a faitl’objet d’un mandat d’arrêt international,lancé par la justice centrafricaine pour « crimes contre l’humanité et incitation au génocide, complicité de tueries etassassinats». Auditionné dans ce cadre en avril dernier et laissé en liberté sous contrôle judiciaire, le leader anti-balaka sait que la justice a été jusqu’à présent plutôt clémente avec lui.
Certes, à la demande des autorités judiciaires centrafricaines, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur les exactions commises dans le pays depuis septembre 2012, laquelle pourrait bien mettre en cause des miliciens anti-balaka. Des accusations que Ngaïssona balaie d’un revers de main: si des exactions ont été commises, c’est sur le principe de l’autodéfense, face aux violences perpétrées par l’ex-Séléka. « Est-ce qu’un soulèvement contre l’arbitraire est passible de poursuites? Ça n’a pas de sens », s’agace-t-il. Avant de conclure: « Les tueries, on n’en fait plus. » Point.
En attendant « la justice de Dieu», le coordinateur général anti-balaka oeuvre donc à la transformation de son mouvementen parti politique. Qu’on ne l’accuse pas de vouloir ralentir la transition: au contraire, il assure qu’il est là pour l’aider. Il rêve d’élections rapides,« comme au Mali ». Et, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il ajoute: «Il n’y apas d’hommes politiques dans ce pays. Seuls les anti-balaka et l’ex-Séléka sont en mesure, aujourd’hui, de ramener la paix. » Dont acte.
Reste que, à la différence du mouvement porté par Michel Djotodia, qui, lui, est en mesure de mener des offensives également sur le plan diplomatique, les anti-balaka ne sont pas structurés. Selon Ngaïssona, il faut « décentraliser le mouvement », qui compterait 53000 personnes. Mais aussi « trouver des financements» et, comme l’a fait l’ex-Séléka, cantonner les combattants.
Ensuite, le mouvement aura vraiment de quoi peser et faire face à son adversaire. On retrouve là le président de la Fédération centrafricaine de football et ex-ministre des Sports.
Patrice Ngaïssona travaille donc sur les statuts juridiques de son mouvement. Il est aidé dans cette tâche par le capitaine Joachim Kokaté, conseiller ministériel et chargé des relations extérieures pour les anti-balaka. Issu de l’ethnie yakouma.Ie capitaine Kokaté souhaite une refonte complète de l’armée, constituée essentiellement de Gbayas, l’ethnie de l’exprésident Bozizé. Et le mouvement antibalaka peut constituer un vivier,si des recrutements pour une nouvelle armée nationalese révélaient nécessaires. Il s’agit de lisser le discours et de « toiletter» un peu le bureau politique, afin d’apparaître comme neuf aux yeux des électeurs et de la communauté internationale.
AFFAMÉS. D’ici là, un coup de pouce du gouvernement de transition serait le bienvenu. En effet, l’argent, les véhicules et les postes offerts par la présidente, Catherine Sarnba-Panza, ne suffisent plus. Patrice Ngaïssona réclame « la reconnaissance intellectuelle» du mouvement par l’État. Son porte-parole, Émotion Namsio,va plus loin: « Personne ne déposera les armes tant que notre acte de bravoure ne sera pas reconnu. » Et, surtout, tant que le mouvement n’aura pas reçu de financements. Car s’il n’y avait pas la misère, Ngaïssona l’assure, ses miliciens ne commettraient pas la moindre exaction. Il les justifie cependanten estimant qu’il est « très difficile de contrôler des hommes affamés »,
Proche de François Bozizé, le leader anti-balaka affirme que l’ancien chef de l’État n’a jamais donné un franc à son mouvement – ce que même des membres de sa garde rapprochée contestent. Il dit avoir juste reçu 7 millions de F CFA(10 670 euros), « à titre personnel ». de la part de la présidente,Catherine Samba-Panza: «La première fois, dit-il, elle nous a donné 4rnillions,et la deuxième, 3. À part cet argent, on n’a rien touché. »
C’est d’ailleurs pour une questionde répartition des ressources que, ces trois derniers mois, des querelles de leadershipont opposé le coordinateur généralau désormais coordinateur général adjoint, Sébastien Wénézoui. Ce dernier explique que les tensions seraient dues à la proximité de Patrice Ngaïssona avec François Bozizé, Selon lui, l’équipe de gaïssona travaillerait discrètement au retour du président renversé et n’aurait rien reversé au mouvement de l’argent offert par l’ancien chef de l’État, son filset l’actuelle présidente de transition.
CHAUD, FROID.Bozizé n’est jamais très loin.Dans le bureau politique récemment constitué par le mouvement, seuls les Gbayas, son ethnie, seraient représentés,créant des frustrations parmi les antibalaka. L’histoire se répète. En effet, durant ses dix années de pouvoir (de 2003à 2013),François Bozizéalargement favorisé les Gbayas au sein de l’armée,attisant les frustrations. Ce qui a fait, indirectement, le jeu de la rébellion.
Joachim Kokaté, qui souffle le chaud et le froid dans ce conflit interne, veille à atténuer les tensions ethniques au sein du mouvement: « Les anti-balaka ne sont pas seulement l’affaire des Gbayas ». affirme-t-il. Si Kokaté se présente comme opposant à l’ex-président, il a toutefois créé avec lui, lors de sonexil en France, le Front pour le retour à l’ordre constitutionnel en Centrafrique J(Frocca), dont les partisans oeuvrent au retour de Bozizé.
Un autre discours apparaît en filigrane. Il y aurait les « vrais» et les «faux» antibalaka.Les « faux» seraient ceux utilisantle label à des fins criminelles, et dontles leaders pourraient se débarrasser s’ils devenaient trop gênants. Quant aux « vrais », il s’agirait des hommes deNgaïssona, ceux que l’on a envoyés chercherà Bossangoa (dans le nord-est dupays), notamment, après le massacre deleurs familles par l’ex-Séléka, pour constituerle mouvement d’autodéfense. Ces derniers ont permis au gouvernement de transition de s’installer et constituent le gros de l’entourage de Ngaïssona .
Mus par un besoin de revanche, ils ont participé aux violents combats quiont fait tomber la Séléka et fuir lesmusulmans. D’autres grossissent lesrangs de la milice chaque jour, demandantà être alignés sous la bannièrenationale. Les divisions internes ont pu être apaisées grâce à la médiationd’une association créée spécialementpour l’occasion, Mouda, présidée parla fille de Catherine Samba-Panza,installée en France. « Sangaris nousa conseillé de rester soudés et de constituer un bureau politique. C’estpour cela qu’on a proposé Wénézoui », explique le capitaine Gilbert Kamezolaï.L’officiera depuis quitté le mouvement. Sébastien Wénézoui, avec son discours pacifiste, ne s’y est pas trompé: « Lesanti-balaka sont l’armée et les électeursde demain. » Et cela mérite biend’oublier quelques tensions internes .•
DOROTHÉE THIÉNOT,
envoyée spéciale à Bangui