Bangui, 4 décembre 2021 (Corbeaunews – Centrafrique ) – La République centrafricaine a toujours connu de cycles cadencés de violences dont le plus sanglant est celui qui a consacré l’avènement de la coalition rebelle à la magistrature suprême en 2013. De violences atroces, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été enregistrés en cours des affrontements. Animé par le souci de rétablir le droit des victimes et de faire la promotion de la culture d’impunité, la présidente de la transition a promulgué la loi organique N*15.003 du 13 juin 2013 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour Pénale Spéciale (CPS). Selon les dispositions de l’article 3 de cette loi organique, la Cour Pénale Spéciale est compétente pour « enquêter, instruire et juger les violations graves des droits humains et des violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire national depuis le 1er janvier 2003 ».
C’est dans le cadre de cette mission encadrée que la Cour Pénale Spéciale qui jouit d’une autonomie particulière a procédé à l’arrestation musclée d’un membre du gouvernement dans son cabinet ministériel et placé en détention provisoire dans une caserne de la sécurité présidentielle sous un regard étonné des autorités établies…suivi d’un silence de cathédrale. Alors que l’accusé devrait comparaître devant les juges d’instruction, la force spéciale placée sous l’autorité de la Cour Pénale Spéciale chargée de le ramener n’ont pu accéder au détenu car empêchée par les forces régulières.
À contrario et de façon paradoxale, l’accusé est exfiltré de sa prison et ramené à son domicile sous escorte militaire. Inédit dans la jurisprudence internationale, la Cour Pénale Spéciale s’est indignée de cette libération à travers un communiqué rendu public et exhorte les autorités établies de créer des conditions favorables à l’exécution des actes judiciaires qui relèvent de sa compétence.
Il faut noter au passage que l’ex ministre de l’élevage devenu accusé fait partie des heureux récipiendaires de la médaille décernée par la chancellerie au titre de la fête du 1er décembre marquant la proclamation de la république. Effaré par l’agencement de scénarios dignes d’une série hollywoodienne, le citoyen lambda s’interroge :
Cette entrave au bon fonctionnement de la justice ne remet- elle pas en cause les fondements de notre démocratie ainsi que ceux de la constitution ?
Souvenons-nous que l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution ». Qu’est-ce qui peut motiver ou justifier légitimement cette entrave ?
Cette entrave ne porte t-elle pas atteinte à l’indépendance de la justice, l’autorité des institutions judiciaires et à l’état de droit ?
Quelle est l’image ou le message qu’on renvoie à la communauté internationale ?
Quelle serait la réaction des partenaires au développement ?
Quelle est la nature de sanctions que peut encourir la Centrafrique ?
Le principe de séparation de pouvoir n’est-il pas menacé ou affaibli ?
Contrairement au discours du président de la république consécutif à sa réélection, cette entrave représente t-elle la consécration et l’institutionnalisation de l’impunité ? Par ailleurs, le présumé criminel libéré va-t-il reprendre son poste au sein du gouvernement ?
En outre, en cas de fuite de ce dernier, le pouvoir de Bangui sera t-il apte pour endosser la responsabilité ?
Pour finir, cette arrestation à desseins et dans un « timing » choisi est-elle de nature à saboter volontairement le dialogue politique en vue ? En tout état de cause, la justice est le socle de la démocratie et de la confiance envers le peuple. En conséquence de ce qui précède, le pouvoir de Bangui n’a pas d’intérêt à l’affaiblir. Étant donné que le mandat d’arrêt est encore en vigueur, nous exhortons le pouvoir de créer les conditions de son retour en prison et de le mettre à disposition de la dite cour.
Cette analyse n’a vocation à accuser personne mais nous doutons fort bien que des opérations coordonnées de cette envergure ne soient exécutées sans l’accord exprès des autorités établies. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites surtout pas que moi.
Paris le 04 décembre 2021.
Bernard SELEMBY DOUDOU.
Juriste, Administrateur des élections.
Tel : 0666830062.