CENTRAFRIQUE : RUMEURS DE PRONUNCIAMIENTO
Bangui, le 19 juillet 2017.
Par : Joseph Akouissonne, CNC.
BANGUI-LA-RUMEUR
La capitale centrafricaine est devenue la Cité des rumeurs. « On dit que… », « on a entendu que… », « il paraîtrait que… » sont devenues les expressions les plus ouïes depuis quelque temps à Bangui.
Cette cacophonie a noyé les fracas du chaos, les gémissements d’un pays agonisant, les hurlements de douleur des populations que l’on tente d’anéantir. Qui sont les corbeaux, auteurs de ces rumeurs ? A qui profitent ces allégations de l’ombre ? Où veulent-elles aboutir ?
Les prochains jours confirmeront ou infirmeront les supputations. Ceux qui colportent ces rumeurs auront, n’en doutons pas, des comptes à rendre aux Centrafricains. Car elles agissent comme des virus, qui perturbent le fonctionnement de l’État et jettent le trouble dans l’esprit des citoyens. Certains médias centrafricains, qui les relaient sans une vérification rigoureuse de leurs sources, commettent une faute déontologique grave. Le rôle de la presse n’est-il pas d’éclairer le citoyen par des informations avérées et non fondées sur de simples rumeurs ?
RUMEUR 1 : FRANÇOIS BOZIZE
Bozizé, tapi quelque part dans les environs de Mobaye, est prêt à fondre avec ses mercenaires sur Bangui pour s’emparer du pouvoir. Comment a-t-il pu quitter Kampala en Ouganda et circuler librement pour s’introduire sur le territoire centrafricain ? N’est-il pas visé par un mandat d’arrêt des autorités centrafricaines et de l’ONU ?
On va jusqu’à avancer que ses hommes sont déjà infiltrés dans la capitale. Un commando de mercenaires congolais (venus de la RDC) aurait même été recruté et n’attendrait que le feu vert pour sauter sur Bangui.
Bozizé bénéficierait de complicités intérieures, au sein même du gouvernement et de l’entourage du Président de la République. A moins que Touadera en personne ne fasse aussi partie des taupes de l’ex-président…
Les conditions du retour à Bangui de Francis Bozizé, le fils de François Bozizé, restent à ce jour obscures. Il a même été, sur ordre de Touadera, réintégré dans le corps de l’armée centrafricaine, avec rang et grade, alors que lui aussi est concerné par un mandat d’arrêt de l’ONU.
D’où la question : à quoi servent ces mandats d’arrêt que lance l’ONU contre des criminels s’ils ne sont pas suivis d’effet ? En Centrafrique, nombreux sont les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui se pavanent en toute impunité, lestés d’un mandat d’arrêt de l’ONU et des juridictions centrafricaines. Au Soudan, le président Omar el-Béchir jouit d’une impunité insupportable et se balade un peu partout sans être inquiété.
Depuis le début de la mandature de Touadera, des hommes de main de Bozizé œuvrent dans l’ombre. On n’est pas loin de penser que Touadera est cerné par une meute de partisans de Bozizé. Rumeurs ou pas, attendons de voir si ces allégations vont être prouvées.
RUMEUR 2 : ABDOU KARIM MECKASSOUA
Abdou Karim Meckassoua, président de l’Assemblée nationale, passe, à Bangui, pour être l’homme des Français. Il est celui qui n’a pas hésité à acheter les voix de quelques députés corrompus pour accéder au perchoir. Celui qui, depuis le début du quinquennat de Touadera, n’a cessé de rêver de devenir Calife à la place du Calife.
Six mercenaires, arrêtés récemment à Bangui par la Section de Recherches et d’Investigations (SRI), ont déclaré qu’ils étaient des hommes de main, payés par Abdou Karim Meckassoua, pour une mission précise : provoquer un soulèvement populaire contre Touadera, sans hésiter à aller jusqu’à éliminer physiquement le président.
Meckassoua a toujours été un intrigant. Dans quel autre pays un président d’Assemblée Nationale, corrompu et corrupteur, pourrait-il continuer à occuper son siège sans être inquiété ? Certains, à Bangui, disent que c’est parce qu’il serait le protégé de la France. Il aurait, toujours d’après la rumeur, cherché à manipuler l’opinion en corrompant à coups de francs CFA, quelques journalistes chasseurs de primes…
Pour en finir avec ce chapitre, observons que la décision de la France d’envoyer le 21e régiment de Marsouins à Bangui, est tombée au moment même où le président de l’Assemblée nationale était à Paris. Y aurait-il un rapport avec les rumeurs de coup d’État qui circulent ? Le sort de Touadera serait-il déjà scellé ? Un pronunciamiento est-il envisageable ?
RUMEUR 3 : IDRISS DEBY ITNO
Le « Napoléon de N’Djamena » continue de tirer les ficelles du théâtre grand-guignolesque centrafricain, avec des manigances incessantes et des menaces répétées. Les rumeurs lui attribuent la préparation d’un coup de force, grâce à la complicité de certains Centrafricains égarés et de mercenaires tchadiens à sa botte. Souvenez-vous : il avait récemment convoqué Touadera à N’Djamena pour exercer sur lui des pressions inacceptables, lui enjoignant de nommer un de ses proches d’origine tchadienne au poste de Premier ministre, à la place de Simplice Sarandji qu’il déteste.
Tant qu’Idriss Deby Itno sera au pouvoir à N’Djamena, son désir irrépressible de contrôler les pouvoirs en Centrafrique risque de faire perdurer l’instabilité et le chaos dans ce pays. On peut donc, à juste titre, craindre que la « rumeur Deby » soit la plus plausible, étant donné l’acharnement du président tchadien à vouloir contrôler la République Centrafricaine.
RUMEUR 4 : DÉMISSION DE FAUSTIN-ARCHANGE TOUADERA ET DE SON GOUVERNEMENT ?
Ce sera, soit une démission collective du gouvernement, soit un simple remaniement technique. C’est au président de la République qu’incombe, selon la constitution, le droit de procéder à un remaniement technique et de changer de Premier ministre. Si non, le Parlement est en droit de voter une motion de censure contre le Gouvernement.
Toutes ces rumeurs perturbent le fonctionnement de l’État. Elles font état de processus qui accentuent la régression de la République Centrafricaine et compromettent le surgissement de la paix (SIRIRI) et de la réconciliation.
A Bangui, on dit que : « tout ce que colportent les rumeurs finit toujours par arriver ». Cette fois-ci, les quatre rumeurs citées évoquent des menaces qui peuvent, davantage encore, fragiliser le pays, pourtant déjà plongé dans un désordre récurrent. Et, comme on pouvait s’y attendre, il ne semble nullement question du peuple. On dirait qu’il a été zappé. Est-ce qu’il ne faudrait pas que le gouvernement sorte de sa torpeur et s’adresse directement à lui ? Si non, c’est lui qui, à bout de nerfs, se soulèvera pour barrer la route aux aventuriers de la politique.
Il ne s’agira plus de « rumeur ».
Ce sera, bel et bien, une réaction citoyenne.
Inspirons-nous, pour terminer, de la phrase finale du discours de Thomas Sankara à l’ONU pour affirmer : « La liberté ou la mort, les Centrafricains vaincront ! »
JOSEPH AKOUISSONNE
(17 juillet 2017)