CENTRAFRIQUE : LA NOUVELLE TENDANCE ÉLECTORALE AFRICAINE « DEUX TOURS DE SCRUTIN DANS LA CONSTITUTION MAIS UN SEUL TOUR DANS LES FAITS » EST-ELLE ENVISAGEABLE EN CENTRAFRIQUE ?

Monsieur Bernard Selembi Doudou, l'auteur de l'article. Photo de courtoisie.
Monsieur Bernard Selembi Doudou, l’auteur de l’article. Photo de courtoisie.

 

Bangui, République centrafricaine, samedi, 12 décembre 2020 (Corbeaunews-Centrafrique). Depuis la conférence de la Baule en 1990 en France qui a marqué une étape importante dans le processus de démocratisation de l’Afrique à travers le multipartisme, plusieurs constitutions africaines calquées sur le modèle de la cinquième république française ont institutionnalisé la dévolution du pouvoir par le suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux (2) tours.

 

C’est dans ce contexte qu’à l’instar des autres États africains, le constituant de la transition a prévu dans la constitution promulguée le 30 mars 2016 et plus particulièrement à son article 35 alinéa 1 les dispositions suivantes :

« le président de la république est élu au suffrage universel direct et au scrutin secret, majoritaire à deux (2) tours ».

Force est de constater avec amertume et désolation qu’au cours de cette dernière décennie, les élections présidentielles africaines telles qu’en Côte d’Ivoire, en Guinée Conakry, au Burkina Faso et récemment au Ghana sont marquées et estampillées par le slogan de « un (1) coup K.O» synonyme de gagner le scrutin au premier tour.

Ainsi, gagner les élections présidentielles au premier tour est devenu la règle et le second tour constitue l’exception, autrement dit « deux tours dans les textes mais un seul tour dans les faits ». Cette pratique machiavélique qui s’assimile à un passage en force, un old up électoral  car ne reflétant pas l’expression de la volonté souveraine du peuple et qui appartient à une autre époque conforte la thèse du défunt président gabonais et traditionnel médiateur dans les crises centrafricaines qui disait qu’on « organise pas les élections pour les perdre ».

Inquiété par les tensions préélectorales qui menacent la sérénité des élections groupées du 27 décembre 2020, le citoyen lambda s’interroge :

Le second tour du scrutin pourtant prévu par les textes est-il en voie de disparition dans les processus électoraux ? Le mode de scrutin est-il la nouvelle parade pour se maintenir au pouvoir ? Faut-il changer le mode de scrutin en Centrafrique ? Pourquoi les présidents candidats à leur propre succession évitent toujours les seconds tours de scrutin ? Le contexte et la configuration politique actuelle permettent-ils de gagner le scrutin au premier tour ? Les nombreuses irrégularités qui ont émaillé le processus électoral sont-elles faites à desseins pour faciliter le old up électoral au premier tour ? L’invalidation de la candidature du président du KNK était-elle stratégique pour assouvir cette préoccupation ou était-elle juridique ? Le code de bonne conduite électorale imposé par la délégation de haut niveau de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) s’inscrit-il dans cette logique de « premier tour K.O » Peut-on parler d’un code de bonne conduite électorale sans concertation de la classe politique centrafricaine et sans consensus ? Si tel est le cas, ce code de bonne conduite électorale ne constitue t-il pas une invasion paradoxale de notre loi électorale ? Peut-on déduire que la communauté internationale joue t-elle le jeu du pouvoir ?

Nous rappelons à titre d’information que l’article 30 du code de conduite électorale imposé par la CEEAC dispose que : « tous les candidats s’engagent à accepter les résultats définitifs tels que proclamés par la cour constitutionnelle et de féliciter le gagnant », tandis que la constitution centrafricaine autorise les candidats qui s’estiment léser de formuler un recours devant la cour constitutionnelle…paradoxe.

Face à cette mascarade en gestation, l’on se demande majestueusement de connaître le projet ou l’agenda caché de la CEEAC sachant que l’insécurité galopante gagne de terrain, le fichier électoral n’a pas fait l’objet d’audit alors que des étrangers et chefs de groupes armés se sont enrôlés, le processus électoral n’est pas inclusif avec une Autorité Nationale des Élections (ANE) totalement inféodée au pouvoir…

En conséquence de ce qui précède, et même si l’opposition désunie se présente en ordre dispersé, le bilan peu glorieux du quinquennat ne permet pas une victoire au premier tour du scrutin…hélas, cette élection de tous les dangers sera d’avantage bâclée que celle de 2016.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites surtout pas que c’est moi.

 

Paris le 11 décembre 2020.

Bernard SELEMBY DOUDOU.

Juriste, Administrateur des élections.

Tel : 0666830062.