CENTRAFRIQUE :DÉCRYPTAGE JURIDIQUE ET ANALYTIQUE DE LA NOUVELLE LOI RELATIVE AUX PARTIS POLITIQUES ET AU STATUT DE L’OPPOSITION.  

Publié le 29 février 2020 , 1:25
Mis à jour le: 29 février 2020 1:25 am
Monsieur Bernard Selembi Doudou, l’auteur de l’article. Photo de courtoisie.

 

Bangui (République centrafricaine ) – L’assemblée nationale centrafricaine a été convoquée par décret présidentiel en session extraordinaire pour statuer sur une série de projets de loi discutée en conseil des ministres. C’est lors des assises de cette première session extraordinaire que le projet de loi relative aux partis politiques et au statut de l’opposition a été adopté par acclamation après quelques aménagements techniques et cosmétiques. Cette loi marque une étape charnière, clé de l’assainissement, de déparasiter le paysage et la sphère politique. Désormais, une ligne budgétaire sera inscrite dans la loi des finances pour financer les activités des partis politiques.

 

Il faut noter que depuis les indépendances, la vie politique centrafricaine était règlementée par l’ordonnance n* 05-007 du 2 juin 2005 qui est la résultante des recommandations du dialogue national de Bangui de 2003 mais devenue depuis lors obsolète d’où la nécessité urgente de l’actualiser. Annoncée depuis l’accord de Khartoum du 6 février 2019 qui confirmait l’urgence à légiférer, la loi relative aux partis politiques et au statut de l’opposition a apporté des innovations sensibles parmi lesquelles la reconnaissance du statut de chef de file de l’opposition avec un budget conséquent, la fixation à 15% du taux nécessaire à l’obtention des subventions de l’Etat, l’obligation de tenir une comptabilité avec la possibilité de contrôle par un organe habilité de l’Etat et enfin l’obligation de récolter au moins 5% de suffrages aux législatives ou communales sous peine de dissolution automatique. Cette nouvelle loi marque une avancée politique, juridique et historique à mettre à l’actif du pouvoir qui sur cet aspect a réussi là où plusieurs ont échoué. Le survol de ces innovations laisse apparaître de façon insidieuse la volonté de réduire sensiblement la pléthore des partis politiques surtout de ceux qui ne représentent que leur propre ombre…aspect très discutable au regard de la constitution du 30 mars 2016. Créditée de beaucoup de lacunes, insuffisances et non-dits, le citoyen lambda s’interroge sur l’opportunité de cette loi à quelques mois des échéances électorales : Cette nouvelle loi relative aux partis politiques et au statut de l’opposition règle t-elle tous les problèmes liés à la vie politique ? Cette nouvelle loi est-elle le fruit de la volonté délibérée du pouvoir ou résulte t-elle encore de la pression de la communauté internationale ? Cette réforme qualifiée de salvatrice par les partis qui en tireront profit cache t-elle un agenda caché du pouvoir ? Cette loi n’est-elle pas une forme de mainmise de l’Etat sur les activités des partis politiques ? Cette loi formalise t-elle le principe de parité et surtout fixe t-elle le plafond des dons des personnes physiques et morales aux partis politiques ? Les partis politiques de l’opposition peuvent-ils toujours se coaliser en dehors des périodes électorales à l’instar du COD 2020 ? Pourquoi cette loi n’a pas clarifié la situation des candidats indépendants et surtout sanctionné le phénomène de transhumance politique ? Par ailleurs, quels sont les critères de désignation du chef de file de l’opposition ? Suffit-il d’être le perdant au second tour d’une présidentielle pour être chef de file de l’opposition ? Faut-il prendre en compte la taille du parti ou sa représentation à l’assemblée nationale ? A défaut de faire du juridisme, cette loi avec une barrière catégorielle qui conduit les petits partis qui ne récolteraient pas 5% à la dissolution heurte des sensibilités, et entre en contradiction avec la définition étymologique des partis politiques. Un parti politique est selon la définition de “La toupie” : un groupe de personnes qui partagent les mêmes intérêts, opinions, idées et qui s’associent dans une organisation ayant pour objectif de se faire élire, d’exercer le pouvoir…De cette définition, n’apparaît la taille ni le nombre de personnes pour exister en tant que parti politique. Cette disposition relative à la dissolution des partis politiques est également contraire à la constitution. En effet, l’article 14 alinéa 1 de la constitution dispose :”tous les citoyens ont le droit de constituer librement…des partis politiques conformément aux textes en vigueur”. Cet article de la loi fondamentale ne fait pas allusion à la pléthore, la taille ni la représentativité des partis politiques à l’assemblée nationale. Alors pourquoi les précipiter précocement à la dissolution ? Par contre, l’alinéa 2 du même article prohibe les objectifs des partis dès lors qu’ils sont contraires à l’ordre public. Ainsi, on ne peut pas revenir par des voies détournées, plus précisément se cacher derrière une loi pour dissoudre ou diminuer le nombre des partis politiques. En conséquence de ce qui précède, nous invitons humblement les petits partis politiques qui sont délibérément visés par cette loi de faire bloc et d’introduire un recours en annulation pour violation des dispositions constitutionnelles devant la noble cour constitutionnelle de notre pays. A défaut d’annulation l, il faut d’abord procéder à une révision constitutionnelle…mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

 

Paris le 28 février 2020.

Bernard SELEMBY DOUDOU.

Juriste, Administrateur des élections.

Tel : 0666830062.

 

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