Benzambé frappée par la crise : les commerçants appellent Bangui à l’aide

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.
À 40 kilomètres de Bossangoa, dans la commune de Benzambé, le marché hebdomadaire du lundi bat son plein, mais derrière l’agitation apparente se cache une vérité bien moins reluisante que celle proclamée par le gouvernement centrafricain depuis Bangui. Là où les officiels vantent une stabilité retrouvée et une économie en marche, les commerçants, eux, peinent à joindre les deux bouts, écrasés par l’insécurité, la pauvreté et des conditions de travail indignes. Rencontre avec ces voix du terrain qui contredisent les beaux discours.
Nelly : une lutte quotidienne pour 500 francs CFA
Assise sur un tabouret, un chasse-mouches à la main, Nelly fixe son étalage de courges, d’arachides et de sésame. À la fin de la journée, cette commerçante épuisée n’espère pas plus de 500 francs CFA (environ 0,76 euro) de chiffre d’affaires.
« Je vends de l’arachide, du sésame, de la courge, les pâtes d’arachide et de sésame, de l’huile », raconte-t-elle d’une voix lasse. « Les choses ne marchent pas. Il nous arrive parfois de rentrer avec une recette de 250 francs CFA ou 500 francs. » Dans un pays où le coût de la vie, même modeste, dépasse largement ces montants, ces chiffres traduisent une misère incroyable.
Nelly ne se contente pas de déplorer ses faibles ventes. Elle pointe du doigt des conditions de travail déplorables : ses marchandises, exposées à l’air libre, subissent la poussière, le soleil brûlant et parfois la pluie.
« Je demande à ce qu’on construise le marché », plaide-t-elle. « En vendant à l’air libre, nos marchandises sont exposées à la poussière, ce qui expose aussi nos clients au risque de maladies. Il faut nous construire le marché pour nous permettre d’être à l’abri». Une demande simple, pragmatique, mais qui semble encore loin d’être entendue.
Ezaïe Lakato : braver l’insécurité pour survivre
À quelques pas de l’étal de Nelly, Ezaïe Lakato, boucher de son état, attend des clients qui se font rares. Sans ressources suffisantes pour acheter du bétail en grande quantité, il doit parcourir des villages éloignés pour s’approvisionner, une tâche rendue périlleuse par l’insécurité qui gangrène la région – et, selon lui, l’ensemble de la République centrafricaine (RCA). « Ici, nous avons trop de problèmes », confie-t-il. « Il y a le problème après les crises là. Nous sommes vraiment pauvres. On n’a pas assez de ressources pour acheter du bétail en grande quantité pour venir ravitailler la population. Dans la zone, il y a l’insécurité, c’est tout comme dans toute la RCA ».
Ses mots tranchent avec les déclarations optimistes du gouvernement, qui assure que la situation sécuritaire s’améliore et que l’économie repart. À Benzambé, l’insécurité n’est pas un souvenir lointain, mais une réalité quotidienne.
« Nous sommes les enfants de Dieu et nous sommes obligés de braver cette insécurité pour aller acheter du bétail », ajoute Ezaïe. On est obligés de l’acheter. » Une résignation qui illustre le courage, mais aussi l’absence de choix pour ces commerçants laissés à eux-mêmes.
Un décalage avec les discours officiels
À Bangui, le gouvernement répète à l’envi que « tout est bon, tout fonctionne bien ». Les communiqués officiels vantent une paix retrouvée après des années de conflits armés et une relance économique portée par des investissements étrangers et des partenariats internationaux. Mais à Benzambé, ces promesses sonnent creux. L’insécurité, loin d’être éradiquée, paralyse les échanges commerciaux et expose les habitants à des risques constants. L’économie locale, elle, stagne : les clients, majoritairement issus de la commune ou de localités voisines comme Kamba-Kota et Boahi, n’ont pas les moyens d’acheter davantage, et les infrastructures nécessaires pour dynamiser le commerce font cruellement défaut.
Le maire de Benzambé, Daniel Konoheroi, reconnaît la légitimité des plaintes des commerçants, particulièrement des femmes qui portent une grande partie de l’activité marchande. « Les femmes, elles ont tout à fait raison », affirme-t-il.
« Vraiment, la population de Benzambé a augmenté ces derniers temps. Notre marché est occupé. Si on arrivait à trouver des partenaires, je serais prêt à leur affrontir un terrain». Une volonté affichée, mais qui se heurte à un obstacle majeur : le manque de fonds et de soutien concret. Sans partenaires financiers ou une intervention directe de l’État, le projet de reconstruction du marché reste un vœu pieux.
Une économie locale au bord de l’asphyxie
Le marché de Benzambé, qui s’anime chaque lundi, est un poumon économique pour la commune. Pourtant, il étouffe sous le poids des défis structurels. Les marchandises invendues s’abîment faute d’abri, les revenus stagnent, et l’insécurité freine l’approvisionnement. Pour Nelly, Ezaïe et des dizaines d’autres commerçants, la situation est intenable. « Sa reconstruction accroîtrait les activités économiques de la commune », insiste la population locale, une évidence que personne ne conteste sur place. Mais entre cette aspiration et sa réalisation, l’écart semble abyssal.
La vérité du terrain face aux illusions de Bangui
Le contraste entre la réalité de Benzambé et le récit officiel du gouvernement est saisissant. Là où Bangui parle de progrès, les commerçants décrivent un pays encore englué dans les séquelles des crises passées. L’insécurité, omniprésente selon Ezaïe, n’est pas un problème isolé à Benzambé, mais un fléau national qui contredit les affirmations d’une stabilisation générale. Quant à l’économie, elle ne « fonctionne bien » que dans les discours : sur le terrain, elle est à l’image des étals de Nelly, fragile et exposée aux éléments.
Ce cri du cœur des commerçants de Benzambé n’est pas qu’une plainte locale. Il dévoile une fracture béante entre la capitale et les zones rurales, entre les promesses d’un gouvernement déconnecté et la survie d’une population oubliée. La construction d’un marché couvert, aussi modeste soit-elle comme ambition, pourrait être un premier pas. Mais pour cela, il faudrait que Bangui cesse de respirer l’air optimiste de ses bureaux climatisés et écoute enfin les voix de ceux qui, comme Nelly et Ezaïe, tiennent debout malgré tout.