La délivrance des passeports en Centrafrique : anatomie d’un système corrompu
À Bangui, capitale de la République centrafricaine, l’obtention d’un passeport s’apparente à un parcours du combattant, jalonné d’obstacles et de demandes illégales. Une enquête approfondie menée par la rédaction du CNC révèle l’ampleur d’un système mafieux qui gangrène l’administration centrafricaine depuis des années.
Bangui, 06 août 2024.
Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique.
Le début du calvaire : le dépôt du dossier.
Dès leur arrivée au service de l’immigration, les demandeurs de passeport font face à une foule impressionnante postée devant le secrétariat du service des passeports. Au même moment, le Directeur général adjoint de la police en charge de l’Immigration s’apprête lui aussi à recevoir plusieurs dizaines d’autres demandeurs dans son bureau.
“Quand on arrive dans son bureau, il ne fait que réceptionner et il y a une foule incroyable qui est devant son bureau pour attendre”, rapporte un témoin.
Ce haut fonctionnaire, dont le rôle exact reste flou, semble plus occupé à organiser sa propre mafia par un ballet d’entrées et sorties qu’à traiter efficacement les dossiers. Les citoyens, y compris ceux venus de l’étranger, sont contraints de lui remettre des billets de banque pour espérer voir leur demande prise en compte.
Passeports en Centrafrique : la corruption, étape par étape.
- Enregistrement du dossier : Après avoir déposé leur demande et éventuellement versé des pots-de-vin, les demandeurs voient leur dossier dirigé vers le service des émetteurs de passeports.
- Prise de photo et empreintes : À cette étape, les demandeurs sont à nouveau confrontés à la corruption. Des agents exigent des paiements supplémentaires pour “accélérer” le processus.
- Confection du passeport : Le processus de fabrication est lui aussi entaché de corruption, avec des agents réclamant des sommes pour prétendument accélérer la procédure.
- Signature ministérielle : Une fois confectionnés, les passeports sont renvoyés à la direction de l’immigration pour la signature du ministre. À ce stade, de nouveaux actes de corruption sont signalés. Des agents demandent des paiements pour “retrouver” les dossiers ou les “prioriser” pour la signature.
- Disparitions inexpliquées : Fait alarmant, certains passeports sont parfois abandonnés sur place et disparaissent mystérieusement, obligeant les citoyens à recommencer l’ensemble du processus et à débourser de nouvelles sommes.
Le passeports en Centrafrique : le cœur du problème, le Directeur de l’Immigration.
Au centre de ce système se trouve le Directeur général adjoint de la police en charge de l’Immigration, M. Nguimalé, en poste depuis près d’une décennie. Son bureau est décrit par les demandeurs comme “le cœur de la mafia du passeport en Centrafrique”.
Le parcours surréaliste du dossier.
Une fois le passeport confectionné, le calvaire est loin d’être terminé. Les passeports sont envoyés au ministère de la sécurité publique et restent entasser au secrétariat du ministre dans des cartons, attendant d’être soumis à la signature.
“Au secrétariat du ministre, c’est entaché dans un placard, dans un carton, plein de cartons, remplis de passeports”, révèle notre source.
Les citoyens sont alors contraints de payer à nouveau pour que leur dossier soit extrait de cette masse et présenté à la signature du ministre.
Un coût exorbitant.
Pour un passeport officiellement tarifé à 50 000 francs CFA, les Centrafricains se retrouvent à débourser des sommes bien supérieures.
“Pour un passeport qui coûte 50 000 francs, tu peux sortir en gros entre 5 000 et encore au niveau de la photo, de la confection du passeport ici”, témoigne un citoyen exaspéré.
L’inertie du pouvoir.
Cette situation perdure depuis des années, sans qu’aucune réforme ne soit entreprise. Le maintien en poste du Directeur de l’Immigration depuis une décennie illustre l’immobilisme du gouvernement de Faustin Archange Touadera, alias “Baba Kongoboro”, en matière de lutte contre la corruption.
“Chez nous, on ne change jamais de personne. Et plus grave, avec Touadera, c’est plus pire. Si on te nomme là, on te nomme déjà. Si tu es là, c’est pour ta vie”, déplore un observateur politique.
Alors que les citoyens centrafricains et la diaspora subissent quotidiennement les conséquences de ce système corrompu, l’urgence d’une réforme profonde du processus de délivrance des passeports se fait de plus en plus pressante. Sans une action déterminée des autorités, ce scandale risque de continuer à entacher la réputation de la République centrafricaine, pays de Zo Kwé Zo, et à miner la confiance des citoyens envers leurs institutions.
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