Aminu Magami, chauffeur de taxi collectif dans le nord-ouest du Nigeria, a presque senti son coeur s’arrêter de battre lorsqu’une vingtaine d’hommes armés ont encerclé sa voiture, par une nuit de février, en tirant en l’air. Il savait qu’ils étaient là pour le kidnapper.
Au Nigeria, les enlèvements contre rançon sont nés au début des années 2000 dans l’Etat de Rivers, le sud-est pétrolier, et visaient dans un premier temps les travailleurs expatriés, puis les Nigérians aisés.
Mais depuis la récession économique de 2016 et la détérioration de la sécurité, cette pratique criminelle touche désormais les pauvres comme les riches. Elle s’est propagée à travers tout le pays, particulièrement dans le nord, dans les Etats de Zamfara et de Kaduna.
Aminu et ses passagers -dont deux femmes, trois enfants, dont un nourrisson d’un mois- se sont fait kidnapper en plein jour, et en plein milieu de Gusau, la capitale du Zamfara.
“L’un d’eux s’est mis à courir en direction de ma voiture”, se souvient Aminu. “Ils bloquaient la route, alors j’ai levé mes mains en l’air et je les ai suppliés de nous laisser partir”.
Ils ont été emmenés, enchaînés et gardés captifs dans un camp caché dans une forêt devenue le repaire de dizaines de groupes criminels et de milices.
Là-bas, Aminu a été torturé par ses ravisseurs, dont certains n’avaient même pas 18 ans, raconte-t-il à l’AFP. Ils tendaient le téléphone pendant qu’Aminu hurlait de douleur pour que ses proches récoltent l’argent de la rançon plus rapidement.
– 7 kidnappings par jour –
Dans les Etats de Zamfara et de Kaduna, à plus de 1.000 kilomètres au nord de Rivers, la situation est telle que certaines routes sont quasiment impraticables ou extrêmement dangereuses comme l’autoroute entre la capitale fédérale d’Abuja et la grande ville de Kaduna.
Les statistiques au niveau national sont inquiétantes: Mohammed Adamun, l’un des plus hauts gradés de la police nigériane a dit avoir recensé 685 enlèvements entre janvier et mars, soit en moyenne sept par jour. Et la majorité d’entre eux ne sont pas rapportés aux forces de sécurité.
“Le manque de statistiques fiables dans le pays continue à voiler ce phénomène criminel”, note Nnamdi Obasi, expert en sécurité pour le centre d’analyses géopolitiques International Crisis Group.
“Mais des indicateurs multiples comme les bulletins d’alerte, les articles de journaux, les témoignages de victimes,… tout nous montre une hausse alarmante”, poursuit ce chercheur nigérian.
D’autre part, les ravisseurs paraissent plus organisés qu’auparavant, opérant dans des groupes plus larges, et avec une meilleure logistique, souligne ce spécialiste.
Le président Muhammadu Buhari est arrivé au pouvoir en 2015 sur la promesse d’éradiquer le groupe jihadiste Boko Haram, qui ravage le nord-est du pays depuis 2009.
Même si des efforts ont été faits et que le groupe ne contrôle plus un territoire aussi grand que la Belgique, comme à son apogée en 2014-2015, les attaques continuelles contre des villages ou des bases militaires obligent les forces armées à un déploiement important.
Du coup, le personnel de sécurité professionnel est largement insuffisant à travers le pays, notamment dans les zones rurales, quasiment livrées à elles-mêmes.
– Bandits et groupes mafieux –
Les groupes de “bandits”, tels qu’ils sont désignés dans le nord-ouest, terrorisent les campagnes, pillant les villages, dérobant le bétail, détruisant les maisons et se livrant aux kidnappings, parfois de masse, pour des raisons purement lucratives et sans aucune idéologie.
Les communautés, pour pallier le manque de sécurité, s’organisent en milices civiles armées et financées par les gouvernements locaux mais indépendantes et difficiles à contrôler. Leur multiplication (près de 10.000 hommes dans le seul Etat de Zamfara) a encouragé la prolifération des bandes armées et du trafic d’armes dans le pays.
“Le nord-ouest est devenu un refuge pour les insurgés et les bandits”, dénonce Sambo Jinaidu, un ministre du sultan de Sokoto, l’une des plus grandes figures traditionnelles du nord du Nigeria. “Ce sont comme des caméléons”, assure-t-il, “ils se fondent de conflit en conflit”.
Comme dans le sud pétrolier, ces groupes mafieux sont souvent en lien avec “des personnalités importantes de la région, des politiciens” qui tirent profit des activités et des trafics criminels, souligne M. Jinaidu.
Aminu Magami, lui, a pu retrouver sa famille, après un mois de détention, pendant lequel, assure-t-il, elle n’a reçu aucune aide des forces de l’ordre pour l’aider dans les négociations avec les ravisseurs.
Ses proches, en organisant une large collecte au sein de la communauté, sont parvenus à rassembler les 450.000 nairas, un peu plus de 1.000 euros, réclamés en rançon.
“Les chaînes m’ont endommagé les poignets, je ne peux même plus enfiler un pantalon”, confie-t-il. “Alors travailler… ce n’est même pas la peine d’y penser. Mais au moins, je suis heureux d’être en vie.”
Avec AFP