CENTRAFRIQUE : LE PRÉSIDENT TOUADERA EST–IL SOUS L’INFLUENCE DES PUISSANCES ETRANGERES ?
Bangui, 21 juillet 2018 (CNC) –
RUSSES ET OCCIDENTAUX EXPORTENT-ILS LEUR GUERRE FROIDE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ?
Le président Faustin-Archange Touadera tient-il encore la réalité du pouvoir en Centrafrique ? Est-il libre d’initier, en toute souveraineté, ses actions de chef de l’État ? On est en droit de se poser la question, au vu des derniers événements concernant les pourparlers de paix de Khartoum. Car ils éclairent d’une lumière crue la guerre froide est-ouest, ressuscitée en Centrafrique.
Dès le retour des Russes en RCA, nous n’avons cessé de mettre en garde, ici même, les responsables contre les disputes des puissances étrangères, qui risquaient de prendre les Centrafricains en otages. Nous y sommes ! Ces derniers jours, le président Touadera a décidé, sous l’influence des Russes, de rencontrer directement les rebelles pour des pourparlers de paix à Khartoum, tournant ainsi ostensiblement le dos à l’initiative de médiation de l’Union Africaine soutenue par la France et le Tchad.
Ce changement de cap, œuvre de la pression des Russes, ne pouvait manquer de déplaire aux présidents français et tchadien. Emmanuel Macron et Idriss Déby, l’homme des Français en Afrique centrale, se sont donc entendus pour contraindre Touadera d’abandonner la médiation russe des pourparlers de Khartoum !
Il fallait justifier cette reculade : le porte-parole de la Présidence, Yaloké Makpome, a donc déclaré à l’AFP : « Le chef de l’Etat estime qu’il n’y a pas lieu d’engager d’autre processus que celui de l’Union Africaine qui est toujours en cours. »
Les pressions franco-tchadiennes se sont exercées aussi sur deux des groupes armés de l’ex-Séléka : le Mouvement Patriotique pour la Centrafrique (MPC) et l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPG), de façon à ce qu’ils renoncent à se rendre Khartoum.
LA FRANÇAFRIQUE GIGOTE TOUJOURS
Ceux qui pensent que la France perd pied en Centrafrique se trompent lourdement. Ce n’est pas parce que les Russes s’agitent beaucoup en RCA qu’elle abandonne son pré carré. Ce n’est pas demain que sa domination sur le pays des Bantous sera rayée d’un trait de crayon.
En fait, c’est bien elle qui tire les ficelles dans l’ombre, par l’intermédiaire de son homme de main dans la sous-région, Idriss Déby Itno. Elle luttera avec acharnement, par tous les moyens, contre les intrigues des Russes en Centrafrique. Plus nous avancerons dans le temps, plus la guerre froide sera âpre – et plus les Centrafricains en subiront les conséquences. Le dicton africain l’exprime bien : « Quand deux éléphants se battent, ce sont les herbes qui subissent les dégâts collatéraux. »
LE POUVOIR EST SOUS LA COUPE DES PUISSANCES ETRANGERES
Les tergiversations du gouvernement centrafricain témoignent à souhait de l’impuissance des autorités. Impuissance à faire face aux périls et à résister à l’emprise des prédateurs étrangers. Ces pressions sur un État souverain sont inacceptables et insupportables. Les reculs du président Touadera ne cessent de porter préjudice à son autorité légitime.
On le sait, les malheurs de la Centrafrique proviennent des immenses richesses de son sous-sol. Car la pauvreté du pays n’est pas due au hasard. Elle est provoquée par les méfaits d’ogres étrangers, avides de matières premières, prêts à tout pour faire main basse sur la Centrafrique. Les coups d’états à répétition, les affrontements fratricides, les impunités, les injustices sociales ont transformé le territoire en un pays de cocagne, devenu une proie facile pour tous les rapaces aventuriers. Tant qu’une autorité patriote ne dira pas non avec une extrême détermination aux influences étrangères, tant que les élites se laisseront corrompre et abuser par la pègre internationale, l’avenir du pays restera terrifiant.
Les autorités actuelles ne disposent pas des moyens politiques et militaires suffisants pour s’imposer. Elles sont donc condamnées à partager le pouvoir, allant même jusqu’à accorder une impunité indigne aux chefs rebelles lestés d’un mandat d’arrêt et d’une restriction de mouvement par l’ONU, à cause des crimes de guerre abominables qu’ils ont commis en Centrafrique.
Ce ne sont pas la Russie et la France qui détiennent les clés de la paix en Centrafrique. Les deux puissances ont des intérêts éloignés de ceux des Centrafricains. Elles exercent une domination impérialiste et ne se préoccupent que de piller les matières premières. Le Centrafricain, lui, ne cherche que la paix, la stabilité et le développement de son pays.
Mais on peut s’interroger sur la suite des événements. Les Russes et les Français ne vont-ils pas finalement s’entendre dans l’ombre pour le partage du gâteau ? Emmanuel Macron vient de rencontrer Vladimir Poutine pendant le Mondial de foot à Moscou. Ils n’ont sûrement pas parlé uniquement de ballon rond. On peut parier que la Centrafrique a dû être aussi au menu de leur rencontre – ces palabres franco-russes se tenant, évidemment, en dehors de la présence de représentants de l’autorité centrafricaine.
Le peuple centrafricain ne risque-t-il pas, désormais, d’être obligé de côtoyer ses bourreaux en liberté dans Bangui ? La partition du pays semble être actée par les puissances impliquées en Centrafrique. N’Délé serait le premier sultanat autonome du pays ! Un reportage de France 24 dans cette ville du nord-est de la Centrafrique montre un État dans l’État, administré par le chef rebelle, Abdoulaye Hissène, et ses hommes. L’ancien bras droit de Michel Djotodia se pavane dans la ville, pour montrer aux journalistes la gendarmerie qu’il a créée. Il dit qu’il ne réclame pas une partition, il veut juste plus d’autonomie et de reconnaissance pour gérer le territoire qu’il administre. A N’Délé, il n’y a plus trace du pouvoir central. Le sous-préfet, désœuvré, obéit aux ordres des nouveaux maîtres sans broncher.
Autonomie ou partition, la dislocation de la République centrafricaine est désormais en marche. Les puissances étrangères et l’ONU semblent vouloir séparer les deux communautés chrétienne et musulmane, seule solution, pensent-elles, pour ramener la paix. En tout cas, c’est ce qui se trame dans l’ombre des chancelleries.
Mais, autonomie ou partition, les Centrafricains ont aussi leur mot à dire. Il est impossible de penser qu’ils laisseront leur pays se faire dépecer sans réagir.
Par : JOSEPH AKOUISSONNE DE KITIKI
(20 juillet 2018)