Texte par: AFP/VOA
Publié par: Corbeaunews Centrafrique
Des civils gisant dans la rue, des corps carbonisés, des viols, des fosses communes et des morts trop nombreux pour être comptés. Deux carnages similaires commis ces dernières semaines à plus de 4.600 kilomètres d’écart, en Afrique et en Europe, et sur lesquels plane un seul et même nom: Wagner.
Entre le 27 et le 31 mars, à Moura, au centre du Mali, lors d’une expédition punitive sous couvert de chasse aux djihadistes, au moins 300 personnes ont été massacrées par les forces armées maliennes –déjà coupables de nombreuses exactions quand elles coopéraient encore avec l’armée française– et des hommes appartenant selon toute vraisemblance à la compagnie militaire privée russe Wagner, déployée dans le pays depuis l’année dernière.
Au même moment, l’Europe découvrait horrifiée la mort laissée derrière elle par l’armée russe à Boutcha, et ailleurs autours de Kiev, en Ukraine. Au moins 320 personnes ont été tuées et torturées, d’après le maire de la ville. Selon le magazine Der Spiegel, les services de renseignement allemands ont intercepté des communications radios établissant l’implication des soldats russes.
Selon ces renseignements, le Groupe Wagner aurait pris une «part déterminante dans les atrocités commises». Le ministère britannique de la Défense avait affirmé le 28 mars qu’un millier de combattants de ce groupe de mercenaires allaient être déployés en Ukraine. Et fin février, le Times révélait que 400 d’entre eux auraient été envoyés à Kiev pour assassiner le président Volodomyr Zelensky.
Moura et Boutcha viennent s’ajouter à une liste déjà longue de sauvageries commises par cette armée de mercenaires –dont l’existence est techniquement illégale en Russie– qui réalise officieusement les basses oeuvres du Kremlin en Libye, en République centrafricaine ou en Syrie, depuis maintenant huit ans.
Le Groupe Wagner est justement né en Ukraine, en 2014, au moment du conflit dans le Donbass. Wagner est accusé d’y avoir assassiné des leaders séparatistes qui prenaient trop leurs distances avec les services russes. Il a été fondé par un certain Dmitri Outkine, un ancien officier des forces spéciales russes, bardé de tatouages nazis et fervent admirateur du Troisième Reich, décoré en personne par Vladimir Poutine en 2016. Mais c’est l’oligarque Evgueni Prigojine, le «cuisinier de Poutine», qui serait en réalité le gérant de l’organisation.
Viols, graffitis nazis et décapitation
Avec au moins 10.000 hommes passés dans ses rangs d’après la BBC, cette armée fantôme a été envoyée sur tous les théâtres d’opérations investis par la Russie ces dernières années. Les mercenaires ont notamment joué un rôle crucial en Syrie, où l’armée russe est intervenue en 2015 pour voler au secours du dictateur Bachar el-Assad. C’est là, au cœur d’un conflit qui a tué près d’un demi-million de personnes, que Wagner a révélé son vrai visage.
En 2017, une vidéo apparaît sur les réseaux sociaux russes. On y voit plusieurs combattants frapper un civil syrien à l’aide d’une masse. Sur d’autres extraits découverts en 2019, on voit les mêmes hommes le démembrer avec une pelle, le décapiter, et attacher son corps par les pieds pour y mettre le feu. Ce sont les combattants eux-mêmes qui filment la scène en échangeant des blagues en russe sur la partie de football qu’ils s’apprêtent à faire avec la tête de leur victime. Le journal indépendant russe Novaya Gazeta identifie l’un d’entre eux, qui apparaît à visage découvert: une recrue de Wagner.
Le groupe s’est déployé sur bien d’autres fronts, notamment en Libye à partir d’avril 2019, où il part à l’assaut du gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli aux côtés des forces du maréchal Haftar, alors également soutenu par la France. En 2020, les mercenaires mis en déroute, les soldats du GNA trouvent sur le passage des mercenaires des mines et des «booby traps», des pièges explosifs, parfois placés sur des peluches et des jouets.
Depuis 2017, la présence des mercenaires en Afrique n’a fait que s’agrandir.
Des graffitis nazis, islamophobes et racistes et des «white power» sont également découverts sur les murs d’une mosquée brûlée à Ain Zara. Des hommes du GNA capturés pendant les combats parlent d’exécutions sommaires commises par des hommes parlant russe. «Personne ne veut d’une bouche de plus à nourrir», confirmait un ex-mercenaire à la BBC, en 2021.
La violence de Wagner se propage dans le reste du continent africain. L’an passé, un rapport des Nations unies livrait un constat accablant sur les méthodes des mercenaires russes en République centrafricaine (RCA), où la Russie est venue dès 2019 combler le vide laissé par l’armée française. Le rapport parle d’exécutions de civils, de pillages, et de l’attaque d’une mosquée. Il dénonce «des détentions arbitraires, des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions sommaires» et ajoute que «des membres du Groupe Wagner auraient commis des viols et des violences sexuelles à l’encontre de femmes, d’hommes et de jeunes filles dans de nombreuses régions du pays».
Impunité totale
Des remontrances qui n’arrêtent pas les combattants du groupe, d’autant que le groupe d’experts de l’ONU pour la RCA est à l’arrêt depuis août 2021, le renouvellement de ses membres ayant été bloqué… par la Russie. En janvier dernier, lors d’une opération conjointe des mercenaires de Wagner et des forces gouvernementales contre les groupes rebelles, des dizaines de civils auraient été tués à Bria, à 600 kilomètres à l’est de la capitale, Bangui.
Depuis 2017, la présence des mercenaires en Afrique n’a fait que s’agrandir. Ils ont ainsi été aperçus au Soudan, au Mozambique, et pourraient bientôt faire leur apparition au Burkina Faso. Nombre d’entre eux auraient été rappelés ces dernières semaines pour participer à l’invasion de l’Ukraine, où les preuves des crimes commis par les forces russes s’empilent à un rythme frénétique.
Depuis huit ans, leur impunité est quasi totale. En 2019, trois journalistes russes indépendants qui enquêtaient sur les activités de Wagner ont été assassinés dans une embuscade qui porte la marque des mercenaires. En mars 2021, le Centre syrien des médias et de la liberté d’expression (SCM), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l’ONG russe de défense des droits humains Memorial ont déposé plainte en Russie pour le meurtre du Syrien torturé et décapité. Memorial a été dissoute par le Kremlin en janvier. Et, sans surprise, son action en justice contre Wagner a été mise au placard dès le mois suivant.
En Libye, un mandat d’arrêt a été émis en août 2021 contre Saïf al-Islam Kadhafi, fils du feu dictateur Mouammar Kadhafi, pour ses liens avec Wagner et le Kremlin. Il est déjà recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Ce qui ne l’a pas empêché de pouvoir se présenter à l’élection libyenne quelques mois plus tard, même si celle-ci fut finalement annulée.
Plusieurs individus liés à Wagner, à commencer par Evgueni Prigojine lui-même, sont la cible de sanctions américaines, britanniques et européennes. Les mercenaires semblent pourtant toujours en capacité de se déployer aux portes de l’Europe et d’y commettre un carnage. Rien ne semble donc pouvoir arrêter Wagner. Ou presque. En 2018, l’aviation américaine avait tué près d’une centaine de combattants du groupe alors qu’ils attaquaient une zone contrôlée par les forces kurdes, en Syrie. Le Kremlin, qui refuse d’admettre l’existence même de ces mercenaires, avait été pris à son propre piège et s’était abstenu de toutes représailles.