Une foule déterminée de Soudanais continue mercredi, pour la 5e journée consécutive, de défier le régime de Béchir devant le QG de l’armée, dont les intentions, tout comme celles de la police, restent incertaines dans le rapport de force entre pouvoir et manifestants.
Signe que le président Omar el-Béchir n’est pas prêt à céder à la pression de la rue, le parti du Congrès national (NCP) au pouvoir a appelé l’ensemble de ses membres à un rassemblement de soutien au chef de l’Etat jeudi à Khartoum.
Réunis dans la capitale devant le QG de l’armée depuis samedi, des milliers de Soudanais demandent eux inlassablement la démission du président au pouvoir depuis trois décennies.
Depuis samedi, les contestataires ont essuyé à plusieurs reprises les assauts du puissant service de renseignement NISS, qui a tenté en vain de les disperser à coups de gaz lacrymogènes, selon les organisateurs des manifestations.
Mardi, 11 personnes dont six membres des forces de sécurité ont été tuées lors de manifestations à Khartoum, a rapporté mercredi le porte-parole du gouvernement Hassan Ismail, sans préciser les circonstances de leur mort, selon l’agence officielle Suna.
Des témoins ont cependant fait état d’une nuit calme, et aucune tentative de dispersion n’a été rapportée pour la journée de mercredi.
– « Protéger les citoyens » –
Agitant des drapeaux nationaux et entonnant des chansons révolutionnaires, les contestataires ont appelé l’armée à rejoindre leur mouvement de contestation, né en décembre mais qui a connu un net regain de mobilisation samedi.
Devant le QG de l’armée, la nuit de mardi à mercredi a été la première passée sans « menace » de la part des forces de sécurité, a souligné un protestataire sous couvert de l’anonymat.
« Il semble que la police soit avec nous aussi », a estimé un manifestant. « Lorsque nous sommes venus la nuit dernière près du bâtiment de l’armée, nous avons vu de nombreux policiers mais ils ne nous ont pas arrêtés. »
Mardi, la police avait annoncé avoir ordonné à ses forces de ne pas intervenir contre les contestataires. Elle a aussi dit vouloir l’union du « peuple soudanais (…) pour un accord qui soutiendrait un transfert pacifique du pouvoir ».
Concernant les militaires, leurs intentions restent pour l’instant inconnues. Dans un communiqué publié lundi, le général Kamal Abdelmarouf, chef d’état-major de l’armée, a précisé que celle-ci continuait « d’obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens ».
Mercredi, les organisateurs de la contestation ont indiqué avoir reçu « plusieurs membres et des dirigeants » du groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide qui souhaitent rejoindre le mouvement.
Ce groupe est officiellement sous le contrôle de l’armée mais il est surtout composé de milices arabes qui ont combattu aux côtés des forces gouvernementales au Darfour (ouest), au cours des premières années d’un conflit ayant fait plus de 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés selon l’ONU.
« Les portes de la révolution sont ouvertes à ceux qui souhaitent être du côté de la paix et de la justice », a indiqué le groupe.
Le nouveau bilan communiqué mercredi par le porte-parole du gouvernement porte à 43 le nombre de personnes tuées depuis le début du mouvement en décembre, selon les autorités. Des ONG l’estiment plus élevé, et avaient évoqué 51 manifestants tués avant le regain de la mobilisation samedi.
Selon Sadek al-Mahdi, à la tête du principal parti d’opposition, des hommes armés portant des masques ont tué 20 personnes depuis le regain de manifestations samedi.
Mercredi matin, les manifestants cherchaient à réunir des fonds pour assurer eau et nourriture à la foule restée devant le QG de l’armée, la température dépassant les 40 degrés à l’ombre en journée dans la capitale soudanaise.
– « Révolution » –
Selon une manifestante devenue célèbre sur les réseaux sociaux après la large diffusion d’une vidéo d’elle en train de chanter parmi la foule, les Soudanaises jouent un rôle essentiel dans la mobilisation actuelle.
« Les femmes soudanaises ont toujours participé aux révolutions dans ce pays », a affirmé à l’AFP Alaa Salah. « Je suis très fière de participer à cette révolution et j’espère que nous atteindrons notre but ».
L’étincelle de départ de la contestation a été la décision du gouvernement de tripler du prix du pain le 19 décembre.
A travers le pays, des milliers de Soudanais ont appelé au départ de M. Béchir, 75 ans et au pouvoir depuis près de 30 ans.
Refusant de démissionner, le président a tenté de réprimer la contestation par la force, puis a instauré le 22 février l’état d’urgence –et son cortège de mesures d’exception– à l’échelle nationale.
Le Soudan, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, est confronté à une inflation de près de 70% par an et fait face à un grave déficit en devises étrangères.
Mardi, des capitales occidentales ont appelé les autorités à répondre aux revendications « d’une façon sérieuse ».
Le pouvoir doit proposer « un plan de transition politique crédible », ont écrit les ambassades des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège dans un communiqué conjoint à Khartoum.
Avec AFP