RDC: Des adieux en trompe-l’oeil pour Kabila avant la présidentielle
KINSHASA (RDC) – Un mois avant la fin programmée de son mandat présidentiel, le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila a reçu une foule de correspondants de la presse étrangère pour de rares interviews.
Si tout laissait alors penser que celui qui a dirigé la RDC près de 18 ans se livrerait à l’exercice des adieux, la teneur de son discours fut différente et il a rapidement laissé entendre qu’il n’excluait pas de se présenter à nouveau devant les électeurs en 2023, lorsque sa candidature ne sera plus entravée par les règles constitutionnelles qui interdisent de cumuler plus de deux mandats consécutifs.
Joseph Kabila, qui a 47 ans, aurait dû normalement quitter ses fonctions en 2016, mais le scrutin a été différé à plusieurs reprises et jusqu’à récemment, on ignorait si le chef de l’Etat sortant chercherait à briguer un troisième mandat consécutif.
“Mon rôle sera de faire en sorte que nous ne retournions pas au point de départ, le point de départ, c’est l’état dans lequel nous avons trouvé le Congo il y a 22 ans”, a-t-il déclaré à Reuters, référence à la prise du pouvoir par son père Laurent-Désiré.
“Dans la vie comme en politique, je n’exclus rien”, a-t-il répondu lorsqu’il a été interrogé sur un éventuel retour. “Il y a encore beaucoup à faire et d’autres pages seront écrites avant que nous puissions rédiger les manuels d’histoire.”
Près de dix-huit ans après avoir succédé au pouvoir à son père Laurent-Désiré Kabila, assassiné dans des circonstances encore floues, Joseph Kabila n’est plus le novice en politique qu’il était en 2001.
Nul ne sait si l’élection présidentielle de dimanche refermera définitivement la page Kabila ou si elle n’ouvrira qu’une brève parenthèse.
QUELQUES SUCCÈS
Joseph Kabila a choisi comme dauphin un fidèle, Emmanuel Ramazani Shadary, placé sous sanctions par l’Union européenne pour son rôle dans des violations des droits de l’homme. Le gouvernement de RDC estiment que ces sanctions, qui comportent une interdiction de voyager et un gel des avoirs, sont illégales.
Son éventuel retour à la présidence dépendra avant tout de l’image que garderont les électeurs de ses 18 années de présidence.
Ses débuts furent marqués par quelques succès. Il est notamment parvenu à mettre fin à une guerre régionale meurtrière et à organiser le premier scrutin présidentiel libre.
Mais ses mandats furent également ternis par une instabilité chronique, particulièrement dans l’Est, par la répression visant les mouvements pro-démocratiques et par une culture de la corruption qui a, de l’aveu même du gouvernement, coûté des milliards de dollars à un pays dont les sous-sols sont parmi les plus riches de la planète.
Des investissements étrangers ont permis à la RDC de se hisser au premier rang des producteurs africains de cuivre et numéro un mondial de l’extraction de cobalt, un minerai essentiel à la production de batteries pour voitures électriques.
Denis Mukwege, le médecin congolais colauréat cette année du prix Nobel de la paix pour ses efforts en faveur de la lutte contre les violences sexuelles comme arme de guerre, soulignait récemment que si Joseph Kabila avait le droit de rester en politique, les électeurs ne devaient pas oublier les promesses non tenues.
“Rien de ce qui aurait dû être fait pour fonder une véritable démocratie n’a été fait lors de son passage au pouvoir”, a-t-il déclaré à Reuters.
LE PRÉCÉDENT ANGOLAIS
Adversaires et certains observateurs de la scène politique congolaise se rejoignent pour penser que les craintes que nourrit Joseph Kabila pour sa sécurité personnelle et les fortunes colossales que l’on soupçonne sa famille d’avoir amassées ont peut-être contribué à sa volonté de se maintenir au pouvoir.
Un rapport publié l’année dernière par un groupe de chercheurs new-yorkais affirmait que les différentes entreprises dirigées par la famille Kabila représentaient des dizaines de milliers de dollars, ce que le président a réfuté.
Si son candidat Emmanuel Ramazani Shadary parvient à battre ses deux principaux adversaires, Joseph Kabila ne serait pas pour autant assuré de pouvoir conserver son influence.
Il lui suffit pour s’en rappeler de se tourner vers le voisin angolais où Joao Lourenco a rapidement mis de côté son puissant prédécesseur Jose Eduardo dos Santos, resté 38 ans au pouvoir, en accusant des membres de sa famille de corruption.
“Kabila a vu ce qui s’est passé en Angola.
C’est la raison pour laquelle il a choisi un fidèle d’entre les fidèles et surtout celui dont il craint le moins qu’il menace son propre pouvoir”, explique Manya Riche, qui conseilla Joseph Kabila de 2008 à 2011.
Evoquant l’arrangement trouvé entre Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, lorsque le premier a conservé sa prééminence politique tout en ayant momentanément cédé les rênes de la présidence au second, elle a commenté: “Nous ne sommes pas en Russie. Dans une certaine mesure, ici, le chef c’est celui qui est assis à la place du chef.”
FLAIR
Joseph Kabila est né en 1971 dans l’est du Congo alors que son père Laurent-Désiré combattait dans les rangs de l’insurrection qui combattait le régime de Mobutu Sese Seko mais il a passé l’essentiel de ses jeunes années en Tanzanie voisine.
Son retour au Congo coïncide avec l’arrivée au pouvoir de son père avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda et c’est alors qu’il recevait en Chine une instruction militaire que son père a été abattu par l’un de ses gardes du corps, en 2001.
Il n’avait que 29 ans quand il a repris la direction d’un pays morcelé et déchiré par des conflits territoriaux qui ont contribué à tuer des dizaines de milliers de personnes chaque mois.
S’exprimant dans un français hésitant et presque pas en lingala, la langue parlée dans la capitale et dans l’armée, Joseph Kabila a eu du mal à se connecter à la population, un handicap qu’il compensé par un flair politique qui a surpris.
Il a su regagner la confiance de puissances occidentales, Etats-Unis et France notamment, allant à rebours de la distance prônée par son père, attirant les investisseurs étrangers en libéralisant la législation encadrant les extractions minières.
Il a également su relancer un processus de paix qui a abouti en 2003 à un accord de partage du pouvoir qui lui a permis de se maintenir au pouvoir malgré la poursuite de l’insurrection dans l’Est.
“Il a su gérer le pays, plus ou moins”, concède Azarias Ruberwa, un ancien chef rebelle qui siège désormais au gouvernement.
Joseph Kabila a remporté les deux tours des élections de 2006, dont les observateurs s’accordent à juger qu’elles se sont librement déroulées et avant d’apaiser dans la foulée les mouvements de protestations qui ont suivi la proclamation des résultats.
Ces succès, suivis par une nouvelle victoire en 2011, cette fois marquée par des accusations d’irrégularités, l’ont conduit a transformer son approche du pouvoir, expliquent certains de ses Proches.
“Le président a commencé à être mois tolérant vis-à-vis des Occidentaux”, dit un ancien conseiller s’exprimant sous le sceau de l’anonymat. “Il a considéré qu’ils lui imposaient leurs idées.”
A la mort, en 2012, d’Augustin Katumba Mwanke, son plus proche conseiller et confident, son exercice du pouvoir a pris un tour plus personnel.
Joseph Kabila s’exprime rarement en public et il n’accorde sa confiance qu’à un petit cercle de proches, sa soeur jumelle Jaynet et son plus jeune frère, Zoe.
Dans la population, on reproche à Joseph Kabila de ne pas avoir su profiter des ressources du pays pour en faire une plateforme économique régionale. Et le président lui même admet auprès des proches qu’il regrette de ne pas avoir su transformer la RDC en une nation qui pourrait ressembler aux autres pays africains qu’il a pu visiter.
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Avec David Lewis à Nairobi, Gwladys Fouche à Oslo; Nicolas Delame