Les impitoyables trafiquants d’or qui dirigent le Soudan

Publié le 26 juillet 2019 , 7:38
Mis à jour le: 26 juillet 2019 7:38 am

 

 

Les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces -RSF) ont été accusées d’exactions de grande ampleur au Soudan, y compris les massacres du 3 juin au cours desquels plus de 120 personnes ont été tuées. Un grand nombre de morts ont été jetés dans le Nil.

L’expert soudanais Alex de Waal dresse le bilan de l’ascension des RSF, qui sont aujourd’hui le véritable pouvoir au Soudan.

 

Il s’agit d’un nouveau type de régime : un mélange de milices ethniques et d’entreprises commerciales, une force mercenaire transnationale qui a pris le contrôle d’un État.

Le général Mohamed Hamdan Hamdan “Hemeti” Dagolo est leur commandant. Lui et ses combattants ont fait du chemin depuis leurs débuts en tant que ”miliciens arabes en haillons” largement dénigrés sous le nom de “Janjaweed”.

Mais le noyau de 5 000 miliciens était armé et actif depuis longtemps.

 

De marchant de chameaux à personnage influent

  • Granditdans le désert du Darfour, il abandonne l’école au primaire
  • Marchand de chameauxpuis chef de milice et marchand d’or
  • Surnommé “Hemeti”(Petit Mohamed) à cause de son visage aux airs de bébé
  • “Himayti” (Mon Protecteur) le surnom donné par l’ex-Président Bashir
  • Aide le coup d’Etat contre M. Bashir
  • Soutenu parl’Arabie saoudite et les EAU. C’est un général puissant

Leur histoire commence en 2003, lorsque le gouvernement de M. Béchir a mobilisé des éleveurs arabes pour lutter contre les insurgés noirs africains au Darfour.

‘Voici les Janjaweed’

Les Janjaweed étaient essentiellement des nomades éleveurs de chameaux, des branches mahamides et mahariya du groupe ethnique des Rizeigat du Darfour-Nord et des régions adjacentes du Tchad. Ils traversaient le désert bien avant que la frontière soit tracée.

Pendant la guerre et les massacres de 2003-2005 au Darfour, le chef janjaweed le plus tristement célèbre était Musa Hilal, chef du Mahamid.

Ces combattants ayant prouvé leur efficacité sanguinaire, M. Béchir les a transformés en une force paramilitaire formelle appelée Border Intelligence Units.

Une brigade active au Darfour-Sud comprenait un jeune combattant particulièrement dynamique, Mohamed Dagolo, surnommé “Hemeti” en raison de son visage de bébé – Hemeti étant un terme affectueux utilisé par les mères, qui signifie “Petit Mohamed”.

Devenu petit commerçant après avoir abandonné l’école, il était membre du clan Mahariya des Rizeigat.

Certains disent que son grand-père était un chef subalterne lorsqu’ils résidaient au Tchad.

Un intermède crucial dans la carrière de Hemeti s’est produit en 2007, lorsque ses troupes étaient mécontentes de l’incapacité du gouvernement à les payer.

Elles avaient l’impression d’avoir été exploitées – envoyées en première ligne, accusées d’atrocités, puis abandonnées.

Ils ont tenté de conclure un accord avec les rebelles du Darfour.

Un documentaire tourné à cette époque, intitulé “Meet the Janjaweed” (A la rencontre des Janjaweed), le montre en train de recruter des volontaires de l’ethnie noire des Fours du Darfour dans son armée, pour combattre aux côtés de leurs anciens ennemis, les Arabes.

Bien que les commandants de Hemeti soient tous de son propre clan, celui des Mahariya, il était prêt à enrôler des hommes de tous les groupes ethniques.

Récemment, les RSF ont absorbé une faction dissidente de l’Armée de libération du Soudan (ALS) – dirigée par Mohamedein Ismail “Orgajor”, un Zaghawa – une autre communauté du Darfour qui avait été liée aux rebelles.

Consolidation du pouvoir

Hemeti est retourné à Khartoum lorsqu’on lui a proposé un accord avantageux : un rappel du salaire de ses troupes, des grades pour ses officiers (il est devenu brigadier général – au grand dam des officiers de l’armée qui étaient allés à l’école d’état-major et avaient gravi les échelons), et une belle somme d’argent.

Ses troupes ont été placées sous le commandement du Service national de renseignement et de sécurité (NISS), qui organisait alors une guerre par procuration avec le Tchad.

Certains combattants de Hemeti servant sous la bannière de l’opposition tchadienne se sont battus jusqu’à N’Djamena, la capitale tchadienne, en 2008.

Pendant ce temps, Hemeti s’est disputé avec son ancien maître, Hilal.

Hilal était un mutin à répétition, et les généraux de M. Béchir trouvaient Hemeti plus fiable.

En 2013, une nouvelle force paramilitaire a été formée sous Hemeti et appelée les RSF.

Le chef d’état-major de l’armée n’a pas apprécié – il voulait que l’argent aille au renforcement des forces régulières – et M. Béchirr craignait de mettre trop de pouvoir entre les mains du NISS, après avoir licencié son directeur, lui reprochant d’avoir conspiré contre lui.

Les RSF ont donc été placées sous la responsabilité de M. Béchir lui-même – le président a donné à Hemeti le surnom de “Himayti”, qui signifie “mon protecteur”.

Des camps d’entraînement ont été installés près de la capitale, Khartoum.

Des centaines de camionnettes Land Cruiser ont été importées et équipées de mitrailleuses.

Les troupes des RSF ont combattu les rebelles dans le Kordofan méridional – ils étaient indisciplinés et n’ont pas accompli correctement leur mission – et les rebelles au Darfour, où ils ont mieux fait.

Ruée vers l’or

La rivalité entre Hemeti et Hilal s’est intensifiée lorsque de l’or a été découvert au Jebel Amir, dans l’État du Darfour-Nord, en 2012.

A cette époque, le Soudan était confronté à une crise économique parce que le Soudan du Sud est devenu indépendant, emportant avec lui 75% du pétrole du pays, ce qui semblait être une aubaine.

Mais c’était plutôt une malédiction.

Des dizaines de milliers de jeunes hommes ont afflué dans un coin reculé du Darfour.

Une ruée vers l’or pour tenter leur chance dans des mines peu profondes avec un équipement rudimentaire.

Certains ont trouvé de l’or et sont devenus riches, d’autres sont morts dans éboulements ou empoisonnés par le mercure et l’arsenic utilisés pour traiter les pépites.

Les miliciens de Hilal ont pris le contrôle de la région par la force, tuant plus de 800 personnes de l’ethnie des Beni Hussein. Ils ont commencé à s’enrichir en exploitant et en vendant de l’or.

Une partie de l’or a été vendue au gouvernement, qui a payé plus cher que le prix du marché en monnaie soudanaise parce qu’il était tellement désespéré de mettre la main sur l’or qu’il pouvait le revendre à Dubaï en devises fortes.

Entre-temps, de l’or a été introduit clandestinement au Tchad, où il a fait l’objet d’un échange rentable dans le cadre d’un racket impliquant l’achat de véhicules volés et leur retour clandestin au Soudan.

Dans les marchés de la zone désertique de Tibesti, dans le nord du Tchad, un 1,5 kg d’or brut a été échangé contre un Land Cruiser modèle 2015, probablement volé à une agence humanitaire au Darfour, qui a ensuite été reconduit au Darfour, équipé de plaques d’immatriculation peintes à la main avant d’être revendu.

En 2017, les ventes d’or représentaient 40% des exportations du Soudan. Et Hemeti voulait les contrôler.

Il possédait déjà des mines et avait créé une société commerciale connue sous le nom d’al-Junaid.

Mais quand Hilal a encore une fois défié M. Béchir, refusant au gouvernement l’accès aux mines de Jebel Amir, les RSF de Hemeti ont lancé la contre-attaque.

En novembre 2017, ses forces ont arrêté Hilal et les RSF ont pris le contrôle des mines d’or les plus lucratives du Soudan.

Pouvoir régional

Du jour au lendemain, Hemeti est devenu le plus grand négociant d’or du pays et – en contrôlant la frontière avec le Tchad et la Libye – son plus important garde-frontière. Hilal reste en prison.

Dans le cadre du processus de Khartoum, l’Union européenne a financé le gouvernement soudanais pour contrôler la migration à travers le Sahara, vers la Libye.

Bien que l’UE le nie constamment, de nombreux Soudanais pensent que cela a permis aux RSF de contrôler la frontière, de prélever des pots-de-vin, des taxes et des rançons – et de faire leur part du trafic également.

Dubaï est la destination de la quasi-totalité de l’or soudanais, officiel ou de contrebande.

Mais les contacts de Hemeti avec les Émirats Arabes Unis (EAU) sont rapidement devenus plus que commerciaux.

En 2015, le gouvernement soudanais a accepté d’envoyer un bataillon de forces régulières pour servir dans les forces de la coalition saoudienne-émiratie au Yémen – son commandant était le général Abdel Fattah al-Burhan, actuellement président du Conseil militaire transitoire au pouvoir.

Mais quelques mois plus tard, les EAU ont conclu un accord parallèle avec Hemeti pour envoyer une force beaucoup plus importante de combattants des RSF au sud du Yémen et dans la plaine de Tahama – qui comprend la ville portuaire d’Hodeidah, théâtre de combats féroces l’année dernière.

Hemeti a également fourni des unités pour aider à garder la frontière saoudienne avec le Yémen.

A cette époque, la force des RSF avait décuplé.

Sa structure de commandement n’a pas changé : tous ses éléments sont des Arabes du Darfour, ses généraux partageant le nom de Dagolo.

Avec 70 000 hommes et plus de 10 000 camionnettes armées, les RSF sont devenus l’infanterie de facto du Soudan, la seule force capable de contrôler les rues de la capitale, Khartoum, et d’autres villes.

Remise d’argent liquide et polissage des relations publiques

Grâce à l’or et à l’activité mercenaire officiellement sanctionnée, Hemeti en est venu à contrôler le plus grand “budget politique” du Soudan – de l’argent qui peut être dépensé pour la sécurité privée, ou toute autre activité, sans avoir à rendre des comptes.

 

Dirigée par ses proches, la société Al-Junaid était devenue un vaste conglomérat couvrant l’investissement, l’exploitation minière, le transport, la location de voitures et la sidérurgie.

Lorsque M. Bashir a été évincé en avril, Hemeti était l’un des hommes les plus riches du Soudan – probablement avec plus d’argent que tout autre homme politique – et se trouvait au centre d’un réseau de népotisme, d’accords secrets de sécurité et de paiements politiques.

Il n’est pas surprenant qu’il ait rapidement pris la place de son mécène tombé au champ d’honneur.

Hemeti a agi rapidement, politiquement et commercialement.

Chaque semaine, il est apparu dans les journaux, remettant de l’argent à la police pour la ramener dans la rue, aux électriciens pour rétablir les services ou aux enseignants pour qu’ils retournent dans les salles de classe.

Il distribuait des voitures aux chefs tribaux.

 

L’icône des manifestations au Soudan

Alors que la force de maintien de la paix de l’ONU et de l’Union africaine se retirait au Darfour, les RSF ont pris le contrôle de leurs camps – jusqu’à ce que l’ONU mette un terme au retrait.

Hemeti déclare qu’il a augmenté son contingent de RSF au Yémen et qu’il a envoyé une brigade en Libye pour combattre aux côtés du général Khalifa Haftar, vraisemblablement sur les rangs des EAU, mais aussi pour gagner la faveur de l’Egypte qui soutient également l’armée nationale libyenne autoproclamée du général Haftar.

  1. Hemeti a également signé un accord avec une firme canadienne de relations publiques pour peaufiner son image et lui donner un accès politique en Russie et aux États-Unis.

Hemeti et les RSF sont en quelque sorte des personnages familiers de l’histoire de la vallée du Nil.

Au XIXe siècle, les mercenaires flibustiers ont traversé le Soudan, le Soudan du Sud, le Tchad et la République Centrafricaine, jurant publiquement allégeance au khédive d’Égypte, mais aussi en établissant et dirigeant leurs propres empires privés.

D’autre part, Hemeti est un phénomène du 21ème siècle : un entrepreneur politico-militaire, dont l’empire d’affaires paramilitaire dépasse les frontières territoriales et transgresse les lois.

Aujourd’hui, ce commerçant et milicien semi-lettré est plus puissant que tout général de l’armée ou chef civil au Soudan.

Son organisation est plus dynamique que toutes les institutions fragiles d’un gouvernement civil.

Alex de Waal est directeur exécutif de la World Peace Foundation à la Fletcher School of Law and Diplomacy de la Tufts University.

 

Avec BBC

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