Du coup d’État de la Séléka en 2013 à son voyage cauchemardesque à la prison de la CEDAD: le témoignage exclusif d’Antoine TOMBET
Bangui, 04 novembre 2023 (CNC) – Dans cette interview émouvante, Monsieur Antoine TOMBET, ancien gendarme centrafricain, nous plonge dans son passé et son vécu avant les événements de 2013 en République centrafricaine, ainsi que dans les terribles conditions de sa détention à la prison de la CEDAD. Il partage les actes de torture qu’il a subis et l’impact sur sa santé physique et mentale, tout en révélant comment il a trouvé la force de survivre et d’espérer malgré l’adversité.
Corbeaunews-Centrafrique : Monsieur Antoine Tombet, Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre vie avant les événements de 2013 en République centrafricaine ?
Antoine TOMBET : Je suis Monsieur Antoine TOMBET âgé de 71 ans. Je suis entré dans la gendarmerie le 2 août 1976 au grade de deuxième classe et parti à la retraite en 2005 au grade d Adjudant Chef. Je suis père de 24 enfants.
CNC : Pourriez-vous nous expliquer le contexte entourant le coup d’État de la Séléka en 2013 et comment cela a affecté votre vie à l’époque ?
Antoine TOMBET : Le 24 mars 2013, je me trouvais chez ma cadette au quartier boy rabe à Bangui lors de l’entrée de la Seleka et le renversement du Président Bozizé. On s’est caché dans la maison de ma cadette et on écoutait les Seleka qui criaient “fouillez toutes les maisons y compris les toilettes”. Nous étions terrorisés car nous étions d’ethnie gbaya..
CNC : Comment avez-vous été impliqué ou affecté par ces événements ?
Antoine TOMBET : Nous étions d’ethnie gbaya et nous étions ciblés par les Seleka car c’est l’ethnie du Président Bozizé.
CNC : Pouvez-vous nous décrire votre arrestation et comment vous avez abouti à la prison de la CEDAD ?
Antoine TOMBET : Le 12 octobre 2013, j’étais à une place mortuaire le matin quand je rentre à mon domicile de boy rabe vers 14 heures mes enfants me disent Tonton Jacob Mokpem-Bionli te cherche au téléphone et te demande de le retrouver à son domicile immédiatement. Je me rends chez Monsieur Jacob Mokpem-Bionli et là j’y retrouve mon cousin le Pasteur. Jacob Mokpem-Bionli me demande alors si je peux l’emmener à l’église Saint Michel derrière le commissariat du 5eme arrondissement le lendemain. Ce que j’accepte.
Dix minutes plus tard, nous sommes encerclés par plusieurs Seleka armés en tenue militaire arrivés à bord de 2 pickup avec à leur tête le commissaire Victoire Nabeza. Nabeza demande alors qui est le propriétaire de la maison. Jacob Mokpem-Bionli explique que c’est sa fille et se lève pour aller l’appeler derrière la maison. Il a fui pour tout bon nous laissant seuls mon cousin et moi face aux Selekas. Je me lève et les Selekas braquent leurs armes sur moi. Je comprends que c’est un coup préparé. Je dis aux Selekas que je dois aller aux toilettes. Et là ils me disent ” ne bougez pas sinon on vous fait sauter la cervelle !” Là je dis à mon cousin nous n’avons pas le choix on doit les suivre.
Les gens du quartier boy rabe commencent à venir observer et demander ce qui se passe. Victoire Nabeza leur explique qu’il veut faire des vérifications nous concernant et qu’il va nous ramener. Il y a un pick-up de l’OCRB et un pick-up de Seleka armés ne parlant que l’arabe. Arrivés à l’OCRB, Nabeza commence l’interrogatoire et note tout sur une feuille de frappe. Il reçoit un appel et répond “oui mon Général, oui Excellence” puis raccroche. C’est à Noureddine Adam qu’il parle au téléphone. Cinq minutes plus tard un monsieur débarque, il est habillé d’un chadda de couleur verte et s’exclame ” à vos rangs fixes ! Où sont les gars?”. Un Seleka lui répond ” les voici!” Le monsieur en chadda vert s’étonne ” on parle de 3 personnes et je n’en vois que 2″. Le Seleka en tenue militaire lui répond ” le troisième a fui”.
Puis Noureddine Adam arrive et remet une énorme liasse d’argent à Victoire Nabeza. Noureddine Adam déclare ensuite “ces 2 là vont payer pour le 3eme” en parlant de nous. Puis Noureddine Adam a demandé à ce que mon cousin et moi soyons cagoulés. Mais il n’y avait pas de cagoule disponible. On nous a alors enlevé nos chemises et on nous a bandé les yeux avec. Nous sommes montés dans un pick-up puis arrivés devant un portail le pick-up a klaxonne et on a entendu le portail de la Cedad s’ouvrir. Noureddine Adam qui était seul au volant a crié ” descendez!” Puis Noureddine Adam s’est exclamé “voici les gens de Bozizé, ces 2 là vont payer à la place de Bozizé et des gens de boy rabe !”
Puis Noureddine Adam a demandé à mon cousin ” toi là, tu veux mourir ou tu veux vivre”. C’est alors que mon cousin lui rétorque ” le Seigneur m’a créé pour vivre!”. Mon cousin portait une chemise pagne rouge à l’effigie de Bozizé. Noureddine Adam a déchiré la chemise de mon cousin avec ses mains et lui a enfoncé dans la bouche puis a appuyé avec force avec la crosse de sa kalachnikov pour faire entrer la chemise pagne dans la gorge de mon cousin. Puis alors que j’observais la scène, un Seleka me frappe sur la nuque avec sa kalachnikov. Je m’effondre et tombe par terre. De là 7 Selekas me tabassent avec des planches de bois 4×8. Je perds connaissance. La nuit je me réveille dans une geôle on m’a enlevé mes chaussures il ne me reste que le pantalon. Le lendemain Noureddine Adam me change de cellule, prétextant que comme je suis gendarme je vais influencer mes codétenus.
CNC : Quelles étaient les conditions de vie dans la prison de la CEDAD ? Pouvez-vous décrire l’environnement physique et les traitements que vous avez subis ?
Antoine TOMBET : Les éléments de Noureddine Adam m’ont d’abord pris au tonneau. Deux Selekas me prennent les mains et deux autres Selekas me tiennent les jambes et deux autres Selekas encore me tabassent toutes les deux heures avec des planches de bois de 4×8 et ce tous les jours de ma détention qui s’est terminée le 3 décembre 2013 date de ma libération dans le bureau du Procureur de la République de l’époque Gresenguet.
Quand les Selekas me tabassaient tous les jours à la prison de la Cedad ils me demandaient ” donne-nous la position de Bozizé !” Je leur expliquais que je ne connaissais pas personnellement Bozizé mais rien n’y faisait. Puis ils ont commencé à me torturer avec la technique de l arbatacha mains attachées derrière et pieds attachés toujours pour me demander la position de Bozizé.
Pour les plus résistants, les Selekas les plongeaient dans une baignoire et les plonger dedans pour les noyer. D’autres étaient jetés dans des containers dans la concession de la Cedad et laissés morts de faim sous un soleil de plomb.
Chaque vendredi deux prisonniers étaient exécutés. Le vendredi soir on commençait à prier et les personnes qui étaient désignées pour être exécutées, étaient alors cagoulees et nous disaient ” que Dieu soit avec vous”. Puis on ne les revoyait plus. On avait remarqué des tas de pantalons et de chaussures entassées,dans un coin de la Cedad. Nous étions forcés de faire nos besoins à même le sol. Nous étions détenus dans des conditions inhumaines.
Les Selekas nous avaient interdit de prier Jésus Christ alors que mon pasteur dans une cellule chantait des cantiques et avait caché un nouveau testament dans une de ses poches.
Les Selekas nous avaient exigé de prier leur prophète Mahomet et que Jésus Christ n’existait pas. Et que si nous continuions à prier le Christ nous recevrions une balle dans la tête. Nous devions pour les Selekas nous convertir à l’islam.
CNC : Comment avez-vous réussi à survivre dans de telles conditions difficiles ?
Antoine TOMBET : La première semaine de ma détention j’ai senti que je n’avais plus personne dans ma vie. J’ai appris à ma libération que mes enfants m’avaient cherché dans tous les hôpitaux et les commissariats de Bangui en vain.
La deuxième semaine de ma détention j’ai rêvé de mes enfants une nuit et je me suis ressaisi, je me suis raccroché à la vie et j’ai prié mon Sauveur et Seigneur Jésus Christ. C’est ce qui m’a aidé à tenir le coup à la Cedad.
CNC : Si vous êtes à l’aise d’en parler, pourriez-vous partager des détails sur les actes de torture que vous avez subis ou que vous avez témoignés en prison ?
Antoine TOMBET : j’étais régulièrement tabassé avec des planches de bois 4×8, sans parler des privations d’eau et de nourriture.
CNC : Comment ces expériences ont-elles affecté votre santé physique et mentale à l’époque ?
Antoine TOMBET : Je suis sorti de cette détention exténué, très amaigri, car on avait un gobelet d’eau chaque quinze jours à la Cedad et du riz bouillant versé à même la paume de nos mains. J’ai eu les 2 côtés cassées poitrine côté gauche et côté droit. J’ai eu un deboitement de la clavicule gauche et à la cheville gauche. Aujourd’hui je boîte du côté gauche et éprouve de grandes difficultés pour marcher. J’ai des troubles visuels du fait des tortures et des coups reçus sur la tête et sur le visage.
CNC : Avez-vous eu des interactions avec d’autres détenus qui ont également été victimes de torture ? Si oui, pouvez- vous partager leurs histoires ?
Antoine TOMBET : Dans ma cellule qui était plongée dans l’obscurité permanente et totale, il y avait un commandant Seleka du nom de Mohammoud. Ils l’ont torturé et exécuté devant moi puis ont jeté son cadavre dans
notre cellule. Les éléments de Noureddine Adam tuaient vraiment n’importe qui. Nous étions moins que des cabris pour eux. J’ai passé une nuit entière à dormir à côté du cadavre de Mohammoud. Puis un jour, Noureddine Adam est venu chercher deux de mes codétenus à savoir l’imam de pk12 et l’imam de Damara, expliquant que Djotodjia voulait les voir. Je ne les ai plus revus jusqu’à ce jour et j’ai fait des recherches pour retrouver leur trace mais en vain. Je crains le pire pour eux. A chaque fois que mes codétenus et moi échangions sur les motifs de notre enlèvement, c’étaient toujours les mêmes réponses soit on voulait organiser un coup d’État pour renverser Djotodjia ( ce dont j’étais accusé avec mon cousin), soit c’était car le prisonnier était d’ethnie gbaya ou qu’il était militaire ou parent du Président Bozizé. Il y avait 35 personnes dans ma cellule, une semaine après mon enlèvement nous n’étions plus que 12 dans la geôle. Je ne sais pas où ils ont emmené mes autres codétenus car je ne les ai jamais revus.
CNC : Y avait-il des moments ou des facteurs qui ont contribué à maintenir votre espoir pendant votre détention ?
Antoine TOMBET : Mes enfants et l’amour de mon Seigneur Jésus Christ qui me faisaient garder espoir.
CNC : Comment avez-vous réussi à garder votre force mentale et à vous relever de cette expérience traumatisante ?
Antoine TOMBET : Toujours grâce à mon Seigneur et Sauveur Jésus Christ et l’amour de mes enfants et petits enfants.
CNC : Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez finalement été libéré de la prison de la CEDAD et ce que cela a signifié pour vous ?
Antoine TOMBET : C’est le 3 décembre 2013, que je fus emmené dans le bureau du procureur de la République Gresenguet avec mon cousin et qu’on nous a libérés. J’ai revu mes enfants c’était une délivrance, un miracle de mon Dieu cette libération. J’ai régulièrement pensé que j’allais mourir à chaque instant à la Cedad.
CNC : Comment votre vie a-t-elle changé depuis votre libération, en particulier sur le plan émotionnel et psychologique ?
Antoine TOMBET : Je souffre d’insomnie, de terreurs nocturnes, je revois les scènes de torture et mes codétenus enlevés par Noureddine Adam et que je n’ ai plus jamais revus.Parfois je me sens bien et je revois ces scènes et la tristesse me prend. Je suis très renfermé depuis cette terrible expérience. Je fais souvent des cauchemars et je souffre au niveau de la cage thoracique, je ne vois pas bien et je boîte de la jambe gauche.
CNC : Avez-vous reçu un soutien ou une aide pour surmonter les traumatismes que vous avez vécus ?
Antoine TOMBET : je n’ai reçu aucune aide que ce soit prise en charge médicale et psychologique alors que les enquêteurs de la CPI venus nous auditionner en 2014 nous l’avaient promis mais rien n’est venu de ce côté là. Il n’y a que notre Avocat Maître Isabelle KESSEL qui représente notre collectif à la CPI,. qui nous écoute et nous soutient moralement dans ce combat judiciaire de longue haleine. Je suis le Président fondateur du collectif des victimes de Noureddine Adam. Il y a un mandat d’arrêt qui a été lancé contre Noureddine Adam par la CPI le 28 juillet 2022. Nous suivons avec attention la procédure.
CNC : En partageant votre histoire, quel message ou quelle sensibilisation souhaitez-vous transmettre aux autres sur les conséquences des conflits et de la torture ?
Antoine TOMBET : Je saisis l’opportunité de cette interview pour demander à la CPI dans l’intérêt des membres de notre collectif, de nous envoyer une prise en charge médicale et psychologique et de nous octroyer une somme même modique pour démarrer des activités génératrices de revenus en attendant le procès de Noureddine Adam qui n’est toujours pas arrêté alors que cela fait déjà dix longues années que les faits se sont produits. Nous n’avons rien oublié nous sommes des survivants et nous allons témoigner pour ceux de nos codétenus qui sont morts dans les geôles, les containers et autres salles de tortures de la Cedad.
Le Président Touadera a déclaré lors de la dernière journée internationale des victimes chaque 11 mai qu’il fallait dédommager les victimes et rompre avec l’impunité. Je souscris pleinement à ce postulat au nom de notre collectif.
CNC : Comment pouvons-nous, en tant que société, aider les survivants de traumatismes similaires à se rétablir et à trouver la justice ?
Antoine TOMBET : Comme je vous l’ai expliqué depuis 2014 et les enquêteurs de la CPI qui étaient venus à Bangui nous auditionner nous n’avons rien reçu comme aide d’aucune sorte de la CPI. Pire le bureau de la CPI de Bangui ne fait aucune sensibilisation sur le terrain. Je collecte les dossiers des victimes à mes frais en tant que Président de notre collectif. C’est inadmissible. Le bureau de la CPI a pourtant des véhicules robustes et des moyens conséquents mais on ne les sent pas sur le terrain. Ce qui est préoccupant.
CNC : Y a-t-il quelque chose d’autre que vous aimeriez ajouter ou partager à propos de votre expérience ou de votre parcours depuis votre libération ?
Antoine TOMBET : Au nom des membres de notre collectif, je puis vous affirmer que nous espérons beaucoup de la CPI pour obtenir justice et réparation dans l’affaire Noureddine Adam même si un procès ne nous ramènera pas nos amis codétenus mais nous défendrons leur mémoire jusqu’au bout car pour nous, survivants, c’est le combat de notre vie et la CPI doit être à la hauteur des attentes des victimes qui ont tant souffert, en tant que Tribunal de l Histoire.
CNC : Monsieur Antoine TOMBET, nous vous remercions.
Antoine TOMBET : c’est à moi de vous remercier monsieur le journaliste.
Propos recueillis par Alain Nzilo
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