Malgré ses imperfections, l’intervention militaire française a permis d’éviter des massacres à grande échelle en Centrafrique : tel est le discours officiel à Paris face aux critiques concernant l’opération «Sangaris». Une chose est sûre : celle-ci n’a cependant pas permis d’enrayer la campagne de terreur et d’exactions contre la minorité musulmane, provoquant son exode massif. Pour la première fois depuis le début du conflit, une étude systématique, menée par Médecins sans frontières (MSF) et dont Libération a pu prendre connaissance, donne l’ampleur de ce désastre. Sur le seul échantillon de 3 449 familles (représentant un total de 32 768 personnes) interrogées au Tchad où elles se sont réfugiées entre décembre et avril, 2 599 personnes sont décédées. Soit 8%. Un tiers des familles ont perdu au moins un membre, et plus du quart deux parents. Dans l’écrasante majorité des cas (plus de 95%), la violence est à l’origine de ces décès.

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Le rapport de Médecins sans Frontières

Depuis des mois, les milices anti-balaka, présentées abusivement comme chrétiennes, attaquent systématiquement les musulmans de Centrafrique, assimilés collectivement aux rebelles de la Séléka, qui ont détenu le pouvoir à Bangui durant près d’un an. Les exactions avaient certes commencé avant l’intervention française mais, pour MSF, l’opération Sangaris n’a rien arrangé : «Le déploiement des forces françaises, le 5 décembre 2013, qui priorise alors le désarmement et le cantonnement des ex-Sélékas, contribue à renforcer les attaques des anti-balaka.»

Le pic de violences a eu lieu en décembre et janvier, avant de décliner, en grande partie du fait du départ des musulmans. La majorité des victimes sont décédées avant de faire leur valise. Pour les rescapés, le voyage jusqu’au Tchad a souvent été cauchemardesque. L’ONG cite ce témoignage d’une jeune fille, recueilli en février : «Sur la route, notre camion est tombé en panne. L’escorte ne s’est pas arrêtée et les anti-balaka nous ont immédiatement attaqués. Tous les hommes, y compris notre beau-frère, ont été tués à la machette devant nous.» Dans l’échantillon examiné par MSF, 322 personnes ont trouvé la mort durant le voyage.

Aujourd’hui, seule une poignée de communautés musulmanes demeure dans des enclaves, protégées tant bien que mal par les forces internationales (françaises et africaines). Débordé par l’afflux de plus de 100 000 réfugiés en quelques mois, le Tchad a fermé sa frontière. Ceux qui ont échappé à la folie meurtrière pourront-ils revenir un jour chez eux ? «Jamais je n’ai entendu prononcer le mot de réconciliation ou quelqu’un souhaiter le retour des musulmans», s’inquiétait en mai dernier une responsable de MSF dans la localité de Carnot.

Thomas HOFNUNG pour Libération