samedi, novembre 16, 2024

COMME LE MESSIE

Un brin mégalo, Jean-Serge Bokassa ose tout Y compris se rêver en homme providentiel dans ce pays que son père dirigea jusqu’en 1979. La présidentielle de 2015? Il y pense très sérieusement.

Un verre de vin rouge à la main, Jean-Serge Bokassa a l’accent des fils de bonne famille. Vite emporté par la colère, il se contient et laisse échapper un « purée de patates! » – son juron favori. Et les motifs d’emportement, le fils du dernier empereur d’Afrique en a à la pelle. Tout d’abord, Jean-Serge, 42 ans, assure qu’il n’est pas un fils à papa (même si c’est à cette filiation qu’il doit aujourd’hui sa petite notoriété). Il insiste pour que l’on s’en souvienne. Pourtant, ce qu’il appelle son « destin politique » n’est pas sans lien avec l’histoire de Jean-Bedel Bokassa. Sauf que ce dernier ne l’aurait jamais encouragé dans cette voie « parce que la politique lui a tout pris».

Quinzième rejeton officiel, Jean- Serge se targue d’être le seul parmi les 55 enfants qu’aurait eus l’ancien président à être revenu s’installer en Centrafrique – et à ne pas
l’avoir quittée depuis, même en pleine offensive de la Séléka, début 2013. À l’en croire, il est aussi le seul à avoir vécu avec son père à Bangui depuis sa sortie de prison, en 1993, jusqu’à sa mort, en 1996.

APPELÉ PAR DIEU. Sur la chronologie exacte, Jean-Serge entretient le flou. Avant de s’occuper de son père, il s’est cru appelé par Dieu et a été missionnaire pendant trois ans. Et encore avant? il y a eu la pension en Suisse, puis le Gabon, pays d’origine de sa mère, Marie- Joëlle Aziza-Eboulia (l’une des dix-huit épouses de son père), puis la Côte d’Ivoire, où l’empereur déchu avait trouvé refuge… De ces années chahutées, il se contente de dire qu’elles ont été « extrêmement dures ».

En 2003, à la faveur du dialogue politique national lancé par François Bozizé, qui vient de renverser Ange-Félix Patassé, il s’engage en politique. Il est élu député de Mbaiki, dans la Lobaye, avant de devenir ministre de la Jeunesse et des Sports entre 2011 et 2013. Il n’est affilié à aucun parti mais soutient le Kwa Na Kwa (KNK) de Bozizé. Les deux hommes se tutoient, aujourd’hui encore, Jean- Serge Bokassa dit porter de « l’estime » à celui qui a réhabilité son père en 2010. Maintenant que Bozizé n’est plus au pouvoir, il affirme aussi se sentir plus libre d’exprimer son ambition. Si cela ne l’avait pas empêché d’être candidat à la présidentielle en 2015, il se serait bien vu ministre au sein du gouvernement de la Transition (son nom aurait d’ailleurs été proposé par les anli-balaka à la chef de l’État, Catherine Samba-Panza). Un brin mégalo, il se rêve en cet « homme nouveau » dont la Centrafrique a besoin.

C’est sans doute cette ambition qui l’a rapproché de Patrice-Edouard Ngaïssona, coordinateur des anti-balaka. Mais sur ses affinités politiques, Jean- Serge Bokassa veut rester discret. Frileux, il refuse de nommer ses alliés: il faut savoir naviguer… Sur ses ennemis, en revanche, il est plus discret. Et à mesure que le temps passe, dans sa modeste villa de Bangui, il oublie peu à peu son « aversion pour la violence »: il prône le principe de réciprocité. On oublie trop vile, martèle-l-il, ce qu’ont subi les chrétiens sous la présidence de Michel Djotodia, chef de la Séléka et tombeur de Bozizé. « Le fait que les musulmans soient une minorité leur donne-t-il le droit de tuer si massivement? »

Fin mai, il a coorganisé une marche exigeant le désarmement du quartier musulman PK5, le départ des forces bu rwandaises, jugées proches de Ia Séléka, et le réarmement de l’armée centrafricaine. La manifestation présentée comme, « pacifique» a fait des blessés et une mosquée a été saccagée. Convoqué par le procureur de la République, il dénonce une « tentative d’intimidation » de la part d’un gouvernement volontiers qualifié de laxiste. Soudain, il se tait. Comment pourrait-il critiquer davantage une équipe au sein de laquelle il n’exclut pas de se faire une place ?

JEUNE AFRIQUE N° 2/92 • DU 13 AU 19 JUILLET 2015

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